toute l´année

 

Kesaj Tchave Narratifs 2019

 

 

 

Visites, expos et BD

 

Tout de suite après le Révéillon, le 3 janvier, nous avons eu la visite d´un petit groupe de danses de Hranovnica, des jeunes filles roms qui sont venues avec leur maîtresse pour apprendre un peu nos danses et pour emprunter des costumes pour leur premier spectacle. On leur a appris quelques pas et prêté quelques costumes, c´est bien qu´il y ait de la relève, il faut encourager les talents et ce genre de rencontre est toujours bénéfique pour tous les participants. Il en est de même avec les jeunes de l´Orphelinat de Poprad que nous recevons la semaine suivante.

Ensuite, fin février est venu un trio composé de Marianne, Mylène et Roxane. Elles sont venues de Paris pour découvrir, rencontrer, filmer un peu de la vie du groupe, tout en partageant les moments clé de tous les jours, répétitions, allés-retours au bidonvilles, sorties dans la nature. Roxane, danseuse professionelle de claquettes d´envergure internationale avait avec elle sa fille de 9 ans, Zuly. Zuly est trisomique. Ce n´est pas toujours simple de faire avec elle dans la vie de tous les jours. Roxane a fait le choix de l´amener partout avec soi, peu importe les difficultés inhérentes à ce choix. Bien sûr, au début, quand Zuly a débarquée chez nous, on voyait tout de suite que ses réactions étaient particulières. Mais nous n´avions pas, selon la pratique en vigueur dans le groupe, le temps de faire cas de son cas, on ne pouvait pas s´attarder sur son sort, on faisait avec. Au début elle restait en retrait, parfois elle essayait de bouder, mais la vie hyper intense du groupe en répétition continuait, et au fur et à mesure Zuly s´ouvrait d´elle-même aux autres, en jouant, dansant, faisant le pitre avec tout le monde. Elle devenait comme tout le monde, traitée à la même enseigne, sans faire de différence, tout en prenant en compte sa particularité, mais en n´en faisant pas de cas particulier. Nous sommes tous différents et tous égaux. Plus tard, Roxane a constatée, que lors de leur petit parcours de découverte et de visite des familles des membres de Kesaj Tchavé au bidonville, pour la première fois peut-être de sa vie, elle n´avait aucun souci à se faire pour Zuly. La petite était prise entièrement en charge par les jeunes. Elle a intégré le groupe, et le groupe l´a pris dans ses bras. Naturellement, sans se poser de questions. 

Parallèlement à nos activités au pays, nous avons aussi une vie hors frontières, virtuelle, grâce à des expositions de photos, de BD, en Tchéquie à Opava, en France, en Bretagne, etc. Nos aventures d´héros de bandes dessinées continuent de plus belle, le registre des figures figurant dans les bulles et les carrés s´élargit grâce aux bons soins d´Emmanuel Guibert. Emmanuel, cette fois-ci en tant que scénariste, a crée deux nouveaux personnages pittoresques dans son illustre série des Ariol, best seller des 6 – 12 ans, Mme Coléna et Mr. Ivanoff, héros de deux chapitres du n. 13, dans les quels Ariol se rend dans un camp rom des abords de la capitale pour partager avec eux des aventures musicales. Mme Colena est un collage de Collette et Helena, et Mr. Ivanoff joue de la balalaïka… le tout est directement inspiré de nos aventures roumaines de Montreuil et Saint Denis, que nous avons eu le plaisir et le privilège de partager avec Emmanuel lors de nos nombreuses rencontres, puisque Emmanuel, bien longtemps après la parution des Nouvelles d´Alain, dans les quel ils nous met en images pour la première fois, continue toujours de s´intéresser vivement à l´évolution de notre groupe. Le tout est très bien croqué, Emmanuel, en plus de son talent de dessinateur virtuose est un écrivain ayant une finesse de perception sociale rare, de plus il a le don de pouvoir parler aux enfants, même sur des sujets pas évidents à première vue, comme c´est le cas avec notre histoire, mais au final ca devient très simple, très pédagogique et surtout très vivant, amusant, à la portée des petits et grands, ce qui fait que, grâce à la notoriété phénoménale d´Ariol, nos aventures roms des environs de Paris sont portées à un très large auditoire de gamins, aux quels cela apporte une ouverture et une clef sur des réalités qu´ils peuvent côtoyer dans leur vie quotidienne, sans les comprendre au premier abord. De même, Johann le Berre, après la parution de sa BD, Tsiganes le Paradis des yeux, continue la promotion de son livre avec des expositions et des conférences tout au long de l´année devant des publics les plus divers.


 

Tournée de mai

Cette tournée s´est faite à l´iniciative de l´équipe de l´antenne du Ccfd de Bourges, qui est venue, avec Marie, la maman de Mélanie, une de nos anciennes de Yepce, en tête, nous voir lors de notre passage à Clermont-Ferrand l´année dernière, lorsque nous y avons fait escale entre Marseille et Paris. Déjà lors de cette première rencontre, leur décision était manifestement prise, ils tenaient coûte que coûte à ce que l´on vienne chez eux l´année prochaine. Ne restait qu´à définir la date, mais aussi, à trouver des partenaires de complément pour compléter la tournée, qui ne pouvait se faire sur une seule étape. Rapidement ce fut fait, Jeannine Le Merer, qui nous a vue à Paris, lors de la réunion du Ccfd à la Porte Dorée, puis au spectacle qui a suivi cette réunion au Musée de l´Immigration, a réussi à convaincre ses collègues de Toulouse, et le gros de la tournée était sur pied. Nous ne voulions pas partir pour longtemps, pour ne pas trop grignoter sur le temps scolaire, mais c´était aussi une excellente occasion pour passer là, où l´on ne pourrait pas passer dans d´autres conditions, c.a.d, si on n´avait pas déjà de trajet prévu pour y passer, sinon le coût de ce trajet, trop onéreux, ne nous permettait pas de le faire. Alors j´ai contacté des amis à Prague et dans les environs de Prague, pour leur proposer de saisir l´occasion. Ils ne se sont pas fait prier, et en moins de deux, les deux spectacles, un à Prague, et l´autre à une centaine de km de là, étaient convenus. Dans les deux cas, il s´agissait d´actions avec des associations de terrain, qui oeuvrent avec des Roms, nous connaissaient, et étaient ravis de pouvoir enfin nous recevoir chez eux. Pour des raisons d´organisation, les spectacles étaient programmés le weekend, et quoi que l´on fasse, le spectacle organisé par Bourges ne pouvait avoir lieu aussi que le samedi 11 mai, donc il nous fallait encore trouver de quoi faire entre Prague et Bourges. Le Châpiteau Raj´ganawak à Saint Denis était toujours prêt à nous accueillir, mais spontanément s´est présenté aussi le collectif Romeurope d´Antony, alors nous avons opté pour eux, puisque Saint Denis, nous y sommes déjà passés plusieurs fois en l´espace d´une année. Le Château de Buno était à notre disposition, alors ce serait parfait pour se remettre en place et aussi pour de nouveau répéter un peu avec Aven Savore, avec les quels nous avons repris contact en décembre dernier. Le point culminant du séjour à Paris devait être une manifestation sur le Parvis des Droits de l´Homme au Trocadéro. Nous avons déja manifesté à deux reprises ici. Une première fois en 2009, c´était notre première action avec le Ccfd, avec „La vie sans la manche“, pour montrer à tous que les enfants roms n´ont pas que la mendicité comme objectif dans la vie. Le Ccfd s´est à l´époque chargé de l´impression des flayers et l´obtention de la permission auprès de la Préfécture de Paris, ce qui n´a pas été simple. Après les premiers refus, il a fallu insister au plus haut niveau, et finalement, au lieu du Parvis de l´Opéra, au quel nous avons pensé initialement, nous nous sommes rabattus sur celui du Trocadéro, et ça s´est très bien passé. En 2014 nous avons remis ça, à l´occasion de notre passage à l´Olympia, nous avons défilé, ou plutôt dansé et chanté, sous la banderole „Kesaj Tchave, l´École de la réussite des enfants Roms“. Donc, pour rester dans le rythme d´une manif tous les 5 ans, nous voilà partis pour la troisième édition, avec „Les Copains d´abord“, de Georges Brassens. Tout simplement. Pour montrer que sans le côté humain, sans l´amitié, sans l´engagement pour l´autre, rien ne serait possible, que ces simples qualités humaines sont essentielles et constituent le fondement de notre condition d´humain… Mais nous voulions apostropher aussi d´autres associations et mouvements engagés pour les Roms, pour qu´ils viennent se joindre à nous, alors, après consultation avec Laurent Ott des Intermèdes-Robinsons, nous y avons joint, sur sa proposition aussi le slogan „L´Éducation d´abord“. Tout cela constituait au final une trame solide pour la tournée, même un peu trop longue, car nous voulions aussi passer par Lourdes, puisque nous ne serions pas loin, à Toulouse, et nous voulions aussi marquer un arrêt dans la région PACA, ne serait-ce pour revoir au passage nos amis de l´année dernière. Alors s´est greffée encore une étape à Toulon et une, toute dernière, dans la Drôme, avec des amis des l´association BizzArt Nomade (Mylène Sauloy), qui nous ont filmés lors de la dernière tournée au spectacle de Pléssis-Robinson, à l´atelier des claquettes au Flamenco France, et sont même venus nous voir en Slovaquie en février 2019. En tout, cela fera 16 jours, un peu plus que ce que l´on projetait au départ. Inutile de dire que pour monter ce vaste projet de nombreux bénévoles se sont engagés, n´ont pas ménagé leur peine, se sont investis pleinement pour la réussite du projet. On ne pouvait pas les décevoir. Pour tout ce qui touche aux répétitions et l´organisation des préparatifs de notre côté, ça va, mais là où le bât blesse, ce sont les relations humaines, qui font intervenir des intervenants extérieurs, les parents, les familles, au sens propre, et au sens large, les jours qui précédent le départ, ce sont souvent des clans entiers qui se mobilisent, et pas uniquement dans le bon sens, et nous avons de quoi faire pour réussir à prendre le départ dans la constellation que nous aurions souhaité.


 

Les préparatifs

Les choses se compliquent en général un mois avant le départ. C´est le moment de faire les passeports des nouveaux, il ne faut pas trop tarder, sinon ils risquent de ne pas être prêts à temps. Comme c´était une tournée avec des partenaires du social, il n´y avait pas de productions dans le milieu du spectacle à proprement parler, nous n´étions pas obligés d´avoir un niveau artistique irréprochable, alors nous pouvions nous permettre de prendre plus de nouveaux, et c´est ce que je voulais, pour donner une chance de participer à un plus grand nombre et aussi pour pallier enfin au manque d´effectifs, quitte à prendre même des tout petits, une tournée c´est ce qu´il y a de mieux pour se former, et aussi pour apprendre la vie en dehors du bidonville. Alors nous avons réussi à déposer les demandes pour 5 nouveaux passeports, qui devraient être fait à temps, bien que ce serait un peu juste, car le premier rdv avec les parents a du être annulé, et ce n´est que la semaine suivante que nous sommes allés tous ensemble au Bureau de la Police pour déposer les demandes. J´aurais voulu en faire encore plus, mais je n´ai pas réussi à attraper les parents de Franko et Agnesa, ceux des petits qui étaient les plus performants et sur lesquels je basais mes répétitions et ma conception du spectacle avec les nouveaux. Donc tout ce travail tombait à l´eau, tant pis, on prendrait quand-même les autres, bien que bien moins doués. Au fur et à mesure que le temps du départ approchait augmentaient aussi en crescendo les désistements, les retours sur les désistements, bref, les revirements de situations les plus divers, qui bien que déjà connus de nous de par le passé, n´en finissent pas de nous surprendre par d´infinies inovations qui vont toujours au-delà de notre imagination. Cette fois-ci, avec une régularité d´horloge suisse, ce sont les nouveaux jeunes de Rakusy, qui ont mené la danse. Passés du stade des tout nouveaux, à celui des nouveaux parmi les anciens, ils se délectent dans l´annonce régulière de leur fin de pratique dans la troupe, pour revenir le lendemain comme si de rien n´était, et ainsi de suite. Ils se font désirer. Toujours ce besoin viscéral de compenser la frustration du sentiment d´infériorité par des chantages inappropriés et démesurés lorsque l´occasion se présente enfin d´être dans une situation dans la quelle on a enfin de l´importance ou du moins on croit que l´on est enfin important et irremplacable... Inutile de dire que ça déstabilise, et n´ajoute rien à la sérénité de la direction du groupe. On a l´habitude, un coup on gueule, le jour suivant on fait semblant de ne pas faire attention, mais cette fois-ci leurs bêtises ont pris plus d´empleur que d´habitude, et pendant une dizaine de jours nous croyons vraiment qu´ils ont abandonnés, donc nous nous rabattions que sur ce qui nous restait, un groupe de garçons plutôt versés sur le chant et pas du tout performants au niveau de la danse. Il fallait tout recommencer à zéro. Malgré toute la bonne volonté et assiduité, les résultats n´étaient pas probants. Nous bossions consciencieusement tous le jours, mais il n´y avait rien à faire, ils n´étaient vraiment pas doués pour la danse, et ça se voyait. Mais nous n´avions pas le choix, nous nous obstinions à répéter coûte que coûte, pour mettre sur pied tant bien que mal au moins quelques numéros de claquettes, qui sont notre spécialité par excellence, notre marque de fabrique. Je pensais arranger le coup avec les tout petits, mais manque de chance, comme je le disais, ceux qui étaient vraiment performants ne pourront pas partir avec nous, et nous en restions réduits même pas au strict minimum, nous étions en deçà de tout ce qui était imaginable. Rasto, le danseur le moins doué, celui en le quel on ne pouvait placer aucun espoir, tant son inaptitude était évidente, devenait du coup notre danseur soliste. Jamais nous n´aurions pu imaginer une telle catastrophe. Car il n´y a pas de miracles. Chez les tsiganes, comme chez les autres, il y a ceux qui sont doués, en général ce sont les enfants des familles des musiciens, et puis il y a les autres, dont certains aussi doués que des manches à balais. C´était le cas de Rasto, notre nouveau frais danseur étoile. Et le pire était que l´on n´avait à disposition aucun des anciens qui aurait pu au moins leur montrer ces claquettes démentes, Tomáš était en Tchéquie, et Jakub a eu la lumineuse idée de bouder et ne voulait rien apprendre à personne, même pas à son frère Matej. Bien sûr que je lui ai dit ma façon de penser, mais sur le coup cela ne servait à rien. Surprise, pour une fois les filles avaient l´air de ne pas poser de problèmes, c´est comme si elles avaient épuisées leurs ressources les fois précédentes… Bien sûr, la question de musique restait posée, rien ne certifiait que Roman, notre clavier, partirait avec nous. Bien qu´il proclamait tous les jours qu´il serait du voyage, tous les jours une affaire éclatait avec sa fille ou sa belle-famille, qui remettait en question ses engagements. Cela ne m´empêchait pas, au contraire, de m´investir à fond dans la gestion de ses déboires, toujours dans cet espoir-désespoir de le voir partir quand-même avec nous.

