Détail du détail

 

Nous sommes à deux jours du départ. Les petits malins de Rakusy sont revenus, mais rien ne dit qu´ils ne vont pas encore changer d´avis dans les prochaines heures. Je connais parfaitement la situation qu´ils vivent au bidonville. Les „mais vous êtes fous de danser pour rien“, „ ils donnent à tout le monde et pas à vous“, „ça vous sert à quoi de bosser comme des malades pour rien“, etc. Les commérages et calomnies vont bon train. Il y a en a qui disaient qu´ils étaient payés par nous, qu´ils recevaient 200, 500 eu par mois… et vas y, on en rajoute encore. Bien sûr, on n´a jamais payé personne, mais dans un plaisir morbide, les malheureux (qui ne font pas partie du groupe) essaient de rendre les chanceux (ceux qui font partie du groupe) tout aussi malheureux qu´eux, et inventent tout et n´importe quoi pour qu´ils ne partent pas en tournée, pour qu´ils ne puissent pas s´échaper du giron du bidonville, pour qu´ils restent semblables aux autres, unis dans la fatalité de la misère… C´est un scénario vieux comme le monde des kesaj, ne reste qu´à attendre le résultat des courses. Je passe au Bureau de Police pour savoir si les passeports sont déjà arrivés. Normalement, ils devraient être là. Mais il y a eu des jours fériés, ça ralentit le tout. La fonctionnaire, sympa, regarde le registre, les passeports sont partis hier de Bratislava, normalement, demain ils devraient être sur place. Je n´arrête pas de compter et recompter les adeptes au départ. Les chiffres varient de 12 à 26, en fonction des commérages, des papiers et de tout un tas de choses inqualifiables et inimaginables. Maintenant qu´on a enfin trouvé un gros bus, il ne manquerait plus que l´on parte à moitié vide. Le soir, alors que j´en suis à refaire la entième liste des participants, Matej me téléphonne en me disant qu´il s´est cassé la jambe, qu´il n´a rien à se mettre sur les pieds, pas de chaussures, donc il faut lui en acheter, et que je vienne sur le champ l´amener aux urgences. Complétement sonné après toutes ces journées de stress, je lui rétroque qu´il peut aussi bien appeler Vlado, un adulte de son bidonville, avec le quel ils viennent de fonder un groupe, avec le quel ils vont devenir des stars, mais pour l´instant c´est encore nous qui leur prêtons notre sinthé pour jouer, donc il n´a qu´à y aller avec lui, puisqu´il est sur place. Matej me répond furax, que si c´est comme ça, il ne vient plus et ne partira pas avec nous. Parfait, ça en fait un en moins. On a une disproportion de garçons par rapport aux filles, donc ça tombe bien. C´est dommage, car il a de la voix, et on en manque, mais on ne va pas lui courir après, s´il fait le malin il n´a qu´à rester à la maison. Il rappelle quelques instants plus tard, en disant que de toute manière nous donnons de l´argent aux autres et pas à lui, toujours la même rengaine, que nous avons donné 50 euro à la mère de Marcel, alors il ne part pas. Bien sûr, ce n´est pas vrai. Sans doute Marcel lui a raconté ça pour le faire marcher, et ça a parfaitement réussi, il est tombé dans le panneau, ça en fera un de moins. Son frère Jakub, reste toujours sur ses positions, on ne comprend pas pourquoi, mais il est buté, il ne veut plus rien avoir avec nous. Il reviendra à notre retour de tournée, pareil, on ne sait pas pourquoi. Derrière tout ça il y a des ragots, des calomnies, qui, hélas, constituent une part prédominante de l´art de vivre de tous les jours des bidonvilles, mais au stade où nous en sommes nous n´avons absolument pas le temps, ni la force et ni la volonté de réagir. Que le destin s´accomplisse, de ces problèmes, nous en avons déjà parlé d´innombrables fois, alors que chacun fasse comme il veut, et assume sa part de responsabilité et de bêtise. S´il ne s´agit pas vraiment de cas cruciaux, nous n´intervenons pas.


 

Les passeports

Nous sommes vendredi, à un jour de départ. Il est midi, normalement la police envoie un sms lorsque les passeports arrivent, et là, toujours rien. Je décide d´aller au poste pour en avoir le coeur net. Il y va quand même du sort de 5 mômes. Juste avant d´arriver à Kežmarok, je reçois un coup de fil de la part des parents, que ça y est, le sms est arrivé, les passeports sont là. Je pile sec, fais demi-tour, et je fonce au bidonville pour prendre les parents afin qu´ils viennent récupérer les passeports. Juste avant d´arriver au bidonville je recois un autre coup de fil. Fausse alerte. Il n´y a eu aucun sms, c´était Zdenka, la soeur ainée des mômes qui leur a dit que les passeports sont arrivés, elle a menti, elle a dit ça pour leur faire plaisir… Je repile, demi-tour, je fonce de nouveau au service des passeports, je saute la file d´attente, la préposé m´apprend que les passeports viennent d´arriver! Il est midi trente, le bureau ferme à 14h, vite, retour au bidonville. Heureusemnt il n´est qu´à 10 km, mais il y a de la circulation, et il pleut, la route est mouillée. Je fonce, Helena est dans tous ses états, je prends le deux mères, je leur demande est-ce qu´elles ont leurs cartes d´identités et les formulaires, oui, elles tiennent le tout dans leurs mains, on fonce à Kežmarok. Il est 13h. Il faut qu´elle fassent la queue, espérons que les fonctionnaires vont réussir à délivrer tous les passeports à temps, avant 14 h. Je pars régler d´autres choses, elle n´ont qu´à m´appeller quand tout sera fini. A 13h30 je recois un coup de fil, une des mères s´est trompée, elle n´a pas pris sa carte d´identité, mais celle de sa mère, donc la grand-mère des trois des cinq petits aux quels on a fait faire les passeports, et en aucun cas on ne peut les lui délivrer, il faut qu´elle apporte sa carte d´identité à elle. Zdenko, son mari, n´a qu´à la chercher, elle doit être cachée derrière la télé. Je teléphone à Zdenko, lui dis où chercher, et je fonce au bidonville pour récupérer la fameuse carte. Entre temps il me rapelle, il n´arrive pas à la trouver. Je rapelle Kežmarok, on me dit qu´il faut qu´il cherche mieux, elle est certainement derrière le poste. J´arrive au bidonville, Zdenko n´a toujours rien trouvé. Je lui dis alors de venir avec moi à la Police, il n´a qu´à récupérer lui-même les passeports en tant que père. Il ne peut pas, il doit attendre un gars qui doit venir le chercher pour aller bosser (le gars ne viendra pas…). Alors, sans grand espoir, il est déjà deux heures moins dix, je fonce de nouveau à Kežmarok pour récupérer la mère qui n´a pas sa carte d´identité pour qu´elle vienne la chercher elle-même, peut-être que le Bureau des passeports fermera un peu plus tard… Lorsque je retrouve les deux mamans il s´avère que ce n´est pas l´épouse de Zdenko qui n´a pas sa carte d´identité, mais c´est l´autre maman, Anka, l´information par téléphone est mal passée, et Zdenko a cherché pour rien, et surtout, on a perdu un temps précieux… qui nous est maintenant compté, puisqu´en retournant à toute trombe à Kežmarok, avec Anka et sa carte d´identité, nous voyons marcher sur le trottoir la foncionnaire du Bureau des passeports, il est 14h10, les portes du bureau ferment automatiquement, elle n´a pas pu nous attendre. Tout ce cirque pour rien! Sur les cinq passeports nous n´avons réussi à en obtenir que deux, cela fera trois gosses qui ne pourront pas partir. Tant pis, on n´a pas le temps pour les émotions, c´est dommage pour la troupe, car ce sera les moins performants qui partiront, et les autres, ce sera pour une autre fois. En tout cas, cela nous a bien occupé la veille du départ…

