Novembre, aller - retour

La tournée « aller – retour » de novembre 2017, a eu le mérite d’élargir le domaine de compétences des Kesaj en déplacement. A la fin de cette mini tournée, nous avons décidé, comme d’habitude, de rentrer tout de suite après le dernier spectacle, le samedi, peu après minuit. Pour être précis, nous avons quitté Saint Denis à 1h30 du matin, dimanche. La route se passait bien, tous, dormaient, épuisés, après ce séjour court, mais très intensif. Il était déjà huit heures du soir, lorsque nous avons passés la frontière tchèque, et nous avons traversé Drietoma, le premier village slovaque à nous ouvrir les bras. Il faisait noir, la route, mal éclairée, qui traversait le petit bled n’était pas très large, mais la circulation y était très dense, puisque c’est un des axes principaux vers l’Est. Nous étions dans une colonne de poids lourds qui fonçaient à vive allure à travers le village. Et c’est là, que nous avons aperçu, à une dizaine de mètres devant nous, quelque chose de difforme, sombre, sur la route. Le chauffeur a juste eu le temps de freiner et de stopper le bus pile devant un gars qui était couché à travers la chaussée. Un mètre de plus, et il finissait sous les roues de notre car. J’ai sauté du bus, et avec Domino, nous avons trainé le bonhomme hors de la route, tant bien que mal, nous l’avons adossé contre un talus sur le côté, il n’arrivait pas à tenir debout, visiblement c’était un pochtron qui revenait d’une soirée un peu trop arrosée. Il ne nous restait qu’à appeler les flics, il fallait bien qu’ils le prennent en charge, sinon il remettrait ça, et il irait de nouveau faire une petite sieste à même le bitume et risquait de finir pour de bon en pâté. 

En attendant les forces de l’ordre nous sommes arrivés à tirer quelques mots plus ou moins cohérents du gars, il s‘est avéré que c’était un paysan, un gadjo, un vrai, pas au sens péjoratif, gadjo veut dire tout simplement péquenot, c’était donc un fermier du coin qui ne se souvenait plus s’il venait de vendre, ou acheter un cheval, on n’est pas entré dans le détail, en tout cas, il a fêté ça, et il cherchait à rentrer chez lui en faisant un petit somme sur le macadam de son village. Si nous n’étions pas là, à coup sûr, il aurait fini sous les roues d’un des poids lourds qui n’aurait pas eu le temps de piler à temps, ces engins ont une distance de freinage bien plus importante que les bus. Le type a eu une chance extraordinaire, et nous, par la même occasion de même, écrabouiller un brave éleveur de chevaux slovaque n’aurait en rien contribué à la réussite de notre petit voyage organisé. Les journaux auraient pu tirer : « Un bus de tsiganes sauve la vie d’un ivrogne slovaque ».  Bien sûr, il n’en fut rien, car ce gendre d’information n’est intéressant qu’en sens inverse, lorsque ce sont les tsiganes qui sont bourrés et les gadjés outrés… Mais cette histoire courte et véridique a le mérite de confirmer que nos interventions interbidonvilles ont un sens concret, même s’il faut faire 4 000 bornes pour ce faire, car cela nous permet de sauver des vies humaines, soit dit en passant. Me voilà donc rassuré sur le bien fondé de nos actions, et je peux me calmer momentanément avec mes scrupules incessants quant à la rationalité de nos actions don-quichottesques.

Autre effet bénéfique de ce séjour, nous avons procédé à une démégotisation en bonne et due forme sur le site de Buno. Par tranchées, nous avons avancés à travers la campagne environnante, et, impitoyables, nous avons défrichés tous les recoins de la façade du château, jusqu’à ce qu’aucun reliquat du vice de la nicotine ne subsiste en ces lieux. Mais, bons princes, nous en avons quand même laissé traîner quelques uns, cachés subrepticement dans les proches environs, pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui ne pourraient pas exister sans débusquer au moins un petit mégot par jour sur leur chemin.

Le lendemain de notre venue, lors de notre intervention au bidonville de Bondoufle, nous sommes arrivés sur un terrain vierge, car apparemment, le message prévenant de notre spectacle n’est pas passé et personne ne nous attendait, comme cela nous avait été annoncé initialement (à l’origine, on devait même nous préparer un gueuleton sur place). Peu importe, instantanément, un peu de partout, des gamins ont accouru, ont donné un coup de main pour balayer le bitume sur le quel nous nous préparions à exercer nos talents, et la bande de Lomnica, Domino, Erik et Tomas, ont, comme d’habitude, fidèles à leurs convictions musicales, commencé à chanter à tue-tête dans les micros de fortune, aimablement fournis par Dushko, qui, bien entendu, partageait ces mêmes convictions, qui consistent plus ou moins à faire le plus de bruit possible avec n’importe quel objet qui ressemble de près ou de loin à un micro, branché au maximum de la capacité des raccords de fortune sur l’Edf du coin (il faut dire, que moi aussi, je tends de plus en plus dans cette direction, mais je n’ai pas encore électrifié ma timbale). 