Pour couronner le tout, un mois avant le départ, notre transporteur polonais, avec lequel nous nous étions mis d´accord depuis 6 mois, venait nous annoncer qu´il ne pourrait pas partir avec nous pour des raisons administratives. Nous trouvons dans la foulée un remplacant, qui, lui aussi, nous annonce une semaine avant le départ, qu´il ne pourra pas partir. Il vient d´acheter un nouveau bus d´occasion, et les papiers ne seront jamais prêts à temps. Horrible. On fait le tour de tous les propriétaires de bus de la région et des alentours, même du côté polonais, impossible de trouver quequ´un de libre sur le champ. Que faire. A l´interminable ronde des départs, désistements, pas de papiers, pas de chaussures, du côté des jeunes, s´ajoute l´absence de bus, ce qui est encore plus catastrophique. Nous sommes à 3 jours du départ. Mais comment que l´on va faire? J´élabore des scénario fantasmagoriques de départ en train pour Prague, revenir ensuite, pour attendre les papiers du nouveau bus d´occase… Cela ferait des frais supplémentaires considérables, sans dire que l´on ne serait toujours pas sûrs qu´il aura ses papiers à temps. Enfin, à trois jours du départ nous trouvons un bus disponible. Ouf, on est sauvés. Ca, c´est le matin. Le soir le chauffeur nous téléphonne pour nous dire qu´il vient de se faire casser une vitre en Italie, et il ne sera jamais prêt à temps. La poisse ! Que faire ?! Sachant parfaitement tout l´investissement humain du côté des organisateurs, il est impossible d´annuler la tournée. Je tente encore de tous les côtés, mais j´ai déjà essayé partout. Au détour de la conversation j´en parle à mon fils. Il me dit que le père d´une de ses copines de classe a une compagnie de transport. On l´appelle. Des clients qui devaient partir en Finlande avec lui viennent d´annuler sans prévenir le jour même. Il peut partir!

Nous sommes à deux jours du départ. Les petits malins de Rakusy sont revenus, mais rien ne dit qu´ils ne vont pas encore changer d´avis dans les prochaines heures. Je connais parfaitement la situation qu´ils vivent au bidonville. Les „mais vous êtes fous de danser pour rien“, „ ils donnent à tout le monde et pas à vous“, „ça vous sert à quoi de bosser comme des malades pour rien“, etc. Les commérages et calomnies vont bon train. Il y a en a qui disaient qu´ils étaient payés par nous, qu´ils recevaient 200, 500 eu par mois… et vas y, on en rajoute encore. Bien sûr, on n´a jamais payé personne, mais dans un plaisir morbide, les malheureux (qui ne font pas partie du groupe) essaient de rendre les chanceux (ceux qui font partie du groupe) tout aussi malheureux qu´eux, et inventent tout et n´importe quoi pour qu´ils ne partent pas en tournée, pour qu´ils ne puissent pas s´échaper du giron du bidonville, pour qu´ils restent semblables aux autres, unis dans la fatalité de la misère… C´est un scénario vieux comme le monde des kesaj, ne reste qu´à attendre le résultat des courses. Je passe au Bureau de Police pour savoir si les passeports sont déjà arrivés. Normalement, ils devraient être là. Mais il y a eu des jours fériés, ça ralentit le tout. La fonctionnaire, sympa, regarde le registre, les passeports sont partis hier de Bratislava, normalement, demain ils devraient être sur place. Je n´arrête pas de compter et recompter les adeptes au départ. Les chiffres varient de 12 à 26, en fonction des commérages, des papiers et de tout un tas de choses inqualifiables et inimaginables. Maintenant qu´on a enfin trouvé un gros bus, il ne manquerait plus que l´on parte à moitié vide. Le soir, alors que j´en suis à refaire la entième liste des participants, Matej me téléphonne en me disant qu´il s´est cassé la jambe, qu´il n´a rien à se mettre sur les pieds, pas de chaussures, donc il faut lui en acheter, et que je vienne sur le champ l´amener aux urgences. Complétement sonné après toutes ces journées de stress, je lui rétroque qu´il peut aussi bien appeler Vlado, un adulte de son bidonville, avec le quel ils viennent de fonder un groupe, avec le quel ils vont devenir des stars, mais pour l´instant c´est encore nous qui leur prêtons notre sinthé pour jouer, donc il n´a qu´à y aller avec lui, puisqu´il est sur place. Matej me répond furax, que si c´est comme ça, il ne vient plus et ne partira pas avec nous. Parfait, ça en fait un en moins. On a une disproportion de garçons par rapport aux filles, donc ça tombe bien. C´est dommage, car il a de la voix, et on en manque, mais on ne va pas lui courir après, s´il fait le malin il n´a qu´à rester à la maison. Il rappelle quelques instants plus tard, en disant que de toute manière nous donnons de l´argent aux autres et pas à lui, toujours la même rengaine, que nous avons donné 50 euro à la mère de Marcel, alors il ne part pas. Bien sûr, ce n´est pas vrai. Sans doute Marcel lui a raconté ça pour le faire marcher, et ça a parfaitement réussi, il est tombé dans le panneau, ça en fera un de moins. Son frère Jakub, reste toujours sur ses positions, on ne comprend pas pourquoi, mais il est buté, il ne veut plus rien avoir avec nous. Il reviendra à notre retour de tournée, pareil, on ne sait pas pourquoi. Derrière tout ça il y a des ragots, des calomnies, qui, hélas, constituent une part prédominante de l´art de vivre de tous les jours des bidonvilles, mais au stade où nous en sommes nous n´avons absolument pas le temps, ni la force et ni la volonté de réagir. Que le destin s´accomplisse, de ces problèmes, nous en avons déjà parlé d´innombrables fois, alors que chacun fasse comme il veut, et assume sa part de responsabilité et de bêtise. S´il ne s´agit pas vraiment de cas cruciaux, nous n´intervenons pas.


 

Les passeports

Nous sommes vendredi, à un jour de départ. Il est midi, normalement la police envoie un sms lorsque les passeports arrivent, et là, toujours rien. Je décide d´aller au poste pour en avoir le coeur net. Il y va quand même du sort de 5 mômes. Juste avant d´arriver à Kežmarok, je reçois un coup de fil de la part des parents, que ça y est, le sms est arrivé, les passeports sont là. Je pile sec, fais demi-tour, et je fonce au bidonville pour prendre les parents afin qu´ils viennent récupérer les passeports. Juste avant d´arriver au bidonville je recois un autre coup de fil. Fausse alerte. Il n´y a eu aucun sms, c´était Zdenka, la soeur ainée des mômes qui leur a dit que les passeports sont arrivés, elle a menti, elle a dit ça pour leur faire plaisir… Je repile, demi-tour, je fonce de nouveau au service des passeports, je saute la file d´attente, la préposé m´apprend que les passeports viennent d´arriver! Il est midi trente, le bureau ferme à 14h, vite, retour au bidonville. Heureusemnt il n´est qu´à 10 km, mais il y a de la circulation, et il pleut, la route est mouillée. Je fonce, Helena est dans tous ses états, je prends le deux mères, je leur demande est-ce qu´elles ont leurs cartes d´identités et les formulaires, oui, elles tiennent le tout dans leurs mains, on fonce à Kežmarok. Il est 13h. Il faut qu´elle fassent la queue, espérons que les fonctionnaires vont réussir à délivrer tous les passeports à temps, avant 14 h. Je pars régler d´autres choses, elle n´ont qu´à m´appeller quand tout sera fini. A 13h30 je recois un coup de fil, une des mères s´est trompée, elle n´a pas pris sa carte d´identité, mais celle de sa mère, donc la grand-mère des trois des cinq petits aux quels on a fait faire les passeports, et en aucun cas on ne peut les lui délivrer, il faut qu´elle apporte sa carte d´identité à elle. Zdenko, son mari, n´a qu´à la chercher, elle doit être cachée derrière la télé. Je teléphone à Zdenko, lui dis où chercher, et je fonce au bidonville pour récupérer la fameuse carte. Entre temps il me rapelle, il n´arrive pas à la trouver. Je rapelle Kežmarok, on me dit qu´il faut qu´il cherche mieux, elle est certainement derrière le poste. J´arrive au bidonville, Zdenko n´a toujours rien trouvé. Je lui dis alors de venir avec moi à la Police, il n´a qu´à récupérer lui-même les passeports en tant que père. Il ne peut pas, il doit attendre un gars qui doit venir le chercher pour aller bosser (le gars ne viendra pas…). Alors, sans grand espoir, il est déjà deux heures moins dix, je fonce de nouveau à Kežmarok pour récupérer la mère qui n´a pas sa carte d´identité pour qu´elle vienne la chercher elle-même, peut-être que le Bureau des passeports fermera un peu plus tard… Lorsque je retrouve les deux mamans il s´avère que ce n´est pas l´épouse de Zdenko qui n´a pas sa carte d´identité, mais c´est l´autre maman, Anka, l´information par téléphone est mal passée, et Zdenko a cherché pour rien, et surtout, on a perdu un temps précieux… qui nous est maintenant compté, puisqu´en retournant à toute trombe à Kežmarok, avec Anka et sa carte d´identité, nous voyons marcher sur le trottoir la foncionnaire du Bureau des passeports, il est 14h10, les portes du bureau ferment automatiquement, elle n´a pas pu nous attendre. Tout ce cirque pour rien! Sur les cinq passeports nous n´avons réussi à en obtenir que deux, cela fera trois gosses qui ne pourront pas partir. Tant pis, on n´a pas le temps pour les émotions, c´est dommage pour la troupe, car ce sera les moins performants qui partiront, et les autres, ce sera pour une autre fois. En tout cas, cela nous a bien occupé la veille du départ…

