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           Participation d’enfants Roms des bidonvilles parisiens à une résidence artistique

Au cours de la saison 2008 / 2009, Kesaj Tchave a pu développer en parallèle de son travail socio-éducatif mené en son sein avec les enfants et les jeunes des bidonvilles roms slovaques, des actions similaires auprès des populations des Roms roumains séjournant temporairement sur le territoire français. Ces actions – événements, étaient organisées de façon sporadique, souvent improvisée, mais pas moins pertinentes et valorisantes pour cela, au grès des venues du groupe lors de ses différentes tournées. Ce travail « sur le moment », dans l’immédiat  correspond au quotidien des populations visées, traduit la précarité économique, sociale, et de par là, administrative !,  ne pouvant que se plier aux aléas des descentes des forces de l’ordre, suivies des expulsions territoriales, définissant par là un nouveau mode de vie fait d’itinérance, et d’insécurité. Une instabilité évoluant dans les limites du quotidien présent sans projection possible vers le futur. La prise en compte de ses réalités inhérentes au statut des Roms vivants en bidonvilles en Europe étant un domaine de prédilection pour les Kesaj Tchavé, du fait de son expérience antérieure sur les terrains, les contacts avec les Roms roumains de France étaient établis rapidement et sans difficulté. Il est à souligner que ce travail n’a pu être mené que grâce au concours des associations telles que Parada, Fnasat et des citoyens de Montreuil, qui sont de longue date présents et engagés sur les terrains et ont servi de relais indispensable en tant qu’intermédiaires et coorganisateurs de la plupart des événements.

Résidence d’été 2009 dans le Vercors

Le groupe Kesaj Tchavé vient d’effectuer une tournée des festivals CIOFF à travers la France du 13 juillet au 24 août. Dans le cadre de ce déplacement en France, la troupe a été reçue  en résidence à Autrans, dans le Vercors, par l’association Ver’Kesaj, crée récemment pour soutenir le groupe, et qui a déjà invité Kesaj Tchave en résidence en 2008. Ce fut une occasion idéale pour se retrouver dans un environnement naturel exceptionnel, avec une équipe d’accompagnateurs expérimentés (travailleurs sociaux, éducateurs, enseignants), pour se ressourcer tout en se concentrant sur un travail approfondi autour des activités artistiques du groupe (le séjour a été couronné par trois spectacles à Autrans, Villard de Lans et la Fête du Bleu).  Donc, outre la relaxation et les biens faits d’un séjour – nature classique, les jeunes Roms migrants roumains de la périphérie parisienne ont bénéficié d’activités et apprentissages artistiques de haut niveau avec Kesaj Tchave, et surtout, d’un cadre de mode de vie basé sur l’effort, la participation, la discipline, l’engagement collectif, etc., tout cela en ne rompant pas avec leurs propres origines, puisque le groupe Kesaj Tchave a pour vocation de développer et faire connaître la culture tzigane, telle qu’elle est vécue  actuellement dans les communautés roms en Europe.

Ce séjour a été le prolongement idéal des actions menées en 2008 et 2009 et a permis aux enfants de vivre une expérience inconcevable dans le cadre de leur vie courante, apportant une motivation à toute la communauté et permettant de rebondir positivement sur la saison suivante.

Les acquis emmagasinés par les participants à la résidence sont un outil précieux pour continuer dans des activités similaires avec les jeunes des terrains roms du 93, encadrés par l’association Parada, les anciens devenant à leur tour des instructeurs pour les nouveaux arrivants.

 

 

Rapport narratif

 

L’action, dans son essence a démarrée bien plus tôt, en novembre 2008, lorsque nous avons établis les premiers contacts avec la population des migrants roms roumains du 93. Ces premiers contacts ont étés suivis d’interventions plus structurées et ciblées, notamment lors du projet  „Rencontres et animations dans les bidonvilles Roms dans la banlieue de Paris“, que nous avons réalisé en avril 2009, et pour lequel, déjà, votre organisation nous a été d’une aide précieuse.  Ces  premiers  succès  ont  à  vrai  dire dépassés nos espoirs, dans le sens que nous nous n’attendions pas à une réaction aussi positive des jeunes des bidonvilles roms vis à vis de nos activités. En effet, nos interventions, et notamment le Festival Inter bidonvilles Akana me sur le terrain des caravanes de Montreuil en avril, suivi du passage sur la scène du Zénith de Paris avec les Ogres de Barback ont suscité un réel engouement auprès des jeunes Roms migrants franciliens, et surtout une motivation pour s’investir plus, qu’il nous semblait évident de devoir exploiter et développer, et répondre par là à une réelle demande de la part de ces jeunes et de leurs parents.