Mais il serait trompeur de croire que les histoires de fous s´arrêtent là… Nous n´étions qu´en début d´après-midi, il restait encore une vingtaine d´heures avant le départ, et elles allaient être bien remplies… Bien sûr, avec tout ça, il y a les indispensables préparatifs au départ, les costumes, le ravitaillement pour la route, il faut que tout soit prêt. Heureusement, Štefan et quelques anciens sont autonomes à ce niveau, et sous les directives de Helena, ils arrivent à faire les courses, cuisiner les boulettes de viandes, faire les sandwichs, empaqueter le tout pour le départ, prévu le lendemain à 10h. Le soir, il fallait s´y attendre, Roman (notre unique musicien) m´appelle pour amener sa fille aux urgences, elle a de la fièvre, elle tousse, n´arrive plus à respirer. Cas banal, plus d´une fois on a fait le voyage à l´hôpital pour s´entendre dire que ce n´est qu´une bronchite, mais la veille du départ, il est évident que si Roman n´est pas rassuré quand à état de santé de sa petite, il ne partira pas en tournée. Alors je fonce à l´autre bidonville, à une demi-heure de route de là, et je ramène la petite famille aux urgences. A peine arrivés, je reçois un coup de fil de Zdenko, le père des deux gamins aux quels nous avons réussis à faire faire les passeports. Ils n´ont pas de slips et pas de chaussettes, il a honte de me le dire, mais ils ne pourront pas partir comme ça. Je connais ce genre de chantage, à moitié vrai, mais je n´ai absolument pas le temps d´aller avec lui au Tesco qui est ouvert jusqu´ à 10h du soir pour de telles babioles, ni de faire de la pédagogie sur mesure, et je me dis tant pis, ce serait bête que les deux gamins ne partent pas pour ça, alors j´achète vite fait deux paires de chaussettes et de slips dans la superette en bas de chez moi. Pendant ce temps la fille de Roman a eu les résultats de la radio aux urgences, ce n´est pas une pneumonie, le papa pourra partir avec nous tranquille. Je les ramène à leur bidonville, mais avant ça, je passe par celui de Zdenko, pour lui balancer par la vitre les chaussettes et les slips. Il m´attend au bord de la route avec toute sa tribu, avec le dernier né de quelques mois dans les bras, torse nu, il pleut, il fait froid, c´est pas grave, le tout c´est de récupérer son dû. Du moins c´est ce qu´il croit. Comme je le dis, dans des situations pareilles, on a pas le temps de faire dans le détail, ni dans la pédagogie, on va à l´essentiel, la priorité c´est de faire partir les mômes avec nous, alors tant pis pour le paternel et ses petits jeux bébêtes de vouloir à tout prix abuser de la situation, on réglera ca plus tard, au retour. Donc je balance les deux slips et les chaussettes à Zdenko en faisant demi-tour en trombe, et je fonce amener Roman et sa petite famille dans leur bidonville, pour pouvoir enfin, vers onze heures du soir, complètement épuisé, rentrer chez moi, et faire mes bagages pour le départ du matin. Enfin souffler un peu. Il est minuit, je vais me coucher, il va falloir se lever tôt pour aller encore chercher Roman et arranger les mille et une autres choses avant le départ. Il faut un minimum de sommeil pour assurer toute la dépense physique et psychique qui m´attend. Mais non, ce n´est pas encore fini. Le téléphonne sonne. C´est Zdenko, furax, il me dit que qu´est ce que c´est que ça, que je lui ai balancé de vielles chaussettes par la fenêtre de la voiture comme à un mannant, que je l´ai humilié, et que ses gosses ne partiront pas. Espèce de vieux bourricot, je les ai balancé parce que je ne savais plus où donner de la tête, les chaussettes et les slips sont tout neufs, tu n´as qu´à regarder les étiquettes qui sont encore achrochées dessus, et puisque c´est comme ça, tu es bête et stupide comme un âne, alors tu as raison, tes mômes ne partiront pas! Je lui raccroche au nez, tant pis pour les gamins, il y a des limites à tout, le paternel a trop poussé le bouchon, ses mômes resteront à la maison.

La nuit fut courte, le matin, je récupère Roman, avec Véronika, sa compagne, en prime, inicialement elle ne devait pas partir, pour s´occuper de la petite, entre-temps les choses ont changé, la petite a guérie comme par enchantement, donc ce sont les beaux-parents qui vont la garder et la maman part avec nous. Elle nous est parfaitement inutile, au contraire, on n´est jamais à l´abri d´un de ses soudains coup de folie imprévisibles, mais on ne va pas s´en offusquer, on la prend, de toute manière on n´a pas le choix, si on veut que Roman, notre unique musicien, vienne avec nous. Reste la question de quoi va vivre la petite plus toute la tribu pendant notre absence, mais nous refusons de les entretenir, de toute façon quoi qu´on leur donnerait, ce serait dépensé dans l´heure qui suit, alors on leur laisse vingt euro, et on embarque le jeune couple avec nous. Arrivés à Kežmarok tout va bien, Štefan s´est démené comme un pro, tout est prêt, les costumes, les provisions, en plus de ça, tout le monde est là, on peut partir. C´est là que je reçois un coup de fil. De nouveau Zdenko. Je n´ai pas la moindre envie de lui parler, mais je décroche quand-même. Ce n´est pas Zdenko, il a trop honte, mais c´est Klement, son fiston de 7 ans, qui me demande en pleurant s´il peut partir avec nous. Et papa te laissera partir?! Je suis en pétard contre cet imbécile de Zdenko, mais le môme pleurniche, et je n´ai pas le coeur de lui dire non. On embarque les bagages, et on fera une halte en passant par Lomnica, qui est à dix minutes de route. Tous sont là, le petit Klement et son frère Kevin avec leur mère, le père a préféré s´abstenir. Klément a les larmes au bord des yeux, les autres lui disent encore de réfléchir, peut-être qu´il vaut mieux rester à la maison. Mais non, il n´a pas peur, il veut partir avec nous. Moi, je n´ai absolument pas le temps de m´attarder à ces détails, allez, tout le monde dans le bus, et on trace.