Mais il serait trompeur de croire que les histoires de fous s´arrêtent là… Nous n´étions qu´en début d´après-midi, il restait encore une vingtaine d´heures avant le départ, et elles allaient être bien remplies… Bien sûr, avec tout ça, il y a les indispensables préparatifs au départ, les costumes, le ravitaillement pour la route, il faut que tout soit prêt. Heureusement, Štefan et quelques anciens sont autonomes à ce niveau, et sous les directives de Helena, ils arrivent à faire les courses, cuisiner les boulettes de viandes, faire les sandwichs, empaqueter le tout pour le départ, prévu le lendemain à 10h. Le soir, il fallait s´y attendre, Roman (notre unique musicien) m´appelle pour amener sa fille aux urgences, elle a de la fièvre, elle tousse, n´arrive plus à respirer. Cas banal, plus d´une fois on a fait le voyage à l´hôpital pour s´entendre dire que ce n´est qu´une bronchite, mais la veille du départ, il est évident que si Roman n´est pas rassuré quand à état de santé de sa petite, il ne partira pas en tournée. Alors je fonce à l´autre bidonville, à une demi-heure de route de là, et je ramène la petite famille aux urgences. A peine arrivés, je reçois un coup de fil de Zdenko, le père des deux gamins aux quels nous avons réussis à faire faire les passeports. Ils n´ont pas de slips et pas de chaussettes, il a honte de me le dire, mais ils ne pourront pas partir comme ça. Je connais ce genre de chantage, à moitié vrai, mais je n´ai absolument pas le temps d´aller avec lui au Tesco qui est ouvert jusqu´ à 10h du soir pour de telles babioles, ni de faire de la pédagogie sur mesure, et je me dis tant pis, ce serait bête que les deux gamins ne partent pas pour ça, alors j´achète vite fait deux paires de chaussettes et de slips dans la superette en bas de chez moi. Pendant ce temps la fille de Roman a eu les résultats de la radio aux urgences, ce n´est pas une pneumonie, le papa pourra partir avec nous tranquille. Je les ramène à leur bidonville, mais avant ça, je passe par celui de Zdenko, pour lui balancer par la vitre les chaussettes et les slips. Il m´attend au bord de la route avec toute sa tribu, avec le dernier né de quelques mois dans les bras, torse nu, il pleut, il fait froid, c´est pas grave, le tout c´est de récupérer son dû. Du moins c´est ce qu´il croit. Comme je le dis, dans des situations pareilles, on a pas le temps de faire dans le détail, ni dans la pédagogie, on va à l´essentiel, la priorité c´est de faire partir les mômes avec nous, alors tant pis pour le paternel et ses petits jeux bébêtes de vouloir à tout prix abuser de la situation, on réglera ca plus tard, au retour. Donc je balance les deux slips et les chaussettes à Zdenko en faisant demi-tour en trombe, et je fonce amener Roman et sa petite famille dans leur bidonville, pour pouvoir enfin, vers onze heures du soir, complètement épuisé, rentrer chez moi, et faire mes bagages pour le départ du matin. Enfin souffler un peu. Il est minuit, je vais me coucher, il va falloir se lever tôt pour aller encore chercher Roman et arranger les mille et une autres choses avant le départ. Il faut un minimum de sommeil pour assurer toute la dépense physique et psychique qui m´attend. Mais non, ce n´est pas encore fini. Le téléphonne sonne. C´est Zdenko, furax, il me dit que qu´est ce que c´est que ça, que je lui ai balancé de vielles chaussettes par la fenêtre de la voiture comme à un mannant, que je l´ai humilié, et que ses gosses ne partiront pas. Espèce de vieux bourricot, je les ai balancé parce que je ne savais plus où donner de la tête, les chaussettes et les slips sont tout neufs, tu n´as qu´à regarder les étiquettes qui sont encore achrochées dessus, et puisque c´est comme ça, tu es bête et stupide comme un âne, alors tu as raison, tes mômes ne partiront pas! Je lui raccroche au nez, tant pis pour les gamins, il y a des limites à tout, le paternel a trop poussé le bouchon, ses mômes resteront à la maison.

La nuit fut courte, le matin, je récupère Roman, avec Véronika, sa compagne, en prime, inicialement elle ne devait pas partir, pour s´occuper de la petite, entre-temps les choses ont changé, la petite a guérie comme par enchantement, donc ce sont les beaux-parents qui vont la garder et la maman part avec nous. Elle nous est parfaitement inutile, au contraire, on n´est jamais à l´abri d´un de ses soudains coup de folie imprévisibles, mais on ne va pas s´en offusquer, on la prend, de toute manière on n´a pas le choix, si on veut que Roman, notre unique musicien, vienne avec nous. Reste la question de quoi va vivre la petite plus toute la tribu pendant notre absence, mais nous refusons de les entretenir, de toute façon quoi qu´on leur donnerait, ce serait dépensé dans l´heure qui suit, alors on leur laisse vingt euro, et on embarque le jeune couple avec nous. Arrivés à Kežmarok tout va bien, Štefan s´est démené comme un pro, tout est prêt, les costumes, les provisions, en plus de ça, tout le monde est là, on peut partir. C´est là que je reçois un coup de fil. De nouveau Zdenko. Je n´ai pas la moindre envie de lui parler, mais je décroche quand-même. Ce n´est pas Zdenko, il a trop honte, mais c´est Klement, son fiston de 7 ans, qui me demande en pleurant s´il peut partir avec nous. Et papa te laissera partir?! Je suis en pétard contre cet imbécile de Zdenko, mais le môme pleurniche, et je n´ai pas le coeur de lui dire non. On embarque les bagages, et on fera une halte en passant par Lomnica, qui est à dix minutes de route. Tous sont là, le petit Klement et son frère Kevin avec leur mère, le père a préféré s´abstenir. Klément a les larmes au bord des yeux, les autres lui disent encore de réfléchir, peut-être qu´il vaut mieux rester à la maison. Mais non, il n´a pas peur, il veut partir avec nous. Moi, je n´ai absolument pas le temps de m´attarder à ces détails, allez, tout le monde dans le bus, et on trace.


 

Le trajet

Ouf, je peux enfin respirer un peu. Tous sont assis sagement sur leurs sièges, les gros sourires illuminent les visages, manifestement heureux de partir de nouveau à la grande aventure et quitter ne serait-ce que pour quelques jours les mésaventures de tous les jours qui constituent leur quotidien au bidonville. On a de quoi faire, nous avons pris un peu de retard en partant et il faut arriver avant la fin de journée à Prague pour le spectacle du soir. On fera le moins de pauses possible, juste ce qu´il faut pour les toilettes et pour avaler les escalopes et les boulettes de viandes cuisinées par Štefan et sa maman. Le petit Klement sanglotte de temps en temps, c´est pas grave, c´est normal, c´est la première fois qu´il part avec nous, ça passera. Les autres le rassurent, rigolent, prennent des photos, on roule en direction de l´ouest. Coup de fil. C´est la maman de Klement. Les grands ont eu la lumineuse idée de lui envoyer les photos de son gamin en train de pleurer, et ça n´a pas tardé, elle nous appelle pour qu´on le ramène à la maison. Bon, on est déjà à deux cent bornes de Kežmarok, on ne va pas faire demi-tour pour ça, et ce serait bête qu´il rate ce grand voyage avec nous. Je dis à la maman que ce n´est rien, on s´en occupe, les enfants ça pleure toujours, ça passera… Je lui passe le gamin pour qu´elle le calme et on continue la route. Les km passent vite, le petit s´est calmé, on approche Prague, mais ça n´empêche pas, cette fois-ci Zdenko en personne, de nous rappeler, pour nous enjoindre de ramener le petit Klement fissa, sinon ça va barder, il viendra le chercher lui-même, à nos frais. Toujours aussi sympa et délicat! Bon, il n´est pas question de revenir et de faire 1 600 bornes pour faire plaisir à cet enfoiré de Zdenko, mais je sens que ça pose problème. Pour l´instant on arrive à Prague, il faut gérer le spectacle, la tuile de Klement, ce sera pour tout à heure. L´étape de Prague était concoctée par Barbora, une jeune tchèque, qui travaille dans le social avec les Roms, qui nous a rencontré il y a de ca quelques années lors de la première de notre film Jenica et Perla à Prague, on s´est dit alors qu´on va se retrouver un jour, et voilà que cela s´est fait. En sachant qu´on allait passer par Prague, elle nous a organisée ce spectacle qui nous permettait de faire une halte sur l´aller de notre tournée. Elle est venue nous rendre visite chez nous un mois avant, et elle s´est démenée pour que tout se passe au mieux. La soirée se passait dans un lieu légèrement alternatif, mais bien sous tous les rapports, tout était ok au niveau de l´hygiène, de l´état des lieux et du public. Une excellente goulash nous acceuillait à notre arrivée et on était prêts pour monter sur scène. Cela constituait en même temps une occasion de roder le spectacle, ce qui n´était pas plus mal. Entre temps Zdenko continuait d´appeler en nous menaçant de nous dénoncer à la police, je ne prenais plus ses appels, il fallait démarrer la production… Le spectacle à peine commencé, voilà que le petit Klement remet ça, il repart en sanglots. Ambiance. Chouette comme image pour les spectateurs, ils vont croire qu´on est des bourreaux de gosses. De toute évidence Klement est très fragilisé au niveau émotionnel, le milieu familial y doit être pour quelque chose… C´est souvent le cas avec des gamins venant des conditions extrêmes, quant ils se retrouvent dans un environement inhabituel ils n´arrivent pas à gérer leurs émotions et ça se traduit par des sanglots. C´est pas grave, ça passe, au bout de quelques jours ce n´est qu´un mauvais souvenir. Sauf que là, nous avons Zdenko en tant que conseiller pédagogique, et ses menaces de dénonciations à la police ne sont pas à prendre à la légère. Pour l´instant je dois assurer sur scène, Helena s´occupe du petit et pour le reste on verra plus tard. Le spectacle se passe très bien, nous avons pas mal d´amis dans le public, c´est un plaisir que de jouer pour eux. A l´origine il était prévu que l´on dorme dans une salle de gym, sur des tatamis, mais quand Barbora m´a fait part de ce plan logement, j´ai appelé mon pote d´enfance Pavel, qui s´en sort pas trop mal, PDG à Prague d´une grosse entreprise internationnale, il nous a trouvé un hostel tout ce qu´il y a de top dans le genre et c´était un bonheur que de pouvoir s´y calfeutrer pour une nuit. En effet, avec le temps je deviens plus pantouflard, je m´embourgeoise, et quand je peux, je m´arrange pour trouver d´autres combines, que celles qui ont été notre quotidien pendant des années lors de nos sorties internationnales. Combien de fois nous avons dormis dans des endroits pas imaginables, par terre, dans des gymnases, sur des chantiers, des squats, etc… Mais maintenant, je n´ai plus le coeur à faire subir de telles conditions à Helena, je le dis tel quel, et je me débrouille pour trouver d´autres solutions. Alors un coup de fil à Pavel a résolu ce petit problème épineux, et nous avions où dormir comme des princes pour deux nuits. S´il n´y avait pas cet émergumène Zdenko qui ne lâchait pas prise, on serait comme au paradis. En effet, il devenait évident qu´il faut trouver une solution. On le savait capable de tout, et ses élucubrations risquaient sérieusement de mettre tout le projet en péril. Mais que faire? Le rapatriement du petit Klement devenait inévitable, le tout était de savoir comment y prendre. Il ne pouvait pas voyager tout seul, laisser partir Štefan pour l´accompagner était vraiment compliqué par rapport ensuite à son retour vers le groupe. Et Zdenko a amélioré son couplet, maintenant non seulement il voulait récupérer Klement, mais en plus il voulait que l´on prenne avec nous sa fille Zdenka, celle qu´il refusait de laisser partir il y a un jour encore. Sinon ça allait barder, soit il prenait un taxi à nos frais pour nous retrouver à Prague, ou encore mieux, il nous dénoncait à la police et le tour sera joué. Du n´importe quoi. Mais dans un milieu où la délation même envers les tout proches fait partie du rituel quotidien des relations sociales, ses menances ne sont pas à prendre à la légere. Nous étions à l´hôtel, je laissais les grands gérer les coups de fil de Zdenko et je cogitais les scénarions possibles du rapatriement du petit Klement. Qui s´est d´ailleurs calmé depuis, et ne voulait plus rentrer… La seule solution envisageable était de la faire partir avec Tomáš, un de nos anciens qui était en ce moment à Prague, était venu nous voir, a participé au spectacle, et par enchantement, devait rentrer le lendemain à Lomnica pour se faire refaire sa carte d´identité qu´il venait de perdre. Tomáš est le cousin direct de Klement, alors il pourra l´amener avec lui. On lui ajoutera aussi Kevin, le grand frère de Klement, comme ça ce sera fait, on n´aura plus affaire à Zdenko. On lui fait passer le message, ça le calme pour le moment et le lendemain matin, au moment de notre départ, on se sépare des deux gamins que l´on confie à Tomáš pour le voyage retour. C´est un peu risqué, parce que Tomáš n´a pas de papiers sur lui, il vient de perdre sa carte d´identité, mais c´est toujours mieux que Zdenko avec son artillerie de menaces et invectives. Juste quelques mots à propos de Zdenko. On le côtoie depuis longtemps, mais sans l´approcher plus que ça. Ses gamins viennent au groupe, pas très régulièrement, ils ne sont absolument pas performants, mais connaissant leur origine sociale, sachant qu´ils vivent dans une misère absolue, nous leurs gardons une place au sein du groupe. Donc Zdenko, on ne l´apperçoit que de temps en temps, jamais il ne viendrait accompagner ses gosses en répétition, on le voit juste comme ça, au hasard de nos allées et venues au bidonville. Zdenko a l´air très bien. Toujours très poli, bien de sa personne, la barbe bien taillée, souriant, il engage plutôt la confiance. Pour un peu, il passerait pour un intellectuel ou philosophe bobo. En tout cas bien élevé… Mais, avec les années de pratique, nous ne pouvons que constater que ce genre d´individus, présentant très bien, que l´on croise inopinément de temps en temps lors de nos pérégrinations sur les terrains, faisant croire à une rencontre illuminée, sont en général sources de très mauvaises surprises, tout à l´opposé des espoirs qu´ils suscitent... Comme quoi, il ne faut surtout pas se fier aux apparences.