La tournée d’été 2009 en France de notre groupe Kesaj Tchave se présentait comme une occasion propice pour continuer dans la direction que nous nous sommes fixés – à savoir inclure à chaque fois que c’est possible, des jeunes migrants roms dans nos actions auprès de nous. Nous ne pouvions pas les incorporer dans la totalité de notre tournée, car vis à vis de nos partenaires – les festivals internationaux de folklore CIOFF, nous étions tenus de représenter avant tout la culture des Tziganes de Slovaquie, et un séjour aussi long (45 jours) aurait été trop important pour une première expérience. Par contre dans le cadre de cette tournée nous avions projeté un séjour dans le Vercors, où nous étions accueillis par l’association Ver’Kesaj pour une résidence artistique de 10 jours à Autrans du 20 au 30 juillet. Cette résidence se présentait comme une occasion idéale pour  se réunir de nouveau, mieux se connaître et travailler ensemble. Bien entendu, pour tous les participants ce sera aussi une occasion de découvrir un monde qu’ils ne connaissent pas, celui de la société civilisée du 21 siècle, et de s‘en approprier naturellement les pratiques de base, telles que l’hygiène, la cohabitation, la contrainte volontaire à un ordre établit, etc., sans parler du fait que des besoins élémentaires comme un régime alimentaire sain et un habitat décent seront assurés, ce qui n’est pas le cas au quotidien pour la plupart des participants.  Nos partenaires de Ver’Kesaj nous prenant en charge avec un nombre de participants plus élevé que prévu initialement (nous étions 37 au lieu des 25 de prévus à l’origine), nous nous devions de trouver des financements extérieurs pour pouvoir prendre en charge les intervenants supplémentaires du 93. Bien entendu, il a fallu aussi résoudre des questions d’ordre pratique, au niveau de la logistique du séjour, des lits supplémentaires, des vivres, etc. La question de la participation des Roms roumains était aussi complexe du fait de l’instabilité de leur situation administrative – constamment  sous la menace d’expulsions territoriales, et aussi du fait d’une précarité poussant certains parents à envoyer leurs enfants faire la manche pour rapporter de quoi survivre, et aussi de certains aller – retours vers la Roumanie pour des questions familiales. Donc il n’était pas possible de projeter à l’avance d’une manière précise et rationnelle, combien de franciliens, ni les quels, allaient participer au séjour dans la Vercors. Nous savions que la demande de

 

 

 la part des jeunes et des enfants était importante, et qu’elle dépassait de loin nos capacités, mais au final,  nous  ne  pouvions  pas  savoir qui réellement partirait. Et cela, bien entendu, jusqu’au jour du départ, les changements incessants étant à l’ordre du jour. Au niveau du contact sur les terrains nous pouvions compter sur la collaboration précieuse de l’association Parada, depuis longtemps présente auprès des migrants roms de Saint Denis, et sur Montreuil nous avions des relais en la personne d’intervenants à titre personnel comme Colette Lepage et Bielka Mijoin. Les parents des jeunes étaient en majorité propices au séjour de leurs enfants, bien que certains, trop accaparés par le combat au quotidien pour la survie, n’étaient pas en mesure de comprendre et d’accepter un concept d’ouverture tel que nous le proposions. 