 

Le trajet

Ouf, je peux enfin respirer un peu. Tous sont assis sagement sur leurs sièges, les gros sourires illuminent les visages, manifestement heureux de partir de nouveau à la grande aventure et quitter ne serait-ce que pour quelques jours les mésaventures de tous les jours qui constituent leur quotidien au bidonville. On a de quoi faire, nous avons pris un peu de retard en partant et il faut arriver avant la fin de journée à Prague pour le spectacle du soir. On fera le moins de pauses possible, juste ce qu´il faut pour les toilettes et pour avaler les escalopes et les boulettes de viandes cuisinées par Štefan et sa maman. Le petit Klement sanglotte de temps en temps, c´est pas grave, c´est normal, c´est la première fois qu´il part avec nous, ça passera. Les autres le rassurent, rigolent, prennent des photos, on roule en direction de l´ouest. Coup de fil. C´est la maman de Klement. Les grands ont eu la lumineuse idée de lui envoyer les photos de son gamin en train de pleurer, et ça n´a pas tardé, elle nous appelle pour qu´on le ramène à la maison. Bon, on est déjà à deux cent bornes de Kežmarok, on ne va pas faire demi-tour pour ça, et ce serait bête qu´il rate ce grand voyage avec nous. Je dis à la maman que ce n´est rien, on s´en occupe, les enfants ça pleure toujours, ça passera… Je lui passe le gamin pour qu´elle le calme et on continue la route. Les km passent vite, le petit s´est calmé, on approche Prague, mais ça n´empêche pas, cette fois-ci Zdenko en personne, de nous rappeler, pour nous enjoindre de ramener le petit Klement fissa, sinon ça va barder, il viendra le chercher lui-même, à nos frais. Toujours aussi sympa et délicat! Bon, il n´est pas question de revenir et de faire 1 600 bornes pour faire plaisir à cet enfoiré de Zdenko, mais je sens que ça pose problème. Pour l´instant on arrive à Prague, il faut gérer le spectacle, la tuile de Klement, ce sera pour tout à heure. L´étape de Prague était concoctée par Barbora, une jeune tchèque, qui travaille dans le social avec les Roms, qui nous a rencontré il y a de ca quelques années lors de la première de notre film Jenica et Perla à Prague, on s´est dit alors qu´on va se retrouver un jour, et voilà que cela s´est fait. En sachant qu´on allait passer par Prague, elle nous a organisée ce spectacle qui nous permettait de faire une halte sur l´aller de notre tournée. Elle est venue nous rendre visite chez nous un mois avant, et elle s´est démenée pour que tout se passe au mieux. La soirée se passait dans un lieu légèrement alternatif, mais bien sous tous les rapports, tout était ok au niveau de l´hygiène, de l´état des lieux et du public. Une excellente goulash nous acceuillait à notre arrivée et on était prêts pour monter sur scène. Cela constituait en même temps une occasion de roder le spectacle, ce qui n´était pas plus mal. Entre temps Zdenko continuait d´appeler en nous menaçant de nous dénoncer à la police, je ne prenais plus ses appels, il fallait démarrer la production… Le spectacle à peine commencé, voilà que le petit Klement remet ça, il repart en sanglots. Ambiance. Chouette comme image pour les spectateurs, ils vont croire qu´on est des bourreaux de gosses. De toute évidence Klement est très fragilisé au niveau émotionnel, le milieu familial y doit être pour quelque chose… C´est souvent le cas avec des gamins venant des conditions extrêmes, quant ils se retrouvent dans un environement inhabituel ils n´arrivent pas à gérer leurs émotions et ça se traduit par des sanglots. C´est pas grave, ça passe, au bout de quelques jours ce n´est qu´un mauvais souvenir. Sauf que là, nous avons Zdenko en tant que conseiller pédagogique, et ses menaces de dénonciations à la police ne sont pas à prendre à la légère. Pour l´instant je dois assurer sur scène, Helena s´occupe du petit et pour le reste on verra plus tard. Le spectacle se passe très bien, nous avons pas mal d´amis dans le public, c´est un plaisir que de jouer pour eux. A l´origine il était prévu que l´on dorme dans une salle de gym, sur des tatamis, mais quand Barbora m´a fait part de ce plan logement, j´ai appelé mon pote d´enfance Pavel, qui s´en sort pas trop mal, PDG à Prague d´une grosse entreprise internationnale, il nous a trouvé un hostel tout ce qu´il y a de top dans le genre et c´était un bonheur que de pouvoir s´y calfeutrer pour une nuit. En effet, avec le temps je deviens plus pantouflard, je m´embourgeoise, et quand je peux, je m´arrange pour trouver d´autres combines, que celles qui ont été notre quotidien pendant des années lors de nos sorties internationnales. Combien de fois nous avons dormis dans des endroits pas imaginables, par terre, dans des gymnases, sur des chantiers, des squats, etc… Mais maintenant, je n´ai plus le coeur à faire subir de telles conditions à Helena, je le dis tel quel, et je me débrouille pour trouver d´autres solutions. Alors un coup de fil à Pavel a résolu ce petit problème épineux, et nous avions où dormir comme des princes pour deux nuits. S´il n´y avait pas cet émergumène Zdenko qui ne lâchait pas prise, on serait comme au paradis. En effet, il devenait évident qu´il faut trouver une solution. On le savait capable de tout, et ses élucubrations risquaient sérieusement de mettre tout le projet en péril. Mais que faire? Le rapatriement du petit Klement devenait inévitable, le tout était de savoir comment y prendre. Il ne pouvait pas voyager tout seul, laisser partir Štefan pour l´accompagner était vraiment compliqué par rapport ensuite à son retour vers le groupe. Et Zdenko a amélioré son couplet, maintenant non seulement il voulait récupérer Klement, mais en plus il voulait que l´on prenne avec nous sa fille Zdenka, celle qu´il refusait de laisser partir il y a un jour encore. Sinon ça allait barder, soit il prenait un taxi à nos frais pour nous retrouver à Prague, ou encore mieux, il nous dénoncait à la police et le tour sera joué. Du n´importe quoi. Mais dans un milieu où la délation même envers les tout proches fait partie du rituel quotidien des relations sociales, ses menances ne sont pas à prendre à la légere. Nous étions à l´hôtel, je laissais les grands gérer les coups de fil de Zdenko et je cogitais les scénarions possibles du rapatriement du petit Klement. Qui s´est d´ailleurs calmé depuis, et ne voulait plus rentrer… La seule solution envisageable était de la faire partir avec Tomáš, un de nos anciens qui était en ce moment à Prague, était venu nous voir, a participé au spectacle, et par enchantement, devait rentrer le lendemain à Lomnica pour se faire refaire sa carte d´identité qu´il venait de perdre. Tomáš est le cousin direct de Klement, alors il pourra l´amener avec lui. On lui ajoutera aussi Kevin, le grand frère de Klement, comme ça ce sera fait, on n´aura plus affaire à Zdenko. On lui fait passer le message, ça le calme pour le moment et le lendemain matin, au moment de notre départ, on se sépare des deux gamins que l´on confie à Tomáš pour le voyage retour. C´est un peu risqué, parce que Tomáš n´a pas de papiers sur lui, il vient de perdre sa carte d´identité, mais c´est toujours mieux que Zdenko avec son artillerie de menaces et invectives. Juste quelques mots à propos de Zdenko. On le côtoie depuis longtemps, mais sans l´approcher plus que ça. Ses gamins viennent au groupe, pas très régulièrement, ils ne sont absolument pas performants, mais connaissant leur origine sociale, sachant qu´ils vivent dans une misère absolue, nous leurs gardons une place au sein du groupe. Donc Zdenko, on ne l´apperçoit que de temps en temps, jamais il ne viendrait accompagner ses gosses en répétition, on le voit juste comme ça, au hasard de nos allées et venues au bidonville. Zdenko a l´air très bien. Toujours très poli, bien de sa personne, la barbe bien taillée, souriant, il engage plutôt la confiance. Pour un peu, il passerait pour un intellectuel ou philosophe bobo. En tout cas bien élevé… Mais, avec les années de pratique, nous ne pouvons que constater que ce genre d´individus, présentant très bien, que l´on croise inopinément de temps en temps lors de nos pérégrinations sur les terrains, faisant croire à une rencontre illuminée, sont en général sources de très mauvaises surprises, tout à l´opposé des espoirs qu´ils suscitent... Comme quoi, il ne faut surtout pas se fier aux apparences.