 

Mimoň

De Prague à Mimoň, notre prochaine escale, il n´y a qu´une centaine de km, nous arrivons vers midi, juste le temps de se mettre à table. Nous sommes accueillis par Romana et son mari, un couple de travailleurs sociaux ayant en charge la jeunesse rom du coin. Mimoň est un petite ville du nord-ouest de la Tchéquie, comme beaucoup d´endroits semblables, elle a subie une forte migration des roms slovaques dans les années d´après-guerre, et se retrouve maintenant avec une population rom relativement nombreuse, urbaine, avec des problèmes de cohabitation semblables à ceux des banlieues françaises. Nos amis nous ont connus lors d´une de leurs sorties slovaques, et ce n´était qu´une question de temps que l´occasion se présente pour que l´on puisse passer chez eux. Voilà qui est fait, et nous pouvons découvrir leur structure et les jeunes dont ils s´occupent. Ils ont aussi fondé un groupe de danses, très sympathique et dynamique, ils feront la première partie de notre programme ce soir. Les roms tchèques, dans la très grande majorité tous originaire de Slovaquie, sont, ou plutôt ont été relativement bien intégrés dans la société tchèque. L´intégration ne posait aucun problème sous le régime précédant, tout le monde avait du travail, c´est pour ça qu´on les a fait venir de Slovaquie, et ça roulait tout seul. Tout cela a changé après les changements politiques. Plus de travail, que des problèmes… bref, on se retrouve avec un modèle de cohabitation à la banlieue francaise, et bonjour les dégâts, les travailleurs sociaux ont de quoi faire. Quand nous pouvons, nous cherchons à initier des rencontres avec ces populations. Par définition, ils sont beaucoup plus acculturés que les nôtres, pour la plupart ils ne parlent plus la langue rom, n´ont pas les codes culturels ni sociaux de leurs ailleuls. Une rencontre avec notre groupe palie naturellement à tout cela, et de plus, avec la discipline de travail qui est caractéristique pour notre collectif, on fait passer un message pédagogique et social tout ce qu´il a de plus concret et porteur. Et tout ca dans la joie, et la bonne humeur, alors pourquoi s´en priver. La rencontre se passe très bien. D´abord en spectacle, dans la salle des fêtes locale, pleine à craquer, c´est à croire que tous les Roms de la région sont là. Il va sans dire que le succès est phénoménal, d´autant plus que la fête continue spontanément encore après notre production, les spectateurs, jeunes et vieux, continuent à danser et chanter avec nous jusqu´à la fermeture des portes. La discothèque se poursuit ensuite dans un mode plus réduit, juste avec les membres du groupe local, au centre social, cela permet de faire mieux connaissance, au bout de quelques minutes ils seraient tous prêts à partir avec nous le lendemain… Bien, mission remplie, cela fait du bien de retrouver un peu de sérénité après les déboires de notre départ causés par Zdenko. Vraiment, quel imbécile, ses fils auraient été tellement bien ici… Le soir nous avons la chance de bénéficier pour encore une nuit de la générosité de Pavel, et nous dormons cette fois dans un endroit paradisiaque, un immense chalet appartenant au club de golf du coin, le nec plus ultra en terme d´habitat pour nous. Le matin un petit déjeuner titanesque courronne cette étape hors du commun et nous poursuivons en direction de Paris. Après le départ de Klement et Kevin nous ne sommes plus que 22, ce qui est très peu, il nous arrive que très rarement de partir si peu nombreux. Ca sera plus simple pour les hébergements, mais j´aurais préféré que l´on soit plus, c´est plus efficace pour le spectacle, et surtout, autant que le plus possible de jeunes puissent profiter de cette aubaine.

La route est longue, nous en avons pour une vingtaine d´heures. Pour passer le temps nous passons des films, dont aussi ceux dans les quels nous figurons. Jenica et Perla, Cigan, Kesaj Tchave les enfants de la fée. Les organisateurs les ont projetés avant notre arrivée à Prague, mais ils sont aussi programmés régulièrement dans des salles ou des festivals, comme par concours de circonstances, hier lors de notre spectacle à Mimoň, il y a eu aussi la première du film de Pau Aleixandri, Kesaj Tchave les enfants de la fée tsigane, en Italie, et la veille, c´était la reprise de Jenica et Perla à Prague.

Trocadero

 

Nous arrivons à Buno vers minuit. Le château, toujours prêt à nous accueillir à bras ouverts, encore une histoire de miracle… Le temps de s´instaler, se rassasier, prendre des douches, faire la cuisine pour le lendemain, il n´est pas loin du matin lorsque tout le monde est enfin couché. Aven Savore seraient bien venus nous rejoindre dès le matin, mais nous avons insisté pour qu´ils ne viennent qu´en début d´après-midi, afin que l´on puisse récupérer un peu après ce démarrage de la tournée en trombe. Donc ce n´est que vers les 15h que nous attaquons ensemble une grosse répétition grandeur nature, comme nous en avons le secret, qui se poursuivra jusqu´en début de la soirée et se terminera par un repas pris en commun. L´année dernière il y a eu comme du flottement dans nos relations avec ce groupe que nous avons réussi à initier avec les Intermèdes-Robinson, le relationnel n´est pas toujours évident, surtout lorsqu´on a affaire à des néophytes dans la pratique artistique, mais il faut passer ces petits caps difficiles et profiter des occasions qui se présentent pour donner aux jeunes de Chilly un peu de notre savoir-faire et partager la culture rom dont nos jeunes sont des porteurs par excellence. 

Comme nous sommes moins nombreux que d´habitude, la répartition pour dormir se fait plus facilement, les filles sont toutes dans une chambre et les garçons sont répartis dans les autres, plus quelques uns sur des matelas dans le couloir central. Pour le lendemain la météo a prévu du mauvais temps, alors nous sommes perplexes quand à le tenue de la manifestation sur le Parvis des Droits de l´Homme que nous avons organisé et préparé depuis un mois. S´il cela ne tenait qu´à nous, c´est simple, on annule tout et on reste à la maison, au château. Un peu de repos ne serait pas de refus. Mais pas mal de personnes étaient concernées, nous avons diffusé l´info de tous les côtés, et tout ce petit monde s´apprêtait à venir battre le pavé avec nous sous la Tour Eiffel. Donc c´est avec le coeur serré que nous prenons place dans le bus vers midi pour être sur place à 14 heures, sachant que la météo peut nous jouer des tours une fois sur place. Nous n´avons pas à suffrir des barrages des Gilets jaunes, sans doute le mauvais temps a tempéré leur détermination, on parvient sans encombres un peu avant 14 heures au Trocadéro. Sur le Parvis, comme d´habitude, une nuée de vendeurs à la sauvette africains nous tombe dessus, on connaît la chanson, les jeunes arrivent même à obtenir quelques petites tours gratuitement en guise de cadeau. Décidément, l´expérience paie. Un autre comité d´accueil, des CRS en grosse tenue de combat sont très présents, on sent que l´atmosphère est tendue. Nous n´avons même pas essayé de déposer une demande auprès de la Préfecture de Police, comme les autres années, avec tout le bazar autour des Gilets jaunes, était cause perdue d´avance, on aurait essuyé un refus, alors on a pas insisté. Par contre j´ai essayé timidement d´expliquer au premier CRS à ma portée l´objectif de notre intervention, on va juste chanter une petite chanson, on a pas de gilets jaunes sur nous ni parmi nous. Il ne comprend pas grand chose, mais hoche de la tête en disant qu´ils ne sont pas des sauvages, qu´on peut faire ce qu´on veut… Bon, on verra. Heureusement un autre comité d´accueil, beaucoup plus sympathique, nous attend sur place, nous sommes ébahis de voir une bonne vingtaine de jeunes tenir audesssus de leurs têtes un énorme bandereau avec inscrit dessus „Kesaj - Fénelon“ et tout sourire se tourner vers nous. Je savais que les jeunes de la classe Ulise du Lycée Fénelon de Brest devaient venir, mais je ne pensais pas qu´ils seraient aussi nombreux et aussi bien équipés. Prêts à manifester. Deux de leurs profs les accompagnent, ils ont tous des feuilles de papier à la main, avec dessus, tout plein de questions qu´ils désirent poser à nos jeunes. Cela fait maintenant presqu´un an qu´ils sont sur le projet de rencontre avec nous, et là, une étape importante, la première rencontre, est en train de se réaliser. On sent une grande attente et beaucoup d´émotions de leur côté. Sur le champ, il faut relever le défi, les nôtres ne sont pas trop portés sur l´expression verbale, alors je prends l´initiative, je traduits les questions, et pour faire plus vite, nous sommes quand-même dans le stress par rapport à la météo et aux CRS, j´anticipe les réponses, bref j´improvise un briefing grandeur nature, tout en scrutant le ciel qui ne promet rien de bon, il est évident que ça va barder, ça s´assombrit de tous les côtés. Nous attendons pour démarrer, car les Tamèrantongue ne sont pas encore là, mais ils ne devraient pas tarder, on m´assure au bout du fil que ce n´est qu´une question de minutes et ils arrivent. On se met en place pour démarrer notre intervention, on est plus à l´aise pour chanter et danser que pour répondre aux innombrables questions spécialisées de nos jeunes lycéens de Brest.  Pendant ce temps, le ciel continue à se noircir, ce n´est pas un orage, mais un déluge qui se prépare dans l´immédiat et la fin du monde dans les instants qui suivent. Les CRS, pas bêtes, ont déjà évacué, c´est déjà ça, au moins ils ne pourront plus nous interpeller, on reçoit l´aviso que les Tamèrantong sortent du métro, alors on attaque. La météo est sincro, pile, les premières gouttes commencent à tomber. Et c´est des grosses gouttes. Elles sont rapidement transformées en grêlons, et c´est le ciel tout entier qui nous tombe instantanément sur la tête. La catastrophe. La panique. Que faire?! Il est évident qu´il faut évacuer au plus vite. Heureusement, il se produit le contraire de ce que l´on attend, au lieu de la panique complète c´est la rigolade totale. Maria, l´égérie du groupe, la forte tête a, comme toujours, une réaction absolument opposée à ce que l´on pouvait s´attendre, au lieu de faire la grimace et pleurnicher, faire la tête, elle se met à rigoler d´un de ces fou rires dont elle a le secret, contagieux et irrésistible, tout en continuant de chanter et de danser, alors, tout le monde suit, et c´est en rigolant comme des fous, dans un élan de folie collective, que nous quittons ce Parvis des Droits de l´Homme Mouillé, trempés, crachant les grêlons pour pouvoir chanter, le célèbre Singing in the rain grandeur nature, en mode tsigane. 