Donc, en une seconde tout le bidonville a compris que c’était soit une attaque de la Luftwaffe ou un concert de Kesaj qui allait avoir lieu. Pas mal de personnes, soit plutôt âgées, mais pas forcément malentendantes, soit des tout petits marmots, très éveillés pour leur âge, sont venues au spectacle, menés par un gars en bleu de travail, qui, un petit coup dans le pif aidant, n’a pas pu résister à l’appel de la nature et a tout de suite ouvert les réjouissances en commençant à se déhancher au son du Lomnica-manélé. On a pu, pratiquement sans transition, passer à la partie spectacle de ce spectacle qui battait déjà son plein, et, avec une supériorité évidente (nous étions, les Kesaj, Intermèdes, Jagalo Jilo, les mômes du camp, une bonne cinquantaine en tout), nous avons pu affronter le public, constitué de mamies tsiganes et de nouveaux nés, plus quelques gars épars, assis sagement dans des fauteuils pliables devant nous, leurs portables à la main, en train d’immortaliser cet événement sortant de leur ordinaire.  

Tout a baigné, nos efforts furent récompensés, le public était aux anges,  une bonne âme du voisinage a pieusement alertée la police pour des nuisances sonores, et les gendarmes étaient là en moins de deux. Mais nous étions déjà en train de monter dans le car et filer à Buno, heureux d’avoir apporté en ces mornes lieux embrumés un peu de joyeux soleil sonore.  Les roms sur place, ont l’habitude de ce genre de visites, nous, nous avons préféré nous évaporer. C’est incroyable, que ce soit dans les Tatras, ou dans l’Essonne, partout il y des décibelo - maniaques, qui, dès qu’ils entendent autre chose  que des hurlements  stridents des scies circulaires, ou roulements de tambours des marteaux piqueurs, propres aux  zones industrielles dans les quelles nous évoluons, appellent les autorités pour faire cesser tout ce qui pourrait ressembler à de la musique et qui sortirait du cadre bétonné du bruitage industriel. 

Manifestement, pour eux, la musique et le bien-être qu’elle procure, est un danger, une agression. Même si ce n’est que très rarement, de temps en temps, faite par des gamins inoffensifs,  la musique leur est insupportable, il faut la bannir, réduire tout le monde au silence ou au bruit des autoroutes, alors vite, les flics, il faut que l’ordre revienne, que l’ordre règne. Tant pis, si c’est l’ordre du plus bête, du plus obtus, du plus sourd à son propre cœur…   

Le reste de temps nous avons dansé, cuisiné et chanté. Il fallait un minimum de répétitions pour une mise en place effective des spectacles qui nous attendaient. Nous avons pris avec nous 6 jeunes d’un groupe de danses tsiganes, Jagalo Jilo, de Detva, en Slovaquie centrale. Ils sont tous des apprentis cuisiniers d’un centre d’apprentissage privé, rempli en majorité de roms. Nous nous sommes déjà rencontré une fois, lors du stage que nous avons organisé il y a un mois, alors nous leurs avons proposé de venir avec nous, histoire de leur faire découvrir un peu le grand monde et notre façon de procéder. Et aussi pour apporter un peu de changement dans le groupe, car les infinis caprices à répétition de Maria commençaient à bien faire. D’ailleurs, elle n’est même pas venue à la tournée, sans prévenir, bien sûr. 

Les apprentis cuistots étaient accompagnés de leur maîtresse, qui cumulait parfaitement les fonctions d’enseignante en restauration et chorégraphe dansante du groupe, et dès notre arrivée au château ils ont investi la cuisine et les fourneaux et nous ont offert un spectacle culinaire digne des grands shows tv à la mode sur les petits écrans dans le monde entier. Ils étaient extraordinaires.  Parfaitement au point, minutieusement coordonnés, virtuoses des casseroles et poêles à frire, ils nous ont éblouis par leur savoir faire et nous ont servi un repas complet en moins de deux. Du grand art. On se croirait dans les loges d’un théâtre – bouffe haut de gamme, avec plein d’étoiles Michelin sortant de partout, on voyait qu’ils mettaient un point d’honneur à faire cette démonstration de leur talent devant nous, et nous, éblouis,  n’en étions que plus heureux et comblés, pour une fois Helena n’avait pas à mettre la main à la pâte, et nous pouvions, tranquillement, assister à ce défilé de haute maîtrise culinaire. Les jeunes de Detva sont plus âgés, beaucoup plus intégrés que les nôtres, ils viennent d’un autre milieu social, plus citadin, à première vue, ils ne donnent pas l’impression, visuellement, d’être des roms. On voit très bien les différences au niveau de la socialisation, des rapports à l’intérieur du groupe, de l’autonomie et de la discipline, le travail éducatif avec eux relève beaucoup plus de standards courants dans la majorité (donc des caprices), et de notre point de vue, sont bien moins intéressants que les contacts avec les jeunes provenant des communautés dites marginalisées. En tout cas la présence de ces jeunes a permis de comparer les deux groupes, de confronter dans des situations concrètes les deux modes de fonctionnements, et a été bénéfique et source d’enseignement pour tous les participants.  