 

Mimoň

De Prague à Mimoň, notre prochaine escale, il n´y a qu´une centaine de km, nous arrivons vers midi, juste le temps de se mettre à table. Nous sommes accueillis par Romana et son mari, un couple de travailleurs sociaux ayant en charge la jeunesse rom du coin. Mimoň est un petite ville du nord-ouest de la Tchéquie, comme beaucoup d´endroits semblables, elle a subie une forte migration des roms slovaques dans les années d´après-guerre, et se retrouve maintenant avec une population rom relativement nombreuse, urbaine, avec des problèmes de cohabitation semblables à ceux des banlieues françaises. Nos amis nous ont connus lors d´une de leurs sorties slovaques, et ce n´était qu´une question de temps que l´occasion se présente pour que l´on puisse passer chez eux. Voilà qui est fait, et nous pouvons découvrir leur structure et les jeunes dont ils s´occupent. Ils ont aussi fondé un groupe de danses, très sympathique et dynamique, ils feront la première partie de notre programme ce soir. Les roms tchèques, dans la très grande majorité tous originaire de Slovaquie, sont, ou plutôt ont été relativement bien intégrés dans la société tchèque. L´intégration ne posait aucun problème sous le régime précédant, tout le monde avait du travail, c´est pour ça qu´on les a fait venir de Slovaquie, et ça roulait tout seul. Tout cela a changé après les changements politiques. Plus de travail, que des problèmes… bref, on se retrouve avec un modèle de cohabitation à la banlieue francaise, et bonjour les dégâts, les travailleurs sociaux ont de quoi faire. Quand nous pouvons, nous cherchons à initier des rencontres avec ces populations. Par définition, ils sont beaucoup plus acculturés que les nôtres, pour la plupart ils ne parlent plus la langue rom, n´ont pas les codes culturels ni sociaux de leurs ailleuls. Une rencontre avec notre groupe palie naturellement à tout cela, et de plus, avec la discipline de travail qui est caractéristique pour notre collectif, on fait passer un message pédagogique et social tout ce qu´il a de plus concret et porteur. Et tout ca dans la joie, et la bonne humeur, alors pourquoi s´en priver. La rencontre se passe très bien. D´abord en spectacle, dans la salle des fêtes locale, pleine à craquer, c´est à croire que tous les Roms de la région sont là. Il va sans dire que le succès est phénoménal, d´autant plus que la fête continue spontanément encore après notre production, les spectateurs, jeunes et vieux, continuent à danser et chanter avec nous jusqu´à la fermeture des portes. La discothèque se poursuit ensuite dans un mode plus réduit, juste avec les membres du groupe local, au centre social, cela permet de faire mieux connaissance, au bout de quelques minutes ils seraient tous prêts à partir avec nous le lendemain… Bien, mission remplie, cela fait du bien de retrouver un peu de sérénité après les déboires de notre départ causés par Zdenko. Vraiment, quel imbécile, ses fils auraient été tellement bien ici… Le soir nous avons la chance de bénéficier pour encore une nuit de la générosité de Pavel, et nous dormons cette fois dans un endroit paradisiaque, un immense chalet appartenant au club de golf du coin, le nec plus ultra en terme d´habitat pour nous. Le matin un petit déjeuner titanesque courronne cette étape hors du commun et nous poursuivons en direction de Paris. Après le départ de Klement et Kevin nous ne sommes plus que 22, ce qui est très peu, il nous arrive que très rarement de partir si peu nombreux. Ca sera plus simple pour les hébergements, mais j´aurais préféré que l´on soit plus, c´est plus efficace pour le spectacle, et surtout, autant que le plus possible de jeunes puissent profiter de cette aubaine.

La route est longue, nous en avons pour une vingtaine d´heures. Pour passer le temps nous passons des films, dont aussi ceux dans les quels nous figurons. Jenica et Perla, Cigan, Kesaj Tchave les enfants de la fée. Les organisateurs les ont projetés avant notre arrivée à Prague, mais ils sont aussi programmés régulièrement dans des salles ou des festivals, comme par concours de circonstances, hier lors de notre spectacle à Mimoň, il y a eu aussi la première du film de Pau Aleixandri, Kesaj Tchave les enfants de la fée tsigane, en Italie, et la veille, c´était la reprise de Jenica et Perla à Prague.

Trocadero

 

Nous arrivons à Buno vers minuit. Le château, toujours prêt à nous accueillir à bras ouverts, encore une histoire de miracle… Le temps de s´instaler, se rassasier, prendre des douches, faire la cuisine pour le lendemain, il n´est pas loin du matin lorsque tout le monde est enfin couché. Aven Savore seraient bien venus nous rejoindre dès le matin, mais nous avons insisté pour qu´ils ne viennent qu´en début d´après-midi, afin que l´on puisse récupérer un peu après ce démarrage de la tournée en trombe. Donc ce n´est que vers les 15h que nous attaquons ensemble une grosse répétition grandeur nature, comme nous en avons le secret, qui se poursuivra jusqu´en début de la soirée et se terminera par un repas pris en commun. L´année dernière il y a eu comme du flottement dans nos relations avec ce groupe que nous avons réussi à initier avec les Intermèdes-Robinson, le relationnel n´est pas toujours évident, surtout lorsqu´on a affaire à des néophytes dans la pratique artistique, mais il faut passer ces petits caps difficiles et profiter des occasions qui se présentent pour donner aux jeunes de Chilly un peu de notre savoir-faire et partager la culture rom dont nos jeunes sont des porteurs par excellence. 