Sur place, à Autrans, nous avions résolu le problème de l’hébergement en installant deux tentes supplémentaires. La fourchette des participants du 93 est de 10 à 20 et ce n’est que lorsqu’ils arrivent que nous savons qu’ils sont 11. Deux filles de 6 et 7 ans du terrain du Hanoul (en dessous de la rocade francilienne), trois du lieu de vie d’Aubervilliers et deux d’un squat de Saint Denis, ayant entre 10 et 17 ans. 5 filles et 2 garçons. Accompagnés de Coralie Guillot, coordinatrice de Parada et de Micha et Vérona, parents et médiateurs roms. Vérona et les deux petites ont fait le chemin en TGV, avec des billets à prix réduit, et les autres avec la camionnette de Parada. Tous les chauffeurs prévus initialement  se  sont  désistés,   et  c’est  Alex,   mon  fils,  et   Johann  le  Berre,   le  président  de l’association Yepce, qui conduisent la camionnette de Paris jusqu’à Grenoble. Finalement les Roumains sont tous installés dans la maison de l’OVE et tous nos garçons sont répartis sous les tentes. Les jeunes se connaissent déjà, ayant tous participés à des activités en commun auparavant. Il faut un minimum de temps pour que les appréhensions mutuelles tombent et vite, une cohésion véritable s’instaure au sein de groupe. L’emploi de temps est rythmé par les spectacles (tous les deux jours) et des répétitions quotidiennes, ainsi que des sorties dans les environs, notamment à la piscine municipale, offerte gracieusement par la municipalité. Lorsque nous ne sommes pas en représentations, les repas sont préparés par nos soins, ainsi que le nettoyage et l’entretient des locaux dans les quels nous séjournons. Tous ces moments sont des occasions d’apprentissages naturels des codes et règles sociales banales, aux quelles les enfants et les jeunes n’ont pas accès dans leur cadre de vie habituel. C’est aussi un moyen formidable de faire le plein d’une énergie de dynamique constructive, basée sur une expérience enfin positive de sa propre ethnicité, qui retrouve, peut être pour la première fois de leur vie, une connotation positive, tant en direction de l’extérieur grâce aux succès emportés sur scènes, mais aussi enfin une vision positive de soi-même, se voyant enfin investi et évoluer dans un projet concret qui valorise leur propre image et sa projection vers le monde extérieur, ainsi qu’à ses propres yeux.  Ces considérations prennent toute leur importance lorsque nous savons à quel point les populations marginalisées roms souffrent d’une perception négative, voire nihiliste et autodestructive de leur  propre identité. L’avantage du groupe ainsi constitué est que sur un nombre de 46 participants à la résidence, 44 sont tziganes Rroms, sortant du même milieu ethnique et social, bien que géographiquement distants. Il n’y a pas de barrières linguistiques, tous communiquent en romani, et dans une conception de vie basée sur le modèle courant au sein des communautés tziganes – fortement communautaire, presque clanique, peuvent passer d’une manière naturelle des découvertes et apprentissages qui sous d’autres formes d’enseignements plus formelles – formations, explications, stages, etc., seraient voués à l’échec. L’encadrement est constitué par 5 adultes, moi-même avec mon épouse, Micha et Vérona et Coralie

 

 

Guillot de Parada. Plus nos deux instructeurs de danse, Stano et Ivana qui sont de jeunes adultes. La répartition des participants suivant leur âge serait d’un tiers d’enfants de 6 à 10 ans, deux tiers de 12 à 16 et un tiers de 17 à 20 ans.  Nos hôtes de Ver’Kesaj sont des éducateurs des réseaux des OVE et des familles d’accueil et sont parfaitement en phase avec notre groupe et son approche de la vie encrée  dans la tradition tzigane.

Un des moments forts du séjour fut la rencontre avec une famille de Roms roumains errants dans les rues de Grenoble, que nous avons réussi, grâce à l’intervention des contacts sur place, à faire venir à notre spectacle à la Fête du Bleu à St. Niziaire et à les inclure d’office dans notre représentation. Pour ces gamins cela restera certainement  une  expérience  marquante,  renforcée  par  le  côté  spontané  de  l’action.   Mais,  à l’évidence,  sur tous les participants le séjour laissera des traces indélébiles. Positives. Des souvenirs d’expériences uniques, dont ils vont référer à tout leur entourage et qu’ils voudraient partager avec leurs proches. La preuve en est, qu’avec un léger recul du temps, à l’heure actuelle, un mois plus tard, lors de nos visites impromptues sur les terrains au hasard de nos venues à Paris, nous retrouvons ces jeunes et bien d’autres, s’investir en répétant, en reproduisant le modèle de travail et d’investissement qu’ils ont vécu lors de la résidence.

En ce qui concerne notre groupe Kesaj Tchave, après la résidence d’Autrans nous avons encore poursuivi la tournée jusqu’au 24 août, ce qui a fait en tout 45 jours hors frontières. Nous avons remportés partout des succès notoires, récompensant nos efforts déployés, et aussi des soutiens et manifestations de sympathie unanimes. Mais nous avons aussi du braver des situations difficiles, voire périlleuses, lors des quelles la cohésion du groupe était mise en cause. Le séjour dans le Vercors en compagnie des jeunes du 93 a été indiscutablement positif et bénéfique pour l’ensemble de la troupe, a été un précieux moment non seulement de récupération et de ressourcement, mais a aussi servi de ciment pour ressouder tout le collectif et tous espèrent pouvoir poursuivre sur ce chemin d’ouverture et d’échange tel qu’ils l’ont vécu cet été. Notamment au mois de décembre prochain à l’occasion de notre prochaine tournée sur la Région parisienne et peut être aussi en début de novembre avec un groupe plus restreint lors des ateliers que nous voudrions réitérer comme en début de l’année.    

Lors de tout le séjour à Autrans un important matériel vidéo a été filmé. Dès qu’il sera finalisé, nous vous en ferons parvenir une copie. Le journaliste Jean-Michel Delage nous a retrouvé en cours de tournée et a réalisé une série d’interviews relatant notre expérience qui seront publiés dans la presse.