Les répétitions ont servies en même temps d’ateliers pour les jeunes des Intermèdes, qui nous rejoignaient partout où ce fut possible. Les Intermèdes, chapeautés par Dushko et Abdel dans le cadre du projet Aven Savore, ont fait de sérieux progrès, le chant est plus propre, les évolutions sur scène sont devenues beaucoup plus mature, on voit qu’il y a du travail derrière. Nos investissements de la saison passée commencent à porter des fruits. Cette rencontre automnale, même si elle était très brève, a de nouveau renforcée les bases acquises et a ressoudée le groupe, qui a, naturellement, toujours besoin de stimulations et de motivations. Dushko a traversé une période turbulente, Laurent a réussi, avec beaucoup de mal, à lui faire prolonger son contrat, et il semble qu’il prend maintenant son travail plus au sérieux et s’investit plus dans le groupe.

Vendredi nous avons opté pour une visite de Paris, les jeunes de Detva en étaient à leur première sortie hors frontières, parmi nos jeunes il y en avait aussi quelques uns qui sortaient pour la première fois, donc un minimum de tourisme s’imposait. Ce fut du classique, la Tour Eiffel en premier lieu, avec son armée de camelots africains qui réussissent à vendre tout et n’importe quoi à nos jeunes qui se délestent volontiers de leurs derniers petits deniers, mais ça fait partie du jeu et tout le monde est satisfait. Il y a une grande différence quand même, alors qu’il y a 3 ans, les vendeurs africains nous prenaient d’emblé pour des pickpockets tsiganes et voulaient nous chasser pour qu’on ne gâche pas leur business, maintenant ce sont ces mêmes africains qui se sont roués sur nous, puisque nous constituons, justement, leur business. Donc les choses évoluent quand-même… Vu la densité de la circulation nous n’avons pas le temps de faire d’autres escales, et nous admirons Paris par les vitres de l’autocar. Pour le plus grand bonheur de tous, nous réussissons à faire une halte express dans un Mc Do sur la route, ce qui constitue pour nos jeunes le sommet de gastronomie, nous récupérons par la même occasion Joana et Meklés, et nous filons à Saint Denis pour rencontrer la troupe de Tamèrantong.    

Les Tamèrantong, troupe de théâtre constituée de gamins de banlieues, nous les avons déjà rencontrés il y a un an, et ce fut une apothéose de joie et de plaisir, alors là, ils nous attendaient de pied ferme, impatients de pouvoir découvrir de plus prés nos jeunes, héros de la pièce qu’ils interprètent – La Tsigane du Lord Stanley. Depuis, nous avons pris le pari fou de les faire venir en Slovaquie, ce qui devrait se faire au printemps prochain, et ils sont en train d’apprendre des pans de textes entiers en slovaque pour rendre la pièce compréhensible à nos compatriotes. Je préviens tout le monde qu’il n’est pas question de rigoler, même si les déclamations portraient à sourire, il n’est pas question de se moquer d’eux sous peine de sévères  représailles de la part de Helena et moi-même, et tout le monde sait qu’on ne rigole pas avec ce genre de choses ; les petits ont eu du mérite à apprendre des phrases de cette langue impossible qu’est le slovaque, on peut leur en être reconnaissants, et on ne va pas se payer leur tête si parfois la prononciation se met à déraper un peu. Mais nul est besoin de menaces, ni chatiments. Les petits de Tamèrantong sont tout simplement incroyables, faramineux, avec une prononciation parfaite et un brio d’enfer ils nous en mettent plein la vue, et sidérés, nous rigolons, non de leur façon de prononcer, mais des textes, qui sont parfaitement compréhensibles et naturellement drôles et comiques. Quelle magistrale leçon de théâtre et du jeu d’acteur ! Quel travail ! Ils sortent d’une résidence d’une semaine durant la quelle ils ont travaillé les textes en slovaque, eh bien, ils n’ont pas perdu leur temps. Le résultat est sensationnel. Phénoménal ! Nous n’en revenons pas, et nous ne ménageons pas les standings ovations pour ces exploits. Il faut absolument que l’on réussisse à les faire venir chez nous, bien qu’il me semble que les slovaques ne méritent pas un tel cadeau… Nous avons du mal à faire démarrer ce projet, Bratislava est fidèle à son image de petite ville de province, snob et prétentieuse, où tout passe par le piston, mais on va y arriver ! Outre la démo en slovaque, Xine, la directrice de la troupe, nous a concoctée tout un petit programme sympathique de jeux participatifs qui ont ravi les petits et les grands. Avec en prime, une démonstration de claquettes africaines par Wousi, qui arrivait directement d’Afrique du Sud, qui n’étaient pas sans rappeler les nôtres. C’était aussi intéressant de constater à quel point nos méthodes de travail se ressemblent – la dynamique, l´engagement physique, l’esprit du groupe…

Après avoir bravé les embouteillages du soir, nous nous retrouvons à Buno avec les Intermèdes, pour se retrouver tout simplement ensemble, pour profiter un peu les uns des autres et pour fêter comme il se doit l’anniversaire de Hafsatou, la nouvelle star d’Aven Savore. Hafsatou vient d’Afrique subsaharienne, est musulmane, n’avait jamais fréquentée de roms, pas plus que de ressortissants des pays d’Est, et pourtant, en peu de temps, elle a parfaitement intégrée nos chants et nos danses. Avec une aisance déconcertante elle assure le leadership de la troupe nouvellement constituée et est aussi parfaitement à l’aise parmi nos jeunes. 