Comme nous sommes moins nombreux que d´habitude, la répartition pour dormir se fait plus facilement, les filles sont toutes dans une chambre et les garçons sont répartis dans les autres, plus quelques uns sur des matelas dans le couloir central. Pour le lendemain la météo a prévu du mauvais temps, alors nous sommes perplexes quand à le tenue de la manifestation sur le Parvis des Droits de l´Homme que nous avons organisé et préparé depuis un mois. S´il cela ne tenait qu´à nous, c´est simple, on annule tout et on reste à la maison, au château. Un peu de repos ne serait pas de refus. Mais pas mal de personnes étaient concernées, nous avons diffusé l´info de tous les côtés, et tout ce petit monde s´apprêtait à venir battre le pavé avec nous sous la Tour Eiffel. Donc c´est avec le coeur serré que nous prenons place dans le bus vers midi pour être sur place à 14 heures, sachant que la météo peut nous jouer des tours une fois sur place. Nous n´avons pas à suffrir des barrages des Gilets jaunes, sans doute le mauvais temps a tempéré leur détermination, on parvient sans encombres un peu avant 14 heures au Trocadéro. Sur le Parvis, comme d´habitude, une nuée de vendeurs à la sauvette africains nous tombe dessus, on connaît la chanson, les jeunes arrivent même à obtenir quelques petites tours gratuitement en guise de cadeau. Décidément, l´expérience paie. Un autre comité d´accueil, des CRS en grosse tenue de combat sont très présents, on sent que l´atmosphère est tendue. Nous n´avons même pas essayé de déposer une demande auprès de la Préfecture de Police, comme les autres années, avec tout le bazar autour des Gilets jaunes, était cause perdue d´avance, on aurait essuyé un refus, alors on a pas insisté. Par contre j´ai essayé timidement d´expliquer au premier CRS à ma portée l´objectif de notre intervention, on va juste chanter une petite chanson, on a pas de gilets jaunes sur nous ni parmi nous. Il ne comprend pas grand chose, mais hoche de la tête en disant qu´ils ne sont pas des sauvages, qu´on peut faire ce qu´on veut… Bon, on verra. Heureusement un autre comité d´accueil, beaucoup plus sympathique, nous attend sur place, nous sommes ébahis de voir une bonne vingtaine de jeunes tenir audesssus de leurs têtes un énorme bandereau avec inscrit dessus „Kesaj - Fénelon“ et tout sourire se tourner vers nous. Je savais que les jeunes de la classe Ulise du Lycée Fénelon de Brest devaient venir, mais je ne pensais pas qu´ils seraient aussi nombreux et aussi bien équipés. Prêts à manifester. Deux de leurs profs les accompagnent, ils ont tous des feuilles de papier à la main, avec dessus, tout plein de questions qu´ils désirent poser à nos jeunes. Cela fait maintenant presqu´un an qu´ils sont sur le projet de rencontre avec nous, et là, une étape importante, la première rencontre, est en train de se réaliser. On sent une grande attente et beaucoup d´émotions de leur côté. Sur le champ, il faut relever le défi, les nôtres ne sont pas trop portés sur l´expression verbale, alors je prends l´initiative, je traduits les questions, et pour faire plus vite, nous sommes quand-même dans le stress par rapport à la météo et aux CRS, j´anticipe les réponses, bref j´improvise un briefing grandeur nature, tout en scrutant le ciel qui ne promet rien de bon, il est évident que ça va barder, ça s´assombrit de tous les côtés. Nous attendons pour démarrer, car les Tamèrantongue ne sont pas encore là, mais ils ne devraient pas tarder, on m´assure au bout du fil que ce n´est qu´une question de minutes et ils arrivent. On se met en place pour démarrer notre intervention, on est plus à l´aise pour chanter et danser que pour répondre aux innombrables questions spécialisées de nos jeunes lycéens de Brest.  Pendant ce temps, le ciel continue à se noircir, ce n´est pas un orage, mais un déluge qui se prépare dans l´immédiat et la fin du monde dans les instants qui suivent. Les CRS, pas bêtes, ont déjà évacué, c´est déjà ça, au moins ils ne pourront plus nous interpeller, on reçoit l´aviso que les Tamèrantong sortent du métro, alors on attaque. La météo est sincro, pile, les premières gouttes commencent à tomber. Et c´est des grosses gouttes. Elles sont rapidement transformées en grêlons, et c´est le ciel tout entier qui nous tombe instantanément sur la tête. La catastrophe. La panique. Que faire?! Il est évident qu´il faut évacuer au plus vite. Heureusement, il se produit le contraire de ce que l´on attend, au lieu de la panique complète c´est la rigolade totale. Maria, l´égérie du groupe, la forte tête a, comme toujours, une réaction absolument opposée à ce que l´on pouvait s´attendre, au lieu de faire la grimace et pleurnicher, faire la tête, elle se met à rigoler d´un de ces fou rires dont elle a le secret, contagieux et irrésistible, tout en continuant de chanter et de danser, alors, tout le monde suit, et c´est en rigolant comme des fous, dans un élan de folie collective, que nous quittons ce Parvis des Droits de l´Homme Mouillé, trempés, crachant les grêlons pour pouvoir chanter, le célèbre Singing in the rain grandeur nature, en mode tsigane. 

Où aller?! Déjà partir, c´est l´essentiel, on fonce en direction du métro, et c´est là que l´on aperçoit, sous la voûte de l´entrée du Musée de l´Homme, massé en attroupement ultra serré, comme des sardines, un condensé de l´humanité toute entière. Les touristes des environs ont eu la même idée que nous, se réfugier en catastrophe sous le premier abri à la portée de la main, alors nous nous joignons aux péruviens, américains, chinois, vietnamiens, allemands, japonais, polonais, et qui sais-je encore, bref, le monde entier, nous fusionnons tous dans une masse compacte et uniforme de pardessus et vestes mouillées, on dirait l´Arche de Noé, en tout cas, le déluge était déjà au rdv, le décor est au top. Que faire maintenant? Tous les regards des nôtres sont rivés sur moi, dans l´attente de quelque chose que personne ne pouvait définir, puisque c´était moi l´auteur de ce projet fou, donc j´était le seul sensé de savoir ce qui était prévu. Sauf qu´il n´y avait rien de prévu en cas de pluies et orages, je ne suis pas un spécialiste de manifestations, ni politiques ni météorologiques, alors j´entamme la seule chose qui est de mon ressort, on commence à chanter, il n´y a pas de place pour danser, donc on ne peut pas rabattre sur des extrait de notre programme, on se contente de tourner en boucle un refrain tsigane quelconque, que j´agrémente en désespoir de cause d´un tonitruant Les copains d´abord, que l´on altère avec l´Education d´abord au refrain suivant. A ma grande surprise, le succès est total, tout le monde suit, les nôtres, sans comprendre la signification profonde ni première des slogans, les reprennent joyeusement en phonétique avec moi, les français, ravis, retrouvent leurs repères fondamentaux des fils de la patrie toujours prêts à se ranger en bataillons pour défendre des nobles causes, se joignent avec verve et exaltation à nous, et les touristes du monde entier, comprenant qu´ils ont affaire à une matérialisation impromptue de ce qui est par excellence de plus profond de la culture et du caractère français, ne veulent pas rester en reste, et spontanément se mettent à l´unisson de cet élan universel révolutionnaire que nous sommes tous en train d´accomplir sous la voûte du Musée de l´Homme. Le bâtiment n´a jamais aussi bien portée son nom. Je suis au milieu de cette masse universelle, tel un torero dans une arène avec les spectateurs et le taureau au corps à corps, sans un centimètre de place libre, alors je tourne en rond sur moi-même et je continue à lancer des Les copains d´abord, et l´Education d´abord à tout va. Toujours le même succès, la reprise des choeurs est instantanée, nous nageons au sens figuré et propre, dans un bonheur et une exaltation quasi mystique, les regards émerveillés aux bord de la transe collective figés sur moi en sont une preuve indéniable. Pour un peu, on commencerait à léviter de bonheur… Bon, c´est bien beau tout ça, cinq minutes ça va, mais après, rapidement ça risque de devenir répétitif. Que faire? Nous ne pouvons pas bifurquer sur autre chose, il n´y a pas la place pour le moindre pas de danse. Encore un peu et ça va virer de nouveau à la catastrophe, je sens un léger vent de panique poindre en mon for intérieur. Heureusement, un ange sauveteur vient apporter une solution miracle à la présente situation. Le chérubin salvateur, c´est le chef du Service de sécurité du musée, très déterminé, qui se fraie un passage à travers la foule pour m´injoidre d´arrêter sur le champ ce cirque et déguerpir au plus vite. Le bonheur. Heureusement qu´il est venu, sinon je ne saurais vraiment pas quoi faire. Pour le principe, et pour le public, je joue au militant contrarié, je fais front comme un vrai trotskiste, jacobin, zapatiste ou gilet jaune, en disant qu´on va pas partir comme ça, on est des durs à cuire, tout en lui faisant des clins d´oeil et susurrant en douce qu´on s´en va immédiatement. Alors encore une tournée exaltée de l´Éducation d´abord et c´est en entonnant Les copains d´abord de Brassens que nous quittons têtes hautes notre azyl météorologique et théâtre politique d´un après-midi de déluge, pour s´engoufrer dans le métro qui nous tend ses bras et ses souterrains secs. Un court moment de gros scrupules par rapport à tous les participants trempés que j´ai entraîné dans ce délire contestataire de contester on ne sait même pas trop quoi, vite dissipé par des sms et des coups fils enthousiastes de tous les côtés, m´assurant que tous viennent, qu´ils arrivent de Brest, Marseille ou Saint Denis, de vivre un moment unique, de ceux dont dont on se souvient toute sa vie. Là , je suis d´accord, de ce truc, mois aussi, je m´en souviendrais longtemps. Il ne faut voir aucun dessein politique derrière tout cela, nous sommes loin des politiciens, parlements et assemblées nationales, mais nous sommes tout près de la politique de terrain, de celle du bas, et là, c´est partout pareil, que ce soit en France, en Slovaquie ou ailleurs, l´éducation doit être accessible à tous, elle ne doit pas être sélective, ce n´est pas un concours ouvert qu´aux meilleurs, marche ou crève... Non, l´éducation, tout comme la vie, doit être aussi une affaire de copains, une affaire d´amitié, où tout le monde doit avoir les mêmes chances de réussir, pas que quelques uns...  