Où aller?! Déjà partir, c´est l´essentiel, on fonce en direction du métro, et c´est là que l´on aperçoit, sous la voûte de l´entrée du Musée de l´Homme, massé en attroupement ultra serré, comme des sardines, un condensé de l´humanité toute entière. Les touristes des environs ont eu la même idée que nous, se réfugier en catastrophe sous le premier abri à la portée de la main, alors nous nous joignons aux péruviens, américains, chinois, vietnamiens, allemands, japonais, polonais, et qui sais-je encore, bref, le monde entier, nous fusionnons tous dans une masse compacte et uniforme de pardessus et vestes mouillées, on dirait l´Arche de Noé, en tout cas, le déluge était déjà au rdv, le décor est au top. Que faire maintenant? Tous les regards des nôtres sont rivés sur moi, dans l´attente de quelque chose que personne ne pouvait définir, puisque c´était moi l´auteur de ce projet fou, donc j´était le seul sensé de savoir ce qui était prévu. Sauf qu´il n´y avait rien de prévu en cas de pluies et orages, je ne suis pas un spécialiste de manifestations, ni politiques ni météorologiques, alors j´entamme la seule chose qui est de mon ressort, on commence à chanter, il n´y a pas de place pour danser, donc on ne peut pas rabattre sur des extrait de notre programme, on se contente de tourner en boucle un refrain tsigane quelconque, que j´agrémente en désespoir de cause d´un tonitruant Les copains d´abord, que l´on altère avec l´Education d´abord au refrain suivant. A ma grande surprise, le succès est total, tout le monde suit, les nôtres, sans comprendre la signification profonde ni première des slogans, les reprennent joyeusement en phonétique avec moi, les français, ravis, retrouvent leurs repères fondamentaux des fils de la patrie toujours prêts à se ranger en bataillons pour défendre des nobles causes, se joignent avec verve et exaltation à nous, et les touristes du monde entier, comprenant qu´ils ont affaire à une matérialisation impromptue de ce qui est par excellence de plus profond de la culture et du caractère français, ne veulent pas rester en reste, et spontanément se mettent à l´unisson de cet élan universel révolutionnaire que nous sommes tous en train d´accomplir sous la voûte du Musée de l´Homme. Le bâtiment n´a jamais aussi bien portée son nom. Je suis au milieu de cette masse universelle, tel un torero dans une arène avec les spectateurs et le taureau au corps à corps, sans un centimètre de place libre, alors je tourne en rond sur moi-même et je continue à lancer des Les copains d´abord, et l´Education d´abord à tout va. Toujours le même succès, la reprise des choeurs est instantanée, nous nageons au sens figuré et propre, dans un bonheur et une exaltation quasi mystique, les regards émerveillés aux bord de la transe collective figés sur moi en sont une preuve indéniable. Pour un peu, on commencerait à léviter de bonheur… Bon, c´est bien beau tout ça, cinq minutes ça va, mais après, rapidement ça risque de devenir répétitif. Que faire? Nous ne pouvons pas bifurquer sur autre chose, il n´y a pas la place pour le moindre pas de danse. Encore un peu et ça va virer de nouveau à la catastrophe, je sens un léger vent de panique poindre en mon for intérieur. Heureusement, un ange sauveteur vient apporter une solution miracle à la présente situation. Le chérubin salvateur, c´est le chef du Service de sécurité du musée, très déterminé, qui se fraie un passage à travers la foule pour m´injoidre d´arrêter sur le champ ce cirque et déguerpir au plus vite. Le bonheur. Heureusement qu´il est venu, sinon je ne saurais vraiment pas quoi faire. Pour le principe, et pour le public, je joue au militant contrarié, je fais front comme un vrai trotskiste, jacobin, zapatiste ou gilet jaune, en disant qu´on va pas partir comme ça, on est des durs à cuire, tout en lui faisant des clins d´oeil et susurrant en douce qu´on s´en va immédiatement. Alors encore une tournée exaltée de l´Éducation d´abord et c´est en entonnant Les copains d´abord de Brassens que nous quittons têtes hautes notre azyl météorologique et théâtre politique d´un après-midi de déluge, pour s´engoufrer dans le métro qui nous tend ses bras et ses souterrains secs. Un court moment de gros scrupules par rapport à tous les participants trempés que j´ai entraîné dans ce délire contestataire de contester on ne sait même pas trop quoi, vite dissipé par des sms et des coups fils enthousiastes de tous les côtés, m´assurant que tous viennent, qu´ils arrivent de Brest, Marseille ou Saint Denis, de vivre un moment unique, de ceux dont dont on se souvient toute sa vie. Là , je suis d´accord, de ce truc, mois aussi, je m´en souviendrais longtemps. Il ne faut voir aucun dessein politique derrière tout cela, nous sommes loin des politiciens, parlements et assemblées nationales, mais nous sommes tout près de la politique de terrain, de celle du bas, et là, c´est partout pareil, que ce soit en France, en Slovaquie ou ailleurs, l´éducation doit être accessible à tous, elle ne doit pas être sélective, ce n´est pas un concours ouvert qu´aux meilleurs, marche ou crève... Non, l´éducation, tout comme la vie, doit être aussi une affaire de copains, une affaire d´amitié, où tout le monde doit avoir les mêmes chances de réussir, pas que quelques uns...  

Heureusement, il n´y a pas eu de séquelles au niveau de la santé, pas de rhumes ni de coup de froid à déplorer. Nous avons déposé sur la route ceux des Intermèdes-Robinsons que nous avons pris avec nous, et nous pouvons revenir à Buno pour, enfin, une nuit et un jour de repos bien mérité. Ca fait près une semaine que nous sommes sur les routes, et ca nous fera le plus grand bien. Le lendemain Aven Savore ne peut pas venir, ils doivent aller à l´école, ça tombe très bien, le repos sera ainsi complet. Je n´ai aucun mal à faire respecter le silence à la troupe pour ne pas déranger les secrétaires de Vincent qui travaillent au premier étage, en effet, tout le monde dort jusqu´à midi, il y avait de quoi récupérer…

Après cette journée de repos salvatrice nous avons devant nous le spectacle à Antony, organisé par Romeurope en un temps record, et organisé très bien. Je le constate plus d´une fois, les militants ne sont pas les mieux indiqués pour organiser des manifestations culturelles, mais cette fois-ci, c´était l´exception qui confirme la règle. Tout s´est très bien passé, malgré un temps maussade, la pluie n´a pas cessée depuis deux jours, la salle du Centre André Malraux était remplie, on a même retrouvé des vielles connaissances, Ronaldino, que nous avons connu tout petit au camp de Champlan, et qui a fait partie ensuite de nos tournées d´été, a je ne sais pas par quel hasard eu connaissance de notre venue, et est arrivé avec toute sa grande famille, le public était alors très hétéroclite, roumains, roms, français, militants, sympathisants, tous contents... 


 

Guerches

Le lendemain, réveil matinal, une remise au propre de notre „dortoir“, le Château de Buno, et nous pouvons filer vers Guerches sur l´Aubois, l´étape qui est à l´origine de cette tournée, puisque c´est l´équipe locale du Ccfd qui a lancée l´iniciative pour organiser notre venue il y a un an. L´accueil est très sympathique. Bien que nous en avons maintenant l´habitude, après le passage au Trocadéro et les lycéens du Fénelon, le gros bandereau avec „Bienvenue au Kesaj Tchave“, accroché sur la barrière du bâtiment qui doit nous accueillir, nous surprend et émeut de nouveau. Tous les bénévoles sont là, tout sourire, c´est ce qui s´appelle être reçus à bras ouvert. Il n´y a pas eu beaucoup de route jusqu´à Guerches, nous sommes arrivés un peu avant 15 h, juste à temps pour un goûter avec tous les bénévoles, suivi de multiples activités, allant du colloriage, à la confection de fleurs en papier, en passant par des ateliers de danses et chant. C´est ceux-là qui nous conviennent le mieux et nous prenons l´initiative en entraînant dans la ronde avec nous nos hôtes qui ne demandent pas mieux et participent de plus belle en dansant et même en chantant en tsigane. Il y a de quoi faire, de 15h30 jusqu´à 20h45, ça fait un paquet d´heures, alors on fait de notre mieux pour occuper l´assistance et aussi nos jeunes, qui doivent quand-même tenir le coup pour être au top pour le spectacle du soir. Il y en a un qui n´est pas au top, et alors pas du tout, c´est Meklesh, notre jeune rom roumain des terrains de Montreuil, que nous connaissons maintenant depuis une dizaine d´années et qui nous a rejoint la veille à Buno. Avec Meklesh nous avons vécu d´innombrables aventures rocambolesques, à l´image de ce garçon pas très gâté par la vie, laissé à l´abandon tout petit, étant souvant la risée des bidonvilles, qui savent être très cruels envers les siens dès qu´ils sont en position de faiblesse. Depuis toujours Meklesh a la porte ouverte chez nous et dès qu´il peut il vient se ressourcer un peu. Meklesh n´est plus un gamin, il va sur ses 24 ans et ses déboires de grand ado deviennent des malheurs de jeune adulte. Candide et pas très futé, il a le profil idéal de celui au quel on fait porter le chapeau pour des coups tordus que d´autres ont manigancé. Là aussi, il est embourbé dans une histoire pas très claire, il s´est fait arrêter par la police, doit être jugé sans trop savoir pour quoi… va savoir. Toujours est il que Meklesh a toujours été très correct avec nous, plus d´une fois il a attrapé par la main nos petits lorsqu´ils voulaient chaparder des chewings goms à notre insu, nous savons qu´il a un bon fond, il en a fait la preuve plus d´une fois. Alors que tout va au mieux dans le meilleurs des mondes dans la Salle des Fêtes de Guerches, notre Meklesh vire à la mort clinique. Il n´est pas bien du tout, tout blême, ne réagit presque pas, le regard blafard, il tourne de l´oeil. Pris dans le tourbillon de mes occupations avec toute l´assistance, je ne cesse de courir d´un groupe d´activités à l´autre, en essayant de dynamiser les participants, je suis le seul à pouvoir servir d´interprète et pouvoir répondre à d´innombrables sollicitations, je n´ai pas le temps de m´occuper de son cas. Je vois qu´il n´est pas bien, il y a avec nous aussi quelques uns de nos amis de longue date de Yepce, alors je leur laisse le bébé et juste de temps en temps je viens jetter un coup d´oeil pour évaluer la situation. Elle n´est pas brillante. Les bénévoles lui ont instalé un matelas de fortune sur le carrelage, un peu à l´écart, il y a un médecin dans la salle, il constate qu´il ne doit pas y avoir un danger imminant, mais l´état du jeune roumain n´inspire pas confiance, on appelle les urgences. Ceux-ci sont débordés, ils ne peuvent pas venir, tant-mieux, je préfère gérer ce genre de moribond moi-même. Il n´y a pas grand chose à faire, connaissant et pratiquant l´émotivité exacerbée des Roms, sachant qu´ils réagissent souvent d´une manière excessive à des bobos bénins, je choisis de ne rien faire, le laisser tel quel, en observation, en l´hydratant et gardant au chaud avec une grosse couverture. Mais je ne suis pas rassuré, bien sûr, le gamin m´inquiète. Heureusement, il y a pas mal de monde pour prendre soin de lui, ça occupe toute une petite armée de bénévoles, qui auraient certainement mieux à faire. Inutile de dire que je suis en pétard contre ce grand nigaud, il mobilise tout ce monde, fait craindre le pire, nous pompe de l´énérgie, même s´il n´a pas l´air de trop comprendre, je lui dis ma façon de penser, car il me semble de plus en plus évident qu´il a du abuser de quelque chose. Ce qui s´avère vrai, j´apprends vite qu´ils ont bu avec Dushko quelques bières la veille. Pas beaucoup, juste une ou deux, mais vu la situation, c´est une ou deux de trop. Je suis absolument contre toute consomation d´alcool chez nous. Y compris les adultes, moi-même, tout le monde, personne ne doit pas boire la moindre goutte de quoi que ce soit lorsque nous sommes en tournée. Nous sommes tous comme en service commandé, alors régime sec. Cette règle de fer est enfreinte par des gens extérieurs à nous, souvent des jeunes moniteurs adultes d´autres associations boivent un verre de vin ou sirotent une bière, ce n´est pas bien méchant, mais je suis absolument, totalement contre. Dushko, notre ancien musicien, devenu instructeur chez les Intermèdes-Robinson a demandé la veille à Helena s´ils peuvent ouvrir une ou deux bouteilles de bière pour fêter leurs retrouvailles avec Méklesh. Helena, toujours bonne poire, a dit oui, et ça n´a pas raté. Meklesh est hors circuit. Je ne pense pas qu´ils aient beaucoup abusé, ils n´étaient pas ivres, ni éméchés, ça je l´aurais tout de suite vu. Mais Méklesh était certainement dans une carence alimentaire sévère et même ces deux canettes de bière ont eu un effet dévasatteur. Les bénévoles me doivent prendre pour un tyran, car je ne lui manifeste aucune compassion et je le laisse alongé sur son matelas par terre à méditer la portée de son exploit. Bien sûr, je me préocupe quand-même un peu de ce que vont penser tous ces gens autour de nous, ils ne nous connaissent pas, et peuvent maintenant imaginer tout et n´importe quoi. Bon, il faut s´occuper du reste du groupe, il y a un spectacle à assurer tout à l´heure, alors Meklesh n´a qu´à poirauter sur son matelas comme un vrai poireau, il aura de encore de mes nouvelles. Je repars mobiliser mes troupes, et aussi les surveiller, car Meklesh n´est pas le seul à prétendre au piédestal des héros des coulisses d´exploits douteux. Maria, notre diva ado en pleine crise d´adolescence, est toujours prête à chipauter une bouteille, plus pour nous provoquer et épater l´assistance que pour la consommation en soi. Mais tout se passe bien, il n´y a pas d´autres excès à déplorer, nous assumons une bonne prestation devant un public acquis, et Méklesh n´a pas trépassé entre temps. Le lendemain je le dépose à la gare sncf la plus proche pour un aller direct sur Paris et l´affaire est réglée. Je n´ai même pas besoin de le sermoner plus que ça, il sait très bien qu´il a fait une grosse bêtise et devra s´abstenir de kesaj pendant un bon moment.