J’ai toujours eu des remords de conscience de ne pas m’être assez investi auprès des jeunes filles africaines des Intermèdes. Elles ont juste suivies le mouvement, selon notre précepte de travail de groupe, on n’a pas le temps de faire de l’individuel, ni en Slovaquie, pas plus qu’en France. Je craignais que ces gamines d’une toute autre culture décrochent tôt ou tard. Il y a eu des abandons, d’ailleurs, mais Hafsatou non, au contraire, elle s’épanouit à vue d’œil, ses progrès sont remarquables et nous remplissent de satisfaction. En arrivant au château, nous avons eu, cette fois-ci, la démonstration du savoir-faire culinaire de nos jeunes à nous. La faim étant le meilleur des cuisiniers, ils ont, affamés qu’ils étaient après la longue journée dans les rues de Paris, pris d’assaut la cuisine, et ont instantanément dévalisé tout le frigo, en rivalisant d’ingéniosité gastronomique dans leurs créations culinaires improvisées. C’était comme le passage d’une tornade, en quelques instants il ne restait plus rien dans le frigo, ni dans les casseroles. 

C’est à ce moment, lorsque tout le monde se verrait bien passer la soirée affalé devant la télé ou son portable, à faire une petite sieste bien méritée, qu’arrive Laurent en demandant, c’est quand la répète, tout le monde attend… Oui, nous le savons bien, tous veulent profiter un peu de nous, et puis il y a l’anniversaire, alors la sieste ce sera pour plus tard. En avant la musique ! Comme on ne sait pas faire à l’économie, donc sans aucune retenue ni demi-mesure, nous attaquons le programme avec tout ce que ça comporte d’engagement physique et mental. Tout droit dans l’excès, la méthode Kesaj à l’état pur. La sono, la timbale, et tout le tralala. C’est dans ces moments que l’on voit le côté professionnel des jeunes de Kesaj. Il va sans dire que tout le monde est sur les rotules. Epuisés. Cela fait trois jours et trois nuits que nous sommes sur les routes, à faire du non stop. Il y a de quoi être crevé. Mais tous, comme un, attaquent la besogne qu’il y a à faire, et sans que cela en paraisse une, ils arrivent à transformer cette peine en plaisir, pour le plaisir de tous. La répète se transforme en fête, l’anniversaire est consommé, on passe à la phase disco, les décibels sont débridés, les murs du château tremblent, et les carottes de la voisine,  sortent toutes seules en vrille de la terre, dixit la voisine… Vincent est là, médusé, il assiste à ce déferlement du plaisir d’être, et de consommer ce plaisir à l’instant même…

Oui, une idée me vient, comme elle me vient à chaque fois dans de semblables situations ; ce serait bien de pouvoir récompenser les efforts fournis par nos jeunes, car leurs prestations sont tout ce qu’il y a de professionnel dans le bon sens du terme. Dans ce cas de figure, nous assumons une qualité de service à toute épreuve, capables d’affronter des situations complexes à la plus grande satisfaction de nos partenaires du moment. Ce ne sont pas nos clients, nous ne sommes pas des prestataires de services, mais notre savoir-faire va au-delà du simple jeu ou amusement, ce n’est plus uniquement de la distraction, mais l’assurance de mener un projet concret - la satisfaction du public dans une situation donnée, à terme, quelles que soient les circonstances, les complications éventuelles, y compris le niveau de fatigue, donc le manque d’entrain spontané au départ. 

En ce moment, ça fait le troisième Erasmus au quel nous postulons. J’espère qu’il va enfin passer, et nous pourrons dégager un fond à cet effet, peu importe si cela devra être fait de manière indirecte, camouflé sous des voyages, déplacements ou frais de communication, l'essentiel est qu’une rémunération, ne serait-ce que symbolique, puisse être attribuée aux jeunes qui sont méritants. A ce niveau de compétences et d’investissement elle serait parfaitement justifiée et rationnelle. Oui, nous n’en sommes encore arrivés à ce que l’on puisse postuler à un projet, qui pourrait honorer des simples intervenants de base, les rom des osada en l’occurrence, pour leurs qualités premières, leur savoir-faire, lié à leur culture, à leur appartenance ethnique, à leur positionnement social. Déjà, ils n’ont pas de diplômes, ne sont pas habilités à… Par contre pour leur apprendre toute la sagesse du monde, les « bonnes pratiques », les «aptitudes au travail », sans oublier la « prévention des conflits », etc., il n’y a pas de problèmes, les diplômés et habilités de toutes sortes sont légions. Un des anciens directeurs des Etudes Tsiganes, Didier, qui venait du milieu de la psychiatrie, disait, que dans les années cinquante du siècle dernier, une véritable petite révolution a eu lieu, lorsque l’on a décidé que les malades mentaux, les « fous », qui étaient objets d’observations et expériences à buts scientifiques pour faire avancer la science médicale, devaient être rémunérés, au même titre qu’étaient rémunérés les savants, médecins et éminents professeurs, initiateurs, porteurs et bénéficiaires de ces projets. En arrivera-t-on là avec les Roms un jour ? Désolé, si la comparaison est un peu tirée par les cheveux…