Heureusement, il n´y a pas eu de séquelles au niveau de la santé, pas de rhumes ni de coup de froid à déplorer. Nous avons déposé sur la route ceux des Intermèdes-Robinsons que nous avons pris avec nous, et nous pouvons revenir à Buno pour, enfin, une nuit et un jour de repos bien mérité. Ca fait près une semaine que nous sommes sur les routes, et ca nous fera le plus grand bien. Le lendemain Aven Savore ne peut pas venir, ils doivent aller à l´école, ça tombe très bien, le repos sera ainsi complet. Je n´ai aucun mal à faire respecter le silence à la troupe pour ne pas déranger les secrétaires de Vincent qui travaillent au premier étage, en effet, tout le monde dort jusqu´à midi, il y avait de quoi récupérer…

Après cette journée de repos salvatrice nous avons devant nous le spectacle à Antony, organisé par Romeurope en un temps record, et organisé très bien. Je le constate plus d´une fois, les militants ne sont pas les mieux indiqués pour organiser des manifestations culturelles, mais cette fois-ci, c´était l´exception qui confirme la règle. Tout s´est très bien passé, malgré un temps maussade, la pluie n´a pas cessée depuis deux jours, la salle du Centre André Malraux était remplie, on a même retrouvé des vielles connaissances, Ronaldino, que nous avons connu tout petit au camp de Champlan, et qui a fait partie ensuite de nos tournées d´été, a je ne sais pas par quel hasard eu connaissance de notre venue, et est arrivé avec toute sa grande famille, le public était alors très hétéroclite, roumains, roms, français, militants, sympathisants, tous contents... 


 

Guerches

Le lendemain, réveil matinal, une remise au propre de notre „dortoir“, le Château de Buno, et nous pouvons filer vers Guerches sur l´Aubois, l´étape qui est à l´origine de cette tournée, puisque c´est l´équipe locale du Ccfd qui a lancée l´iniciative pour organiser notre venue il y a un an. L´accueil est très sympathique. Bien que nous en avons maintenant l´habitude, après le passage au Trocadéro et les lycéens du Fénelon, le gros bandereau avec „Bienvenue au Kesaj Tchave“, accroché sur la barrière du bâtiment qui doit nous accueillir, nous surprend et émeut de nouveau. Tous les bénévoles sont là, tout sourire, c´est ce qui s´appelle être reçus à bras ouvert. Il n´y a pas eu beaucoup de route jusqu´à Guerches, nous sommes arrivés un peu avant 15 h, juste à temps pour un goûter avec tous les bénévoles, suivi de multiples activités, allant du colloriage, à la confection de fleurs en papier, en passant par des ateliers de danses et chant. C´est ceux-là qui nous conviennent le mieux et nous prenons l´initiative en entraînant dans la ronde avec nous nos hôtes qui ne demandent pas mieux et participent de plus belle en dansant et même en chantant en tsigane. Il y a de quoi faire, de 15h30 jusqu´à 20h45, ça fait un paquet d´heures, alors on fait de notre mieux pour occuper l´assistance et aussi nos jeunes, qui doivent quand-même tenir le coup pour être au top pour le spectacle du soir. Il y en a un qui n´est pas au top, et alors pas du tout, c´est Meklesh, notre jeune rom roumain des terrains de Montreuil, que nous connaissons maintenant depuis une dizaine d´années et qui nous a rejoint la veille à Buno. Avec Meklesh nous avons vécu d´innombrables aventures rocambolesques, à l´image de ce garçon pas très gâté par la vie, laissé à l´abandon tout petit, étant souvant la risée des bidonvilles, qui savent être très cruels envers les siens dès qu´ils sont en position de faiblesse. Depuis toujours Meklesh a la porte ouverte chez nous et dès qu´il peut il vient se ressourcer un peu. Meklesh n´est plus un gamin, il va sur ses 24 ans et ses déboires de grand ado deviennent des malheurs de jeune adulte. Candide et pas très futé, il a le profil idéal de celui au quel on fait porter le chapeau pour des coups tordus que d´autres ont manigancé. Là aussi, il est embourbé dans une histoire pas très claire, il s´est fait arrêter par la police, doit être jugé sans trop savoir pour quoi… va savoir. Toujours est il que Meklesh a toujours été très correct avec nous, plus d´une fois il a attrapé par la main nos petits lorsqu´ils voulaient chaparder des chewings goms à notre insu, nous savons qu´il a un bon fond, il en a fait la preuve plus d´une fois. Alors que tout va au mieux dans le meilleurs des mondes dans la Salle des Fêtes de Guerches, notre Meklesh vire à la mort clinique. Il n´est pas bien du tout, tout blême, ne réagit presque pas, le regard blafard, il tourne de l´oeil. Pris dans le tourbillon de mes occupations avec toute l´assistance, je ne cesse de courir d´un groupe d´activités à l´autre, en essayant de dynamiser les participants, je suis le seul à pouvoir servir d´interprète et pouvoir répondre à d´innombrables sollicitations, je n´ai pas le temps de m´occuper de son cas. Je vois qu´il n´est pas bien, il y a avec nous aussi quelques uns de nos amis de longue date de Yepce, alors je leur laisse le bébé et juste de temps en temps je viens jetter un coup d´oeil pour évaluer la situation. Elle n´est pas brillante. Les bénévoles lui ont instalé un matelas de fortune sur le carrelage, un peu à l´écart, il y a un médecin dans la salle, il constate qu´il ne doit pas y avoir un danger imminant, mais l´état du jeune roumain n´inspire pas confiance, on appelle les urgences. Ceux-ci sont débordés, ils ne peuvent pas venir, tant-mieux, je préfère gérer ce genre de moribond moi-même. Il n´y a pas grand chose à faire, connaissant et pratiquant l´émotivité exacerbée des Roms, sachant qu´ils réagissent souvent d´une manière excessive à des bobos bénins, je choisis de ne rien faire, le laisser tel quel, en observation, en l´hydratant et gardant au chaud avec une grosse couverture. Mais je ne suis pas rassuré, bien sûr, le gamin m´inquiète. Heureusement, il y a pas mal de monde pour prendre soin de lui, ça occupe toute une petite armée de bénévoles, qui auraient certainement mieux à faire. Inutile de dire que je suis en pétard contre ce grand nigaud, il mobilise tout ce monde, fait craindre le pire, nous pompe de l´énérgie, même s´il n´a pas l´air de trop comprendre, je lui dis ma façon de penser, car il me semble de plus en plus évident qu´il a du abuser de quelque chose. Ce qui s´avère vrai, j´apprends vite qu´ils ont bu avec Dushko quelques bières la veille. Pas beaucoup, juste une ou deux, mais vu la situation, c´est une ou deux de trop. Je suis absolument contre toute consomation d´alcool chez nous. Y compris les adultes, moi-même, tout le monde, personne ne doit pas boire la moindre goutte de quoi que ce soit lorsque nous sommes en tournée. Nous sommes tous comme en service commandé, alors régime sec. Cette règle de fer est enfreinte par des gens extérieurs à nous, souvent des jeunes moniteurs adultes d´autres associations boivent un verre de vin ou sirotent une bière, ce n´est pas bien méchant, mais je suis absolument, totalement contre. Dushko, notre ancien musicien, devenu instructeur chez les Intermèdes-Robinson a demandé la veille à Helena s´ils peuvent ouvrir une ou deux bouteilles de bière pour fêter leurs retrouvailles avec Méklesh. Helena, toujours bonne poire, a dit oui, et ça n´a pas raté. Meklesh est hors circuit. Je ne pense pas qu´ils aient beaucoup abusé, ils n´étaient pas ivres, ni éméchés, ça je l´aurais tout de suite vu. Mais Méklesh était certainement dans une carence alimentaire sévère et même ces deux canettes de bière ont eu un effet dévasatteur. Les bénévoles me doivent prendre pour un tyran, car je ne lui manifeste aucune compassion et je le laisse alongé sur son matelas par terre à méditer la portée de son exploit. Bien sûr, je me préocupe quand-même un peu de ce que vont penser tous ces gens autour de nous, ils ne nous connaissent pas, et peuvent maintenant imaginer tout et n´importe quoi. Bon, il faut s´occuper du reste du groupe, il y a un spectacle à assurer tout à l´heure, alors Meklesh n´a qu´à poirauter sur son matelas comme un vrai poireau, il aura de encore de mes nouvelles. Je repars mobiliser mes troupes, et aussi les surveiller, car Meklesh n´est pas le seul à prétendre au piédestal des héros des coulisses d´exploits douteux. Maria, notre diva ado en pleine crise d´adolescence, est toujours prête à chipauter une bouteille, plus pour nous provoquer et épater l´assistance que pour la consommation en soi. Mais tout se passe bien, il n´y a pas d´autres excès à déplorer, nous assumons une bonne prestation devant un public acquis, et Méklesh n´a pas trépassé entre temps. Le lendemain je le dépose à la gare sncf la plus proche pour un aller direct sur Paris et l´affaire est réglée. Je n´ai même pas besoin de le sermoner plus que ça, il sait très bien qu´il a fait une grosse bêtise et devra s´abstenir de kesaj pendant un bon moment.