 

Le couvent

Une nuit de route et nous descendons à notre prochaine étape – le Couvent des Petites soeurs de Marie au Château de Castelnau d´Estrètefonds dans les hauteurs de Toulouse. Décidément, les châteaux, une fois qu´on y a pris goût, on ne plus s´en passer… En effet, l´endroit est hors commun. Une tranquilité paradisiaque, personne à l´horizon, juste quelques bonnes soeurs vaquant à leurs occupations, que l´on apperçoit telles des petites schtroumpfettes (dixit Johann) au détour des dédales du magnifique parc qui entoure le couvent. Jeannine Le Merer s´est très bien débrouillée, on ne pouvait espérer mieux en terme d´hébergement. Nous sommes tout seuls, dans les intendances du château, sur deux étages, les filles avec nous en bas, et les garçons en haut. Bien sûr cela donne des idées aux gars, qui voudraient rendre une visite de politesse aux filles, mais l´heure n´est pas aux mondanités, une fois minuit passé chacun doit rester dans ses quartiers. Comme on pouvait s´y attendre, ce n´est pas l´heure tardive qui va décourager nos jeunots, ils tentent le coup malgré le couvre feu décrété. J´ai encore l´ouïe fine, la chambre des filles juxtapose la nôtre, les parquets sont d´origine, je n´ai aucun mal à déceler les craquements du plancher d´à côté, ils doivent être au moins quatre, alors j´envoie Helena régler leur compte. En même temps je pars en reconnaissance par la fenêtre, nous sommes au rez-de-chaussé, pour ne laisser échaper personne. Les gars, entendant les grincements de la porte de notre chambre se sont enfuis dans le couloir, pour tomber directement dans mes bras à la sortie. Il fait noir, nous sommes dans un château, j´ai les contours d´un parfait fantôme, le résultat est plus que probant, les apprentis damoiseaux s´étalent terrorisés par terre les uns à travers les autres, avec des cris de frayeur et d´épouvante, pour se réfugier de nouveau dans la chambre des filles pour se faire intercepter par Helena. Par miracle, la grosse statue de la Vierge Marie qui trône en plein milieu du couloir n´a pas bronchée, et n´a pas finie en morceaux, il ne manquerait plus que ça… Je n´ai qu´à cueillir nos explorateurs insomniaques, quelques gifles paternelles pas trop méchantes mais bien envoyées servent d´argument pédagogique et tout le monde est enfin au lit. Il serait temps, il n´est pas loin des trois heures du matin et la journée a été longue. Ainsi que la nuit, puisque nous avons roulé pratiquement non stop du soir au matin pour faire la liaison Guerches – Toulouse. A peine arrivés, juste le temps de s´installer, nous sommes repartis en direction de la Salle des Fêtes de l´Union, où nous étions attendus pour le repas de midi par une délégation des bénévoles du Ccfd aux petits soins pour nous. Le spectacle du soir était prévu à 20h30, ce qui nous laisse largement le temps de faire ample connaissance et passer en revue tous les détails de notre aventure avec nos hôtes, qui sont avides d´apprendre de première source comment fonctionne notre groupe. Suit le repas du soir, le spectacle, et de nouveau retour au couvent sur le coup de minuit. Cet emploi de temps était le schéma de nos journées à venir. Départs en fin de matiné, retour après minuit. Un emploi de temps bien rempli avec des rencontres, des découvertes, des échanges mutuels. Tout le long de notre séjour des bénévoles du Ccfd nous accompagnaient à chaque pas et veillaient à ce que tout se passe bien. Chaque journée avait son programme particulier, avec de nouveaux partenaires. Nous avons pu ainsi découvrir une école mobile pour les Gens de voyage à Tournefeuilles, aux Arènes Romaines nous avons fait connaissance avec l´association de quartier Rencont´Roms nous, des roms roumains très actifs sur leur quartier et sur leur camp de la Flambère. On se comprenait très bien, leur dialecte était semblable au nôtre, et aussi leur façon de faire corerspondait à nos pratiques. Nous avons partagé avec eux une après-midi festive avec des groupes locaux, des africains, des cambogiens, des roumains, tout ça dans une très bonne ambiance de partage et de découverte. Une petite échappée salvatrice au MacDo du coin pour changer du quotidien des sandwichs qui constituaient notre menu journalier. Le soir les spectacles rencontraient un franc succès, les organisateurs ont fait un excellent travail de communication, les salles étaient pleines.

Le point culminnant du séjour à Toulouse était la Journée du Vivre Ensemble en Paix, organisée par la Mairie et l´association Aisa, dans la Salle Ernest Renan, avec des responsables des communautés soufie, juive, védique et catholique, des membres du Collectif Solidarité Roms de Toulouse, et les Médecins du Monde. Cela se passait au quartier des Trois Cocus, au bord d´une cité très sensible de la ville. Pas plus tard que la semaine dernière un fait divers tragique s´est produit ici, un adolescent s´est fait poignarder dans l´enceinte même de l´école pour une histoire de réglements de comptes entre bandes rivales. Notre intervention dans l´établissement n´a été avalisée qu´à la dernière minute. Un parterre de gamins de 8 à 10 ans nous attendait devant le préau de l´école, sagement assis par terre, presque tous d´origine africaine, pour nous cela évoquait des images de documentaires de géographie, nous n´avons pas l´habitude d´une telle homogénéité ethnique, sauf si l´on se refère aux roms dans notre région. Le spectacle est improvisé en fonction du lieu et du contexte social, nous n´omettons pas la partie de la participation du public, tout le monde danse, c´est un peu bordélique comme d´habitude, mais manifestement ce moment de décompression et de décontraction collective fait du bien à tous. Avant le spectacle du soir suit une grosse pause de repos qui n´est pas du tout du repos… Et pour cause. Nous sommes dans un quartier ultra sensible. Lorsque je vais une rue plus loin, sur la place centrale de la cité, le seul endroit en peu civilisé en termes de service public, il n´y a plus de commerces, juste un bureau de tabac et une poste, le décor fait penser à un mauvais thriller des banlieues grandeur nature. Des gamins d´une dizaine d´année à tous les coins de rue à faire le guet pour leurs grands frères, un trafic à la lumière du grand jour, une réalité d´épouvante… Incroyable, comment cela peut-il exister dans un état de droit, en Europe?! Le temps de faire la queue devant le seul distributeur de billets me parrait une étérnité, j´ai l´impression d´être téléporté dans une autre galaxie, dans un autre univers. Je retire des billets du compte de Roman, il vient de recevoir ses allocations, pour ensuite les faire parvenir au pays par l´intermédiaire de mon fils à la famille de Roman, qui comme d´habitude n´a pas un sou pour manger. Un certain parallèle entre l´endroit où je me trouve et les bidonvilles de chez nous est évident, heureusement, le trafic en moins. De retour à la salle des fêtes je constate tout de suite qu´il manque quelques filles à l´appel. Maria, bien sûr. J´ai donné des consignes très strictes, personne ne doit s´éloigner d´un mètre sans mon autorisation, d´ailleurs, nous avons même garé notre bus dans un autre quartier, car sur son pare-brise il y a une grosse inscription „Club de Police“ (il fait la navette pour la police chez nous) et nous voulions éviter des vitres cassées… Une des femmes de ménage de la salle me dit qu´elle les a vue partir en direction de la cité. Je fonce. Il n´y a pas une minute à perdre. Nous sommes en plein ramadan, les filles sont en mini-jupes, décolté provocateur, ce n´est pas l´accoutrement idéal pour faire du tourisme de quartier. Heureusement, je n´ai pas à aller loin, je les apperçois à l´entrée du premier immeuble avec un gars qui leurs propose gentiment sa camelotte. Je siffle un bon coup et sans palabres je les ramène dare-dare au bercail. Explications sévères devant tout le groupe et en face-à-face avec les gamines. Cela aurait pu tourner très mal. Interdiction de bouger, tout le monde assigné à résidence, pas un pas sans mon autorisation. Maria est en pleine crise d´adolescence, dès qu´une occasion se présente, elle ne la rate surtout pas pour nous provoquer, pour attirer notre attention. Cela se comprend, elle a perdu son père toute petite, elle a dix frères et soeurs, mais personne pour prendre soin d´elle, alors elle compense le manque d´affection comme elle peut. Nous avons bien connu son père, Vlado, il était à nos côtés dès nos débuts, c´était quelqu´un de très bien, une personnalité du bidonville. Alors nous n´allons pas laisser tomber sa fille comme ça. On endure et on surveille. Le soir finit par venir, la salle se remplit, un public composé surtout de musulmans, regroupés dans l´association locale. La Mairie soutient l´action, il y a aussi les élus, d´autres associations de quartier sont représentées. Au départ l´atmosphère nous parrait un peu tendue, les gens sont distants, tout le monde est encore sous le coup de l´assassinat du jeune d´il n´y a pas longtemps. Tout change après notre passage sur scène. Après le spectacle suit un repas en commun, des spécialités maghrébines, servies à volonté, avec le sourire, dans une ambiance détendue et fraternelle. Paraît-il qu´il n´était pas évident au départ d´avaliser notre participation à cet événement. Mais par la suite c´était tout le contraire, l´association musulmane a même décidée de nous envoyer une partie de la recette de la soirée en soutien de notre action.

Nous quittons Toulouse et les Petites Soeurs schtroupfettes en fin de matinée, la pluie nous empêche de faire une petite visite touristique de la ville que nous n´avons même pas eu le temps de voir, ce sera pour une autre fois. Pareil pour Lourdes, qui étaient prévues au départ, nous nous rendons compte qu´il est impossible physiquement de faire l´aller-retour dans l´après-midi que nous avions pour rejoindre Toulon. Le couvent a été un véritable havre de paix pour nous durant notre séjour, les soeurs ont veillées sur nous et les bénévoles du Ccfd ont fait le reste. Nous sommes parés pour la prochaine étape, qui, au niveau de l´hébérgement, est une véritable épreuve. Nous avons réservé huit chambres dans un hôtel Formule 1 dans les environs de Toulon, car cela aura été trop compliqué d´organiser notre logement avec les moyens du bord sur place. C´est simple, l´hôtel est en chantier. Total. Heureusement encore que les chambres sont intactes, mais tout le reste est sans dessus dessous. Du plâtre partout, des fils électriques à tous les étages, le patron et quelques ouvriers polonais s´affairant au milieu de ce cataclysme du bâtiment. On a pas le choix, on fait avec. Avant de se coucher nous avons le spectacle dans la salle de l´Hélice, une petite salle associative, remplie tant bien que mal. L´étape de Toulon était organisée un peu à la sauvette, manifestement des difficultés se sont présentées à différents niveaux, les organisateurs ont d´autant plus de mérite d´avoir persévéré pour nous accueillir. Sur place nous retrouvons nos anciens contacts et amis du Ccfd et aussi Roxane et sa fille Zuly, que nous faisons monter sur scène dans le final avec Djab, le prof de danse de Tamèrentongue qui nous a rejoint de Marseille. Les spectateurs, même s´ils ne sont pas très nombreux, apprécient et ne ménagent pas leurs applaudissements pour cette dernière étape de la tournée Ccfd. Une nuit sur le chantier, mais bon, du moment qu´on a pas à manier la truelle et trimbaler des sacs de ciment… et c´est le retour au pays, avec un arrêt sur le chemin à Poet Laval, où nous marquerons juste une halte, le temps que les chauffeurs de bus fassent leur pause de 9 heures. Un spectacle est prévu, mais les 6 heures à attendre sur place sont quand même longues. Il va sans dire que nous sommes tous fatigués, épuisés après une tournée au programme très intense, le temps n´est pas de la partie, il pleut, que faire pendant tout ce temps avant la production du soir. Heureusement, nos hôtes de l´association Bizz´Art Nomade, avec Mylène Sauloy, ont des penchants artistiques, et ne voient aucun mal à ce que nos jeunes puissent se servir de la sono pour le spectacle, alors ils jouent pratiquement non stop durant les six heures qui nous séparent du spectacle. Du coup le temps passe très vite, avec un micro à la main c´est du gâteau… Aussi simple que ça. Ce mouvement perpétuel impromptu n´affecte en rien la production du soir, au contraire, nous avons retrouvé une forme d´enfer et nous envoyons une sacré énergie devant une salle pleine à craquer. Suit la route du retour, tout le monde dort pratiquement tout le long du trajet, les vingt heures passent alors aussi très vite et nous voilà à la maison.