Les nuits se passent sans trop de débordements, nos troupes sont rodées, les jeunes savent faire la part des choses, et ils n’exagèrent pas avec les veillées, sachant qu’un programme chargé nous attend. Nous laissons les nouveaux de Detva vivre leur vie, ils font un peu bande à part, peut-être que la présence de leur maîtresse y est aussi pour quelque chose, ils se serrent autour d’elle comme autour d’une mère-poule. Ils ont du mal à se fondre dans notre collectif, mais comme je le disais, ils sont beaucoup plus intégrés, donc plus individualistes, moins communicatifs et moins enclins à faire corps avec nos jeunes. Cela me désole, mais je sais que c’est parfaitement normal, nos jeunes aussi, sont sujets à des local-patriotismes exacerbés, et on a parfois du mal à franchir ces immenses barrières entre les différents petits  bidonvilles.

On croit communément qu’il est difficile de travailler avec les enfants et les jeunes des bidonvilles. C’est vrai et faux en même temps. C’est vrai qu’il est difficile de se mettre au diapason du postulat de base qui est, que tout ce qui se projette, se dit, se promet, se jure d’être réalisé, peut être décomposé à l’instant même d’avoir été énoncé. Sans remise en cause aucune, tout simplement le fait de dire que je vais faire ceci ou cela, ne veut pas dire forcément que je vais le faire, je peux même très bien faire le contraire absolu, sans avoir à me justifier de ma décision, c’est comme ça, point à la ligne, la vie continue, on passe à autre chose. Je saute les explications philosophiques, ethnographiques, sociales, raciales ou économiques… c’est comme ça, et il faut faire avec, de toute façon, il n’y a pas le choix. A part ce détail, il n’y a pas de problèmes majeurs, et surtout, il n’y a pas les problèmes de mauvaise volonté ou caprices du moment. C’est simple, tu ne veux pas, pas de problème, il y en a deux cent autres qui sont prêts à te remplacer au pied levé, les bidonvilles sont grands, et ce ne sont pas les mômes qui y manquent. Bref, le tout fonctionne sur le principe du libre choix, personne n’est forcé à participer, et il y en a plein qui voudraient prendre la place de ceux qui sont là. Cela permet d’aller droit au but, en l’occurrence, la priorité, l’objectif commun (le projet !) pour tous ceux qui sont présents, c’est de faire le meilleur spectacle possible, tout en passant un bon moment. Si le spectacle n’est pas bon, si on ne bosse pas comme il faut, on ne nous appellera plus, et on restera à la maison. Les moyens que l’on emploie sont ceux que nous avons à notre disposition, il n’y en a pas d’autres, et si ça ne plaît pas à quelqu’un, il peut rentrer tout de suite - au bidonville. Cette pédagogie simpliste et efficace, dans la quelle on dit les choses telles qu’elles sont, sans prendre de gants, a le mérite de copier la vie, la vraie vie, qui ne fait pas de cadeaux, et dans la quelle on ne reçoit que ce que l’on donne…

Pareil, il faut une fin à tout. La journée de samedi sera la plus chargée, il y a le spectacle du soir qu’il va falloir assumer, donc la discothèque doit bien cesser à un moment donné, et on s’évacue progressivement au lit. Le lendemain, je pensais avoir du mal à réveiller notre petit bazar, mais il n’en fut rien, naturellement tout le monde émergeait progressivement et tout en prenant le petit déjeuner, tous se mettaient à faire le ménage, selon notre précepte, que l’on laisse les locaux qui nous ont accueillis en meilleur état, que lorsqu’on les a trouvé en arrivant. Une bonne coordination est en place, avec Helena nous n’avons plus besoin de pousser de gueulantes, les tâches se font dans un ordre naturel, chacun met la main à la pâte. 

Nous avons même le temps de préparer des sandwichs pour la route et nos amis de Detva mijotent vite fait une goulasch minute que nous avalons avant de partir. Pour des raisons du respect des temps de conduite, le bus nous dépose à la Place Stalingrad, où nous devons participer à une présentation de la BD de Johann, et va se garer directement à Saint Denis, afin qu’il puisse ne plus bouger pendant les 9 heures qui nous séparent de notre départ pour la route de retour au pays. Heureusement, que l’équipe d’Angers nous a rejoint, Pierre a pu encore superviser le coup de propre qu’on a donné au château et Jules a pu driver le car à St Denis.