 

Le couvent

Une nuit de route et nous descendons à notre prochaine étape – le Couvent des Petites soeurs de Marie au Château de Castelnau d´Estrètefonds dans les hauteurs de Toulouse. Décidément, les châteaux, une fois qu´on y a pris goût, on ne plus s´en passer… En effet, l´endroit est hors commun. Une tranquilité paradisiaque, personne à l´horizon, juste quelques bonnes soeurs vaquant à leurs occupations, que l´on apperçoit telles des petites schtroumpfettes (dixit Johann) au détour des dédales du magnifique parc qui entoure le couvent. Jeannine Le Merer s´est très bien débrouillée, on ne pouvait espérer mieux en terme d´hébergement. Nous sommes tout seuls, dans les intendances du château, sur deux étages, les filles avec nous en bas, et les garçons en haut. Bien sûr cela donne des idées aux gars, qui voudraient rendre une visite de politesse aux filles, mais l´heure n´est pas aux mondanités, une fois minuit passé chacun doit rester dans ses quartiers. Comme on pouvait s´y attendre, ce n´est pas l´heure tardive qui va décourager nos jeunots, ils tentent le coup malgré le couvre feu décrété. J´ai encore l´ouïe fine, la chambre des filles juxtapose la nôtre, les parquets sont d´origine, je n´ai aucun mal à déceler les craquements du plancher d´à côté, ils doivent être au moins quatre, alors j´envoie Helena régler leur compte. En même temps je pars en reconnaissance par la fenêtre, nous sommes au rez-de-chaussé, pour ne laisser échaper personne. Les gars, entendant les grincements de la porte de notre chambre se sont enfuis dans le couloir, pour tomber directement dans mes bras à la sortie. Il fait noir, nous sommes dans un château, j´ai les contours d´un parfait fantôme, le résultat est plus que probant, les apprentis damoiseaux s´étalent terrorisés par terre les uns à travers les autres, avec des cris de frayeur et d´épouvante, pour se réfugier de nouveau dans la chambre des filles pour se faire intercepter par Helena. Par miracle, la grosse statue de la Vierge Marie qui trône en plein milieu du couloir n´a pas bronchée, et n´a pas finie en morceaux, il ne manquerait plus que ça… Je n´ai qu´à cueillir nos explorateurs insomniaques, quelques gifles paternelles pas trop méchantes mais bien envoyées servent d´argument pédagogique et tout le monde est enfin au lit. Il serait temps, il n´est pas loin des trois heures du matin et la journée a été longue. Ainsi que la nuit, puisque nous avons roulé pratiquement non stop du soir au matin pour faire la liaison Guerches – Toulouse. A peine arrivés, juste le temps de s´installer, nous sommes repartis en direction de la Salle des Fêtes de l´Union, où nous étions attendus pour le repas de midi par une délégation des bénévoles du Ccfd aux petits soins pour nous. Le spectacle du soir était prévu à 20h30, ce qui nous laisse largement le temps de faire ample connaissance et passer en revue tous les détails de notre aventure avec nos hôtes, qui sont avides d´apprendre de première source comment fonctionne notre groupe. Suit le repas du soir, le spectacle, et de nouveau retour au couvent sur le coup de minuit. Cet emploi de temps était le schéma de nos journées à venir. Départs en fin de matiné, retour après minuit. Un emploi de temps bien rempli avec des rencontres, des découvertes, des échanges mutuels. Tout le long de notre séjour des bénévoles du Ccfd nous accompagnaient à chaque pas et veillaient à ce que tout se passe bien. Chaque journée avait son programme particulier, avec de nouveaux partenaires. Nous avons pu ainsi découvrir une école mobile pour les Gens de voyage à Tournefeuilles, aux Arènes Romaines nous avons fait connaissance avec l´association de quartier Rencont´Roms nous, des roms roumains très actifs sur leur quartier et sur leur camp de la Flambère. On se comprenait très bien, leur dialecte était semblable au nôtre, et aussi leur façon de faire corerspondait à nos pratiques. Nous avons partagé avec eux une après-midi festive avec des groupes locaux, des africains, des cambogiens, des roumains, tout ça dans une très bonne ambiance de partage et de découverte. Une petite échappée salvatrice au MacDo du coin pour changer du quotidien des sandwichs qui constituaient notre menu journalier. Le soir les spectacles rencontraient un franc succès, les organisateurs ont fait un excellent travail de communication, les salles étaient pleines.