 

Sankt Jakob

Dès notre retour au pays nous avions un programme bien rempli, une série de tournages et enregistrements nous attendait. D´abord un reportage pour la principale chaine d´infos slovaque TA3, qui a été tourné le 25 mai et diffusé à plusieurs reprises par la suite. La chaine a une très large audience au niveau national, et c´est une marque de reconnaissance certaine que de figurer dans cette série de portraits de personalités slovaques contemporaines. Le reportage dure une vingtaine de minutes, le temps de faire le tour des activités de la personne concernée et de donner la parole aux intervenants extérieurs qui s´expriment sur le parcours du personnage. L´ambassadeur de France, Christophe Léonzi, nous a fait l´honneur de participer à l´émission, le reportage a bien cerné notre action en montrant des extraits de nos répétitions et spectacles. Le 15 juin nous avons été invités au Festival de Zamagurie. Ce festival est un événement folklorique majeur non seulement au niveau régional, mais il a aussi un retentissement national, voire international, vu sa localisation juste à la frontière polonaise. Nous avons participé à de nombreuses éditions de ce festival, surtout à nos débuts. Après, un peu moins, nous n´étions pas toujours disponibles, peut-être aussi que des changements de stratégie ou des changements personnels sont intervenus au niveau de la direction du festival. Les retrouvailles après des années furent d´autant plus émouvantes et réussies. Un accueil chaleureux, un public enthousiaste et une production pratiquement impeccable (sans modestie aucune :). Avec, comme d´habitude, tout plein de nouveaux et de tout petits, la marmaille, en tout on était presqu´une cinquantaine… Tout ça a donné une excellente journée, de celles que l´on a envie de recommencer…

Pas plus de dix jours après, nous sommes attendus à Sankt Jakub, près de Klagenfurt, en Autriche, pour un séjour de trois jours avec spectacle, mais aussi des visites touristiques, rencontres et échanges avec les jeunes sur place. Tout cela est organisé par nos amis, un couple slovène, Rozi et Marjan. Rozi et Marjan ont entendu parler de nous par des gens qui nous ont vu au Festival Transvocale à Frankfurt sur Odre en Allemagne. On a mis presque deux ans à monter le projet d´un séjour chez eux, les dates avaient du mal à coller, ça a pris du temps. Rozi et Marjan n´ont pas laché le morceau, ils sont venus spécialement à Bratislava pour qu´on se rencontre, et deux mois plus tard, c´était fait, nous étions chez eux. Déjà, dès notre première rencontre j´ai senti qu´on a à faire à des gens hors norme. Le séjour à Sankt Jakob n´a fait que confirmer mon sentiment, que dis-je, c´était encore bien plus fort que je le croyais. Rozi et Marjan sont des gens passionnés, militants, engagés, et surtout, ils ne font pas que dans la théorie, mais excellent aussi dans la pratique. En tant que membres de la minorité slovène de la Carinthie autrichienne, ils ont un rapport très particulier à tout ce qui touche la discrimination, la ségrégation, l´injustice... L´Anschluss est pour eux une tragédie qu´il ne faut pas oublier, et c´est aussi dans cet état d´esprit qu´ils nous ont invité chez eux, pour un spectacle sous le signe de l´entente entre les peuples, de la paix et aussi de la mémoire. Le séjour fut paradisiaque. L´accueil, le programme, les hôtes... incroyable. Il y aurait beaucoup à dire sur tout ça, en bref, durant tout le séjour nous avons senti une attention, une bienveillance, un soin tout particulier. L´amitié, la générosité et l´empathie se dégageait de tous les gens que nous avons rencontrés. Les jeunes ont sympathisé instantanément, les adultes étaient hyper cool, pas prétencieux, simples et généreux. 

La rencontre avec Rozi et Marjan nous a donné des forces, de l´énergie, de l´espoir. Et la conviction que tous ces mouvents de résistance, que ce fut la Résistance française, le Soulèvement national slovaque ou la guérilla des partisans en Yougoslavie ou en URSS, étaient des mouvents portés par des hommes et des femmes comme eux, courageux, ordinaires, s´investissant dans leurs convictions par les actes, pas de paroles inutiles...  Rozi et Marjan font du théâtre militant avec des jeunes, ils organisent des manifestations, des expositions, hébergent chez eux des migrants, n´hésitent pas à faire venir juste pour un weekend une trentaine de gamins roms de Slovaquie jusqu´en Carinthie autrichienne, juste pour montrer que c´est possible, que l´on peut vivre aussi en harmonie, pas qu´en guerres et conflits... Avant notre spectacle du samedi nous sommes aussi intervenus à l´exposition Meritev, dans la gallerie locale. L´exposition parle de l´Anschluss, et des mesures raciales qui ont été mises en oeuvre peu de temps après l´arrivée des nazis. Dans le village de Sankt Jakob, à majorité slovène, les allemands ont procédé à des prises de mesures antropologiques, afin de déterminer et sélectionner ceux qui sont de race pure, supérieure, et les autres, ceux qui ne correspondent pas aux critères de la race propre, ceux qui sont inférieurs, destinés aux déportations, à l´extermination… Ce souvenir, encore des années après, résonne très fort auprès des habitants de Sankt Jakob. Rozi et Marjan, font tout pour que ces actes ne tombent dans l´oubli, et chaque année organisent des événements de mémoire en souvenir de ces sinistres pratiques. Ils sont les résistants, les partisants d´aujourd´hui… Nous ne voulions pas être en reste, alors nous avons aussi inclu dans notre spectacle du soir une petite chorégraphie se reférant à cette période tragique de l´histoire d´Autriche. Après Madara, un chant spirituel tsigane, j´expliquais au public, comme d´habitude, que madara veut dire n´ai pas peur, que nous sommes heureux que les spectateurs n´ont pas eu peur, pas plus que les organisateurs, et nous avons pu nous produire ici... Le seul dont on peut avoir peur, c´est l´homme en soi-même, hélas, nous sommes capales du meilleur comme du pire... Et à ce moment là, les garçons se mettent en garde-à-vous, les bras croisés sur la poitrine, l´air méchants, déterminés, sans broncher. La musique entame la chanson de Lili Marlene en rubato. Puis la mélodie passe en marche, les garçons marchent sur place, à la militaire, et de temps en temps poussent des bêlements de brebis... Les brebis, commes les habitants d´alors, qui, comme des moutons ont suivi l´apologie de la haine pronée par Hitler. Le tempo devient rapide, enjoué, les danseurs dansent et font des claquettes à la tyrolienne et se mettent à sauter à saute-mouton. Tout cela toujours sur fond du bêlement de brebis. Brusquement, la musique s´arrête net, et chaque danseur après avoir sauté, bêle, un coup de tymbale comme un coup de feu jaillit, le danseur s´écroule, terrassé par une balle imaginaire. Celui qui sautillait joyeusement au son de la chanson nazi, finit par être fusillé comme les autres… Inutile de dire, que nos gars prenaient tout ça au sens premier et ne pouvaient pas s´empêcher de rigoler juste au moment qui devait être le plus tragique, lorsqu´ils étaient censés de s´écrouler sous les balles. Peu importe, il ne faut pas non plus se prendre trop au sérieux, mais nous avons marqué le coup, et bien entendu, nous avons parlé avec nos jeunes de la signification profonde de ce petit squetch.

Ce séjour était très court, juste trois jours, mais très intense. Nous étions logés chez des bonnes soeurs, une fois de plus, dans l´Internat de l´École catholique slovène qui accueille les élèves slovènes de toute l´Autriche. Au début, la soeur Uršula, qui nous accueillait, n´avait pas l´air commode. Ce n´était pas une schtroupfette, loin de là. Ses consignes étaient strictes, nous n´avions pas la moindre intention de ne pas le respecter. C´est sûr, nos gars basanés et tatoués de partout, devaient dénoter par rapport aux jeunes filles slovènes qu´elle avait l´habitude de surveiller tout au long de l´année, alors il ne faut pas s´étonner qu´il y ait eu un peu de défiance lors du premier contact avec notre groupe. Cette méfiance fut vite dissipée, et nous nous quittions comme de vieux amis, comme des cousins proches qui se comprennent, puisque le slovène et le slovaque, deux langues slaves, sont très semblables, peu importe que ce soient des tsiganes qui les parlent. Dans la foulée, nous avons réussis aussi à faire une interview pour la rédaction rom de la Radio slovène de Ljublana et une superbe sortie touristique sur une tour géante avec une vue panoramique exceptionnelle, suivie d´une baignade dans le ruisseau de la montagne adjacent. Il faisait très chaud, alors ça tombait très bien, et puis, nous avons l´habitude, les gosses des bidonvilles ont pour piscines les torrents glacés des Tatras toutes proches.


 

L´Ambassade et le bidonville

La fin de l´année scolaire était là, mais notre année à nous, notre saison artistique, était loin d´être finie. Avant de partir de nouveau pour la France, nous avons reçu une proposition exceptionnelle. Le lundi 8 juillet 2019 nous avons eu l´honneur et le privilège d´être conviés à la Résidence de France de Bratislava pour partager la table de l´Ambassadeur de France en Slovaquie, s.e. Mr. Christophe Léonzi. Avec un groupe de six jeunes de Kesaj Tchave, nous avons eu ainsi droit au mêmes honneurs et saveurs gastronomiques que d´illustres diplomates, ou hommes politiques, ministres, secrétaires d´état... Cette rencontre inouïe,  proposé en toute simplicité par Mr. l´ambassadeur, témoigne bien de la largesse d´esprit et d´une vision humaniste de ce que peuvent  être la politique et la diplomatie, servie par un fonctionnaire d´état qui remplit sa mission au delà des simples directives et comptes rendus administratifs, et par des gestes et actions toutes simples arrive à donner un visage humain à l´appareil d´état, à l´exercice du pouvoir. La politique, la citoyenté à visage humain. Les jeunes, comme les moins jeunes d´ailleurs, sommes sortis profondément émus et marqués par cette rencontre. Mr. l´ambassadeur a pu ainsi prendre connaissance de nos projets, et d´une manière informelle et détendue a pu répondre aux questions de nos jeunes. Notamment sur la signifiquation profonde du grand tableau de peinture contemporaine qui ornait la salle de la réception de la Résidence, et qui rappelait avant tout un grifouillage d´un gamin de 4 ans, ou carrément répondre à la question ingénue de nos filles (Maria, toujours elle) de savoir qu´est-ce qu´il y a au premier étage. Ce sont les appartements privés de l´ambassadeur, et celui-ci les a fait visiter en tout simplicité à nos jeunes. Cela n´est encore jamais arrivé de mémoire de la Résidence. C´est ce qui s´appelle de la diplomatie. Merci, Mr. l´Ambassadeur.

Le départ en tournée est dans quelque jours, bien remplis, avec encore des tournages et enregistrements. Dans la foulée, un documentaire sur la culture rom pour la télévision nationale slovaque STV2 avec le régisseur Jozef Banyák, un enregistrement pour le CD du clip Tarajko et Popletajka, et le tournage du clip lui-même, au bidonville de Veľká Lomnica le 11 juillet, trois jours avant notre départ. Tarajko et Popletajka (Blablateur et Cafouilleuse) sont deux personnages de la nouvelle scène musicale slovaque pour enfants. Le film est écolo, et aussi multiculti dans le sens de la cohabitation entre les différentes cultures et nationalités. Tout un programme, courageux et téméraire, si on s´en réfère au climat de repli chauviniste qui fait la pluie et le beau temps en Slovaquie en ce moment. C´est pourquoi, sans hésiter, nous avons accepté de collaborer à ce projet inhabituel, non conventionel et novateur malgré notre départ en voyage tout proche. Le résultat est plustôt positif. Les auteurs ont eu le courage d´inclure aussi des Roms dans leur projet artistique, et le clip montre sans voyeurisme ni apitoiement inutile le bidonville tel qu´il est, vu par les yeux des gamins qui l´habitent. Le message est que même des enfants roms peuvent s´intéresser au sort de notre planète et prendre part à des projets écolo… Le clip en est à ses 50 000 vues sur youtube.


 

Tournée d´été

Toujours dans notre série des déboires profonds avec les compagnies de bus, nous nous retrouvons de nouveau en situation catastrophique, cette fois-ci non par manque de bus, nous nous sommes mis d´accord avec notre transporteur depuis le retour de la dernière tournée en mai sur les modalités de celle-ci, mais c´est au niveau des conducteurs que nous pêchons cette fois-ci. Il faut deux chauffeurs pour faire le trajet, un seul ne pourra pas assumer la route en fonction des temps de conduite imposés par la réglementation européenne. Et le deuxième conducteur de la compagnie a déclaré forfait au dernier moment, trouver un remplaçant au pied levé, avec la pénurie des chauffeurs au niveau national et international, équivaut à une mission impossible. Alors de nouveau, on envisage des solutions de fortune abracadabracantes, qui nous obligeraient à faire des haltes plus fréquentes, à raison de toutes les huit heures avec des pauses conséquentes, donc des temps d´arrêt avec hébergements supplémentaires, ce qui augmenterait monumentalement le coût du transport. Où trouver le deuxième chauffeur?! On fait le tour de toutes les compagnies, slovaques, polonaises, on songe même aux ukrainiens… Sans espoir, aucun conducteur de bus à l´horizon. On est mal partis, ou plutôt, pas partis du tout. La veille de départ, en désespoir de cause je passe un coup de fil à un vieux copain, directeur du Théâtre de Prešov où j´ai travaillé il y a longtemps, sans grand espoir, et miracle, un de leurs chauffeur à la retraite est d´accord pour partir le lendemain avec nous. 