Avec un léger retard nous arrivons à la Rotonde de la Place Stalingrad, où se tient une manifestation organisée par le Réseau Rom du CCFD, qui nous a accueilli et nous a réservé une petite place pour présenter la BD. A cause de ce petit décalage nous attaquons directement, on arrive en chantant, cela attire les chalands et les militants sur place, nous reconnaissons quelques amis venus nous rejoindre, certains avec des appareils photos, d’autres avec leur progéniture dans les bras, et j’improvise une petite présentation en bonne et due forme. Au moment de passer à l’essentiel, à la BD, je me rends compte que je n’ai pas de BD sous la main, tous les exemplaires sont dans la voiture de Pierre, et Pierre est dans les embouteillages… Tant pis, ce sera une présentation virtuelle… et non, juste à ce moment apparait Rodolphe, qui vient d’arriver d’Angers, et brandit fiérement une BD à la main. Sauvé par le gong, tout va bien, la foule peut admirer l’œuvre de notre cher Johann, et ceux qui voudraient s’en procurer un exemplaire pourront le faire tout à l’heure, au chapiteau, car sur le moment, non, on ne peut pas en en vendre, il s’agit d’une manifestation associative, donc toute démarche commerciale est exclue en ces lieux. Nous sommes instantanément happés par Anne Christelle pour participer encore à une autre présentation à l’intérieur d’un café de la place, nous y retrouvons Henry Cuny, avec son dernier roman sous la main, nous avons déjà été cités dans le précédent, c’est avec plaisir que nous échangeons quelques mots, hélas, je n’ai pas vraiment le temps et la disponibilité d’écouter la présentation du dernier voyage des bénévoles du CCFD en Roumanie, j’interviens brièvement en présentant nos activités et le groupe. Puisque le groupe est là, à siroter un coca, on en profite pour pousser une chansonnette, une démonstration de claquettes, et on s’évacue pour rejoindre Saint Denis en RER. En quittant la Place Stalingrad nous avons droit à une démonstration en temps réel d’une bagarre entre les dealers du coin. Heureusement, c’est de l’autre côté du canal, mais ça n’en est pas moins impressionnant pour cela, on croirait une scène d’un triller américain, nous quittons Mr l’ambassadeur, et nous rejoignons à pied la Gare du Nord. La dernière fois que j’ai laissé nos jeunes tout seuls deux minutes en ces lieux pour aller acheter des tickets de métro, ils étaient tout de suite pris en charge par la police en civile, qui croyait débusquer un réseau de clandestins pakistanais ou afghans. Il n’en a rien été cette fois-ci, les policiers nous ont peut-être déjà repérés, catalogués comme des gentils lycéens tsiganes, donc des extraterrestres,  ils nous ont laissé en paix prendre le RER, expérience non dénuée d’intérêt pour ceux qui la vivaient pour la première fois. Mais ce n’était rien à côté de ce qui nous attendait à la Gare de Saint Denis. Le super marché des brochettes rôties au feu de bois ou à l’essence, va savoir… dans des caddies ambulants. Il devait bien y avoir au moins une quarantaine de vendeurs de ce fast food oriental sur la place de la gare, chacun avec son petit fourneau individuel à roulettes, le tout dégageant une fumée relativement dense qui ajoutait des airs romanesques et mauresques à ce tableau digne d’un Delacroix à ces meilleures heures. A cela il faut encore ajouter les vendeurs des Marlboro à la sauvette. Tous les hommes présents sur la place tenaient trois paquets de Marlboro ukrainiennes ou maliennes dans leur main droite, tendue haut au dessus de la tête, on dirait que c’était un signe de ralliement ou un code secret, celui qui n’en avait pas, avait l’air bizarre… Nous avons traversé ce bout de continent africain en catimini, certains n’ont pas pu résister, et ont encore acheté une énième petite Tour Eiffel pour compléter leur collection, et nous avons débarqué au Chapiteau de Camo et Ioanis, Raj’ganawak de son nom, sans jamais comprendre la raison d’un patronyme aussi simple et facile à retenir. Peu importe, l’endroit est vraiment sympa, reconstruit à neuf, sans aucun stigma du passé turbulent, lorsqu’il était installé un plein camp rom, et n’était pas vraiment aux normes bruxelloises… 

Une petite caravane intimiste fait office de vestiaire pour toute la troupe, ce n’est pas grave, on s’installe et on va avaler un kebab au turque du coin, réservé par Ioanis. Le temps de s’asseoir et nous voyons débarquer Cassandra, suivie d’Isabella et son petit, accompagnée par Coralie… Que de vielles connaissances, décidément, nous ne sommes pas en terre inconnue à Saint Denis. Il vrai, qu’on en a fait des choses ici, du temps de Misa et du camp de Hanoul… Au retour au chapiteau, instantanément le Lomnica-manélé se met en place, il y a des micros et des décibels, il n’en faut pas plus pour faire le bonheur de nos musicos qui s’en donnent à cœur joie, et finalement, le spectacle est déjà entamé, puisque le public est déjà sur place, beaucoup d’enfants avec leurs parents, mais aussi des roms roumains, des visages connus, tous ont investi le parquet et une immense discothèque spontanée happe tout ce petit monde en son sein. Il n’y a qu’à mettre les costumes, et on peut, pratiquement sans transition, démarrer le spectacle. Nous faisons trainer un peu le tout, on vient d’apprendre que Johann va nous rejoindre en cours de la soirée, il a pris un avion de Toulouse pour être là, et nous ne voulons pas qu’il loupe le spectacle. Yepce installe un stand pour la vente des BD, je prends le micro pour présenter la soirée, et c’est parti. 