Le point culminnant du séjour à Toulouse était la Journée du Vivre Ensemble en Paix, organisée par la Mairie et l´association Aisa, dans la Salle Ernest Renan, avec des responsables des communautés soufie, juive, védique et catholique, des membres du Collectif Solidarité Roms de Toulouse, et les Médecins du Monde. Cela se passait au quartier des Trois Cocus, au bord d´une cité très sensible de la ville. Pas plus tard que la semaine dernière un fait divers tragique s´est produit ici, un adolescent s´est fait poignarder dans l´enceinte même de l´école pour une histoire de réglements de comptes entre bandes rivales. Notre intervention dans l´établissement n´a été avalisée qu´à la dernière minute. Un parterre de gamins de 8 à 10 ans nous attendait devant le préau de l´école, sagement assis par terre, presque tous d´origine africaine, pour nous cela évoquait des images de documentaires de géographie, nous n´avons pas l´habitude d´une telle homogénéité ethnique, sauf si l´on se refère aux roms dans notre région. Le spectacle est improvisé en fonction du lieu et du contexte social, nous n´omettons pas la partie de la participation du public, tout le monde danse, c´est un peu bordélique comme d´habitude, mais manifestement ce moment de décompression et de décontraction collective fait du bien à tous. Avant le spectacle du soir suit une grosse pause de repos qui n´est pas du tout du repos… Et pour cause. Nous sommes dans un quartier ultra sensible. Lorsque je vais une rue plus loin, sur la place centrale de la cité, le seul endroit en peu civilisé en termes de service public, il n´y a plus de commerces, juste un bureau de tabac et une poste, le décor fait penser à un mauvais thriller des banlieues grandeur nature. Des gamins d´une dizaine d´année à tous les coins de rue à faire le guet pour leurs grands frères, un trafic à la lumière du grand jour, une réalité d´épouvante… Incroyable, comment cela peut-il exister dans un état de droit, en Europe?! Le temps de faire la queue devant le seul distributeur de billets me parrait une étérnité, j´ai l´impression d´être téléporté dans une autre galaxie, dans un autre univers. Je retire des billets du compte de Roman, il vient de recevoir ses allocations, pour ensuite les faire parvenir au pays par l´intermédiaire de mon fils à la famille de Roman, qui comme d´habitude n´a pas un sou pour manger. Un certain parallèle entre l´endroit où je me trouve et les bidonvilles de chez nous est évident, heureusement, le trafic en moins. De retour à la salle des fêtes je constate tout de suite qu´il manque quelques filles à l´appel. Maria, bien sûr. J´ai donné des consignes très strictes, personne ne doit s´éloigner d´un mètre sans mon autorisation, d´ailleurs, nous avons même garé notre bus dans un autre quartier, car sur son pare-brise il y a une grosse inscription „Club de Police“ (il fait la navette pour la police chez nous) et nous voulions éviter des vitres cassées… Une des femmes de ménage de la salle me dit qu´elle les a vue partir en direction de la cité. Je fonce. Il n´y a pas une minute à perdre. Nous sommes en plein ramadan, les filles sont en mini-jupes, décolté provocateur, ce n´est pas l´accoutrement idéal pour faire du tourisme de quartier. Heureusement, je n´ai pas à aller loin, je les apperçois à l´entrée du premier immeuble avec un gars qui leurs propose gentiment sa camelotte. Je siffle un bon coup et sans palabres je les ramène dare-dare au bercail. Explications sévères devant tout le groupe et en face-à-face avec les gamines. Cela aurait pu tourner très mal. Interdiction de bouger, tout le monde assigné à résidence, pas un pas sans mon autorisation. Maria est en pleine crise d´adolescence, dès qu´une occasion se présente, elle ne la rate surtout pas pour nous provoquer, pour attirer notre attention. Cela se comprend, elle a perdu son père toute petite, elle a dix frères et soeurs, mais personne pour prendre soin d´elle, alors elle compense le manque d´affection comme elle peut. Nous avons bien connu son père, Vlado, il était à nos côtés dès nos débuts, c´était quelqu´un de très bien, une personnalité du bidonville. Alors nous n´allons pas laisser tomber sa fille comme ça. On endure et on surveille. Le soir finit par venir, la salle se remplit, un public composé surtout de musulmans, regroupés dans l´association locale. La Mairie soutient l´action, il y a aussi les élus, d´autres associations de quartier sont représentées. Au départ l´atmosphère nous parrait un peu tendue, les gens sont distants, tout le monde est encore sous le coup de l´assassinat du jeune d´il n´y a pas longtemps. Tout change après notre passage sur scène. Après le spectacle suit un repas en commun, des spécialités maghrébines, servies à volonté, avec le sourire, dans une ambiance détendue et fraternelle. Paraît-il qu´il n´était pas évident au départ d´avaliser notre participation à cet événement. Mais par la suite c´était tout le contraire, l´association musulmane a même décidée de nous envoyer une partie de la recette de la soirée en soutien de notre action.

Nous quittons Toulouse et les Petites Soeurs schtroupfettes en fin de matinée, la pluie nous empêche de faire une petite visite touristique de la ville que nous n´avons même pas eu le temps de voir, ce sera pour une autre fois. Pareil pour Lourdes, qui étaient prévues au départ, nous nous rendons compte qu´il est impossible physiquement de faire l´aller-retour dans l´après-midi que nous avions pour rejoindre Toulon. Le couvent a été un véritable havre de paix pour nous durant notre séjour, les soeurs ont veillées sur nous et les bénévoles du Ccfd ont fait le reste. Nous sommes parés pour la prochaine étape, qui, au niveau de l´hébérgement, est une véritable épreuve. Nous avons réservé huit chambres dans un hôtel Formule 1 dans les environs de Toulon, car cela aura été trop compliqué d´organiser notre logement avec les moyens du bord sur place. C´est simple, l´hôtel est en chantier. Total. Heureusement encore que les chambres sont intactes, mais tout le reste est sans dessus dessous. Du plâtre partout, des fils électriques à tous les étages, le patron et quelques ouvriers polonais s´affairant au milieu de ce cataclysme du bâtiment. On a pas le choix, on fait avec. Avant de se coucher nous avons le spectacle dans la salle de l´Hélice, une petite salle associative, remplie tant bien que mal. L´étape de Toulon était organisée un peu à la sauvette, manifestement des difficultés se sont présentées à différents niveaux, les organisateurs ont d´autant plus de mérite d´avoir persévéré pour nous accueillir. Sur place nous retrouvons nos anciens contacts et amis du Ccfd et aussi Roxane et sa fille Zuly, que nous faisons monter sur scène dans le final avec Djab, le prof de danse de Tamèrentongue qui nous a rejoint de Marseille. Les spectateurs, même s´ils ne sont pas très nombreux, apprécient et ne ménagent pas leurs applaudissements pour cette dernière étape de la tournée Ccfd. Une nuit sur le chantier, mais bon, du moment qu´on a pas à manier la truelle et trimbaler des sacs de ciment… et c´est le retour au pays, avec un arrêt sur le chemin à Poet Laval, où nous marquerons juste une halte, le temps que les chauffeurs de bus fassent leur pause de 9 heures. Un spectacle est prévu, mais les 6 heures à attendre sur place sont quand même longues. Il va sans dire que nous sommes tous fatigués, épuisés après une tournée au programme très intense, le temps n´est pas de la partie, il pleut, que faire pendant tout ce temps avant la production du soir. Heureusement, nos hôtes de l´association Bizz´Art Nomade, avec Mylène Sauloy, ont des penchants artistiques, et ne voient aucun mal à ce que nos jeunes puissent se servir de la sono pour le spectacle, alors ils jouent pratiquement non stop durant les six heures qui nous séparent du spectacle. Du coup le temps passe très vite, avec un micro à la main c´est du gâteau… Aussi simple que ça. Ce mouvement perpétuel impromptu n´affecte en rien la production du soir, au contraire, nous avons retrouvé une forme d´enfer et nous envoyons une sacré énergie devant une salle pleine à craquer. Suit la route du retour, tout le monde dort pratiquement tout le long du trajet, les vingt heures passent alors aussi très vite et nous voilà à la maison.