On fait passer d’abord le groupe de Detva, avec leur bande son sur une clef usb. Ca nous fait une première partie. On est comme des stars, comme les Ogres à l’Olympia. Mais ce n’est pas plus mal, ils dansent sur du roumain, ce qui n’est pas pour déplaire aux nombreux roms roumains présents dans la salle… La salle, ou plutôt l’espace scénique que nous partageons avec le public, il n’y a pas de séparation entre la salle et la scène, bref, l’endroit où nous nous trouvons est bourré à craquer. Ioanis me rassure en me certifiant qu’ils ont fermé la porte d’entrée pour ne plus laisser entrer personne afin de ne pas dépasser la dose prescrite. Mais la réalité des choses fait plutôt penser que le quota a été largement transgressé, tellement c’est bourré de partout. Surtout les mômes grouillent dans tous les coins. Je me demande comment on va pouvoir danser parmi toute cette marmaille. Mais, finalement, on y arrive, on pousse le tapis de gamins devant nous, ils sont tous assis par terre, et on attaque. C’est à ce  moment qu’arrivent les Intermèdes. Initialement, ils ne devaient pas venir, occupés par leur Festival de la Pédagogie sociale, au quel nous devions à l’origine participer aussi. Mais il s’est avéré que le Théâtre municipal, alloué à cet effet, se devait de respecter les normes et les consignes de sécurité, et ne nous laisserait monter sur scène que par groupes de douze… Bien que la scène aurait pu contenir facilement la quarantaine que nous étions, il était impossible de transgresser cette réglementation draconienne. Vu que c’était absurde de diviser le spectacle en petites équipes de douze intervenants se relayant sur scène, et comme on voyait qu’ils étaient intransigeants et déterminés, on a laissé tomber, et on s’est rabattu sur le Chapiteau Raj’ganawak, où c’était tout le contraire. 

Pas un centimètre de libre, ni sur scène, ni dans le public, les deux se confondant joyeusement. Les Intermèdes ont réussi à se libérer plus tôt, et une douzaine de jeunes ont débarqué dans le chapiteau archi bondé. Hafsatou en tête, alors je lui lance, va mettre un de nos costumes, ca fait longtemps que je voulais la voir avec une de nos robes, celles des Intermèdes ne sont pas géniales. Elle n’en demande pas plus et court se changer dans la caravane vestiaire qui fait partie de l’espace scénique. Bien sûr, les autres filles, Yaelle, Cassandra, etc., trop heureuses, font de même, sans me demander mon avis, il n’y a pas moyen de les arrêter, et en moins de deux nous nous retrouvons sur cette scène déjà trop petite pour nous, encore plus nombreux et plus serrés. Comme des sardines. 

J’avais dans l’idée de faire participer les Intermèdes à notre production, mais à un moment bien plus reculé du spectacle. Pas tout de suite dès le début. Ca me mettait en pétard, car cela nous empêchait de produire notre spectacle à nous, tel que nous le présentons habituellement. Avec des intervenants extérieurs, même s’ils sont déjà un peu aguerris, comme Hafsatou, c’est sympathique, mais ce n’est pas encore cela, et cela me navrait de ne pas laisser à nos jeunes la possibilité de se montrer au mieux de leur forme. N’oublions pas que nous avions aussi avec nous les jeunes de Detva, qui débarquaient, et étaient encore bien plus paumés que ceux des Intermèdes, qui suivaient pas trop mal dans l’ensemble, il n’y avait que des petits détails qui clochaient, mais il n’y avait que moi qui pouvait les voir. Finalement, ce n’était pas plus mal qu’ils soient montés avec nous, cela leur a fait une expérience formidable, ils ont pu apprendre beaucoup de choses et ils étaient heureux comme tout. Il y avait aussi dans la salle une bonne vingtaine de Tamèrantong. Ils sont de Saint Denis, alors ils n’allaient pas rater ca. Et eux aussi, j’avais prévu de les faire monter parmi nous, d’autant plus qu’ils ont appris le chant hymnique O Roma, et qu’ils le chantent très bien. Donc, allons-y, une brochette de vingt gamins plus la dizaine de moniteurs en plus. N’en jetez plus, la cour est pleine… Pareil, le même problème, c’est ok pour les faire venir, mais comment les faire ensuite repartir ? Ah, la pagaille. Heureusement, nous nous sommes déjà pratiqués, donc ils n’étaient pas trop dépaysés, ils ont immergé le système tsigane, visiblement ravis d’en faire partie et de partager ces moments rares avec nous. A cet instant, il devait y avoir au moins soixante personnes sur l’espace scénique, prévues initialement, une bonne vingtaine a du se rajouter spontanément, bref, presque toute la salle était prise dans un tourbillon de danse et de chant, basé sur un flash mob tsigano béninois et sur des mélopées burkinabées et roms… Dieu reconnaîtra les siens. Heureusement, la coordination avec les anciens, Stefan en tête, était parfaite, tout ce brouhaha, toute cette apparente anarchie, était dans une large mesure sous contrôle, j’arrivais à tenir les rênes des cette chevauchée sauvage, à un moment donné nous avons même réussi à faire revenir le public à sa place, et nous avons pu finir le spectacle, en apothéose, et en faisant de nouveau revenir tout le monde sur le parquet, pour de nouveau distiller le tout dans une discothèque géante lomnica-manelé, reprise sans transition par un DJ appelé pour clore la soirée.   

Sur le moment je n’étais pas très content de moi, et je n’étais pas le seul, c’était trop bordélique, j’ai fait monter trop tôt les externes sur scène. Exténué, tout en sueur, assis dans la caravane, je maugréais contre moi-même. Et puis, j’ai fait la part des choses. Visiblement, tous les mômes étaient archi heureux. Ceux qui sont montés sur scène, ceux, avec les quels c’était prévu, ceux, avec les quels ce n’était pas prévu, ceux qui étaient là par hasard, avec leurs parents ou sans, bref, tous ont vécu un moment magique, inoubliable, on le voyait bien à leurs visages, à leurs sourires, à leur façon de s’éclater à la discothèque qui battait son plein une fois le spectacle fini. Les adultes n’étaient pas reste, d’ailleurs. Alors, de quoi se plaindre. Nous sommes venus pour ça, pour donner du bonheur, pas pour faire des pas de deux. Ce qui n’empêche pas que l’on va s’appliquer et bosser pour donner le meilleur de nous même sur scène, mais cela n’empêche pas de partager et de donner. Si tu veux recevoir, il faut que tu saches donner… Comme disait une certaine Kesaj. Et pas qu’elle…

Une fois rentrés, après le périple de Drietoma et son macadam cowboy, nous devons attaquer la dure réalité, la liquidation matérielle de l´école. Il fallait tout remettre en ordre, nettoyer, ranger, repeindre, afin de restituer les locaux en bon état au propriétaire, du quel nous espérions un prolongement du bail afin de pouvoir poursuivre nos activités à l´abri des intempéries... Alors, toutes les forces vives des bidonvilles ont été mobilisées, et de toute part  des bénévoles, à nous, affluaient pour donner un coup de main. Suivant, le toujours en vigueur, précepte immuable, que rien n´est tel que devraient l´être, c´est Maria, la défaillante, qui est au premier rang, et comme si rien n´était, comme si elle ne nous avait pas jouée de mauvais coup en nous lâchant au dernier moment à la dernière tournée, elle est en tête de file des techniciennes de maintenance  kesaj, qui s´activent à  redonner un coup de frais au bâtiment qui nous a servi d´école les quatre dernières années. Tout en dansant elle passe la serpillère à tous les étages.  Il y a de quoi faire, la foi palie souvent la méthode, on a encore des progrès à faire quand aux procédés employés pour faire du propre, par exemple, pour astiquer le lyno, les filles ont utilisées l´huile de table, je me demande maintenant comment qu´on va faire pour rendre praticable la patinoire que sont devenus les sols des classes... Mais, ces efforts ne furent pas vains, hier, le propriétaire est passé, et a accepté de nous prolonger le bail, donc sauvés, nous pourrons continuer sur place, en jouissant que du rez-de-chaussé, car nous n´aurions pas de quoi payer le loyer de tout le bâtiment, et nous n´en avons pas besoin d´ailleurs, les deux classes du bas nous suffisent amplement.

Une petite réunion improvisée s´est tenue hier dans nos nouveaux anciens locaux. En effet, spontanément, les anciens élèves viennent nous retrouver après leurs cours. On bavarde, ils nous racontent comment c´est dans leurs nouvelles écoles. Les délicieux moments des comparaisons... On peut se rendre compte, à quel point ils se sont tous identifiés à notre façon de faire. Que ce soit les anciens élèves, ou les anciens du groupe, tous se reconnaissent dans notre façon de faire basée sur la discipline, le respect, et le travail. Les uns et les autres racontent leurs expériences, leurs ressentis, leurs indignation de voir des maîtres dire des gros mots, ne pas respecter les élèves, faire n´importe quoi. Alors que chez nous, c´était autre chose... On évoque les tournées, la dernière, au cours de la quelle nous avons pu nous confronter aux nouveaux de Detva, on parle aussi de la façon de se comporter d´autres jeunes  que nous avons eu  l´occasion de découvrir récemment. J´ai l´impression d´assister à une véillée de vieux troupiers, qui racontent leurs campagnes militaires, comme ils en ont bavé, mais comme ils sont fiers d´appartenir à un corps d´élite, conscients de faire partie d´une unité exceptionnelle, qui a vécue des moments de gloire, au front, au combat, sur le terrain... D´ailleurs, ça n´en fini pas, les bagarres... je ne vais pas entrer dans le détail, mais c´est toujours la même chose, une violence présente au jour le jour, la réalité du terrain, loin de Bratislava, loin des cabinets d´orientation pédagogique. Alors, cela fait d´autant plus plaisir, de constater cette prise de conscience chez ces jeunes, issus de ce milieu spécifique que sont les osadas. Il n´est pas aisé, voir impossible, de faire la part des choses objectivement. On ne peut pas mettre complètement de côté l´émotionnel et de rester que dans du strict rationnel. En étant acteur de terrain il ne peut pas en être autrement. Comme le dit Alain Reyniers, les osadas sont l´humanité à l´état pur. Avec tout ce que ça comporte, de bon et de moins bon... Là, pour le moment, nous sommes dans un bilan positif  :)