Lorsqu´il s´avérait évident qu´il nous faudrait faire une halte sur le chemin de Gannat, le trajet étant trop long pour pour le faire d´un seul coup, j´ai envoyé un message à Rémy, s´il ne pouvait pas nous manigancer quelque chose à Besançon, qui se trouvait sur notre trajet. Rémy est un militant passionné de la cause tsigane. Il est animateur à la Radio Sud de Besançon, et s´occupe plus particulièrement des Gens de Voyage de la région. Nous nous connaissons par l´internet, nous nous sommes rencontrés que très brièvement à Cracovie lors de la Commémoration de l´Holocauste tsigane à Auschwits. Je l´appelle sans grand espoir, organiser un spectacle en une semaine relève de l´impossible, de la pure fantaisie pour dire les choses telles quelles. Mais c´était sans connaître Rémy. En moins de deux ce fut fait. La salle était réservée le jour même, la pub était partie le lendemain, et une semaine après, lorsque nous étions sur place, la salle était pleine à craquer. Incroyable, mais vrai. Et tout ca avec un accueil plus que sympa, Rémy était là, aux petits soins, veillant personnellement à ce que tout soit nickel. Et ce le fut… Le spectacle était chargé d´émotions, Rémy nous a même donné un grand drapeau rom, enfin nous en avons un. Nous avons réussi à faire une petite visite touristique de la ville et de l´église Sainte Madeleine. Elle était sur notre trajet, alors nous sommes entrés. Personne à l´intérieur, juste un homme assis au premier banc. Nous la visitons d´abord, tout doucement, pour marquer ensuite un temps d´arrêt pour se reccueillir. Les jeunes vont s´assoir à côté du seul visiteur autre que nous en ces lieux. Normalement, suivant les modes et coutumes de notre temps, on ne va pas vers un inconnu. On reste à l´écart. L´église est immense, ce n´est pas la place qui manque. Mais nos jeunes, spontanément sont allés vers le seul être humain qui se trouve là. Ils s´assoient à côté de lui, sans faire de bruit, ils prient. Ensemble. Ce sentiment vivant, réel, de communion, de l´appartenance à l´humain m´émeut. Les tsiganes, enfants de la nature et de la Vierge Marie… C´est alors que survient le gardien de musée, car il y a aussi un musée en cette église, ce que nous ignorions, bien sûr. En effet, l'église héberge un musée de trois salles, où sont exposés l´histoire du quartier Battant, de sa vie viticole, et de ses personnalités historiques, ainsi que la vie religieuse de la cité, avec une collection de paramentique catholique, objets de culte et documents... le musée est ouvert uniquement sur réservation pour les groupes et associations mais le gardien nous propose spontanément une visite et nous le suivons volontiers.


 

Le Festival de Gannat

Le Festival Folklorique International des Cultures du Monde de Gannat est pour nous un "bébé" du Ccfd. Oui, aussi curieux que cela puisse paraître, il en est ainsi, puisque c´est suite à une rencontre avec Anne Roziers que les premiers contacts ont été pris, et ceux-ci ont été ensuite concrétisés par la visite de Luc Roche, président du Festival, à Clermont-Ferrand, en 2018, lors de notre tournée Ccfd. C´est là qu´on a conclu pour notre participation au Festival en 2019. Il en été ainsi, et ça s´est très bien passé, avec en prime une canicule de tonnerre, agrémentée par de véritables tonnerres qui ont accompagnés les derniers jours avec des orages passagers. Donc un séjour sous le signe des changements climatiques, que nous avons affrontés sous le toit d´un gymnase qui nous servait de dortoir et qui participait encore à sa manière au sentiment de la fin du monde par le dérèglement climatique, l´appogée en étant dans la salle de douches, toute en carrelage, qui nous servait de chambre à coucher, à Helena et à moi. Un vrai sauna équatorial. Quand j´essayai de m´endormir, tard dans le nuit, sur mon lit de camp, j´avais l´impression d´être dans un de ces films d´aventures dont les héros sont dans l´enfer des tropiques et ne savent pas s´ils vont retrouver un jour les douceurs de la civilisation (Papillon, Le salaire de la peur, etc.). Mais bon, on a survécu, et même avec le sourire, et ce grâce avant tout à nos accompagnatrices dévouées, expérimentées et efficaces, Camille et Laurie, et aussi, grâce à un accueil sans faille à tous les niveaux et à toutes les étapes du Festival. 

La première de ces étapes était dans une petit village des environs, Chambaron-sur-Morges. Nous y avions deux prestations, une l´après-midi dans un établissement pour personnes handicapés et ´autre, en fin de journée, sur la place centrale pour tout public. Le spectacle pour les personnes handicapés au Viaduc à Chambaron, n´était pas des plus faciles. Ce n´est jamais évident de se produire devant des spectateurs particuliers, atteints de maladies, en souffrance ou en fin de vie. Cela nous arrive parfois de faire des spectacles dans des hôpitaux ou hospices, ou dans des établissements pour handicapés, comme ce fut le cas au Viaduc. Nous nous posons dans la Salle des Fêtes de la ville, et c´est en costumes que nous déambulons à pied jusqu´ à lá résidence. Le soleil est au top, il doit faire dans les 40°, c´est une entrée en la matière pour tout le séjour qui va suivre. Les patients nous attendent dans la cour de l´établissement. N´en jetez plus, la cour est pleine... Il y a des handicapés moteurs, sur des chaises roulantes, d´autres immobilisés sur des chaises-lits et d´autres, se mouvant librement sur ce qui doit nous servir d´espace scénique, visiblement pas du tout enclins  à s´en aller de là. Il ne nous reste qu´à faire avec et de les inclure tels quels dans notre spectacle. C´est ce qui se passe avec le plus grand naturel. Dès que nous avons commencé à nous accorder tout le monde s´est mis à danser, en fait nous avons commencé le spectacle par la fin, c.a.d., par la session de danse avec le public et sans transition aucune nous avons passé au spectacle propre, tout en gardant avec nous nos spectateurs dansants. Nous avons réussi à les faire assoir juste le temps de jouer le Conte de Fées, et puis s´est reparti pour le bouquet final avec de nouveau, tout le monde sur le parquet... En fin de compte, rien de spécial. Mais le naturel avec le quel les jeunes ont assumé ce spectacle - thérapie, leur prestance et assurance, et surtout la bonne volonté, sans le moindre signe d´une quelconque gêne ou défiance, me fait considérer cette intervention comme un "succès". Un succès non seulement du point de vue du spectacle, mais avant tout un succès humain. Une générosité, une compassion sans faux semblants, un vrai pas vers son semblable, une main tendue à celui qui en a le plus besoin. Tout cela se lisait sur les visages ébahis et heureux de ce public, hélas, si particulier, et pourtant semblable à nous, mais de l´autre côté de la barrière... Cette barrière, ce jour là, nous avons réussi à la franchir.

Nous sommes repartis commes nous sommes venus, à pied, dans la bonne humeur, le soleil s´est calmé entre-temps, nous avalons quelques sucreries en guise de goûter et sommes prêts pour attaquer le spectacle tout public. Le Maire en personne s´affaire à installer la sono, mais ce n´est pas un spécialiste du son, et il laisse faire nos jeunes qui sont tout pleins de bonne volonté dès qu´il y a des micros et des fils éléctriques à portée de la main. Bien mal lui en prend, en moins de deux les fils sont mélangés dans un inextricable enchevêtrement de câbles et rallonges, et personne n´a la moindre chance de venir à bout de ce noeud gordique grandeur nature. Je suis absolument néophyte dans tout ce qui touche à l´éléctrique, pour ma balalaïka je ne fais confiance qu´ à la seule force de mon biceps, je ne peux intervenir d´aucune façon, je n´aurais pas du laisser les jeunes jouer aux ingés sons. Je vois le Maire paniquer légérement, il y a quand-même tous ses électeurs assis devant à assister à ce débacle technologique, c´est mal parti… Heureusement, un autre élu survient, il est technicien de son, et il arrive tant bien que mal à remettre tout en place. Il pourra se présenter aux prochaines élections…

Après le spectacle suit le dîner. En familles. Je ne suis pas très enthousiaste de ce genre d´expériences, on ne sait jamais comment ça peut finir, mais visiblement, les habitants de Chambaron y tiennent, une dizaine de familles attendent de pied ferme pour se partager nos jeunes pour leur faire découvrir les délices de la cuisine française maison. Je lance un tonitruant surtout pas d´alcool, et je suis emporté par le Maire en personne chez lui. Je prends avec moi les plus petits, Filip et Lubka, advienne que pourra… Mais tout se passe très bien. Un peu avant minuit nous retrouvons tous nos participants français, tsiganes et slovaques à la soirée de découvertes gastronomiques, visiblement tous heureux et satisfaits de l´expérience qu´ils viennent de vivre. Ouf, la première journée est derrière nous. Il faut encore assurer la nuit. L´avantage de dormir dans une salle de gym, c´est que tout le monde est logé à la même enseigne, et surtout nous les avons constamment sous l´oeil, il n´y a pas où se cacher pour des coups tordus en perspective…

Un article paru dans le journal municipal parle de notre passage :

Dans le cadre du 46ème Festival des Cultures du monde à Gannat, la municipalité de Chambaron sur Morge a proposé, jeudi 18 juillet, une soirée folklorique avec au programme le groupe Slovaque ” Ensemble Tsigane Kesaj Tchave “. C’est devant un public venu nombreux sur la place Paul Gaillard à Cellule qu’une trentaine de danseurs et musiciens ont fait partager leur spontanéité, leur énergie et leur enthousiasme par le biais de la musique du chant et de la danse. Accueillis par le maire Philippe Gaillard à 16 h 30, le groupe a d’abord offert un intermède de grande classe aux amis du centre le Viaduc, très bon public. En présence de la conseillère départementale Stéphanie Flori-Dutour et des personnalités représentant les élus de RLV et des communes alentours, le groupe a présenté un spectacle rythmé, énergique, quasi acrobatique avec des costumes colorés somptueux. Un authentique condensé de musique Tsigane à l’état brut au travers d’une histoire autour de la fée Kesaj qui prône l’idée selon laquelle pour recevoir de l’amour, il faut d’abord savoir en donner. C’est tout simplement un choc culturel car tout ce qu’il font dans leur folklore coloré à un rythme fou propose un spectacle juste magnifique. Cette soirée a été une occasion de partager un grand moment de convivialité avec les artistes pendant le spectacle, mais aussi « en direct » puisque les bénévoles ont reçu par petit groupe, les intervenants pour un dîner partagé. Philippe Gaillard en à profité pour les remercier chaleureusement pour leur participation et leur implication dans la vie communale.

 

Les mines

 

Le lendemain nous partons tout de suite apres le déjeuner à Saint-Eloy, une petite ville minière, qui nous a convié pour un spectacle et nous a fait l´honneur de participer à l´innauguration de leur Kiosque à Musique, datant d´un siècle, mais remis à neuf récemment. On nous a prévenu, la Maire, qui allait nous recevoir en personne, était un drôle de personnage. Caractérielle. Il y avait du vrai. Nous étions sur place un peu avant 15 h, le soleil était à son comble, chaque place à l´ombre valait de l´or. On attend sagement que tout le monde vienne, les anciens mineurs, les élus, les élèves, et nous assistons à l´innauguration. Toujours par 40°. Même les discours les plus courts deviennent interminables par cette chaleur, mais nous endurons. Les retraités des mines sont des sympathiques papys, souvent d´origine polonaise, on arrive à baraguiner quelques mots ensemble. Nous intervenons aussi, avec quelques mots pour nos compatriotes tchécoslovaques qui ont eux aussi, constitué le gros des forces ouvrres des mines françaises d´antan. Une ou deux chansons, et nous nous refugions dans le Musée de Mines qui est juste à côté. Mme le Maire nous invite à boire le vin d´honneur, je refuse poliment, elle insiste, je rétroque que nous avons des enfants et des mineurs parmi nous, elle dit que ce n´est pas grave, la mairie a préparé du vin, alors tout le monde va boire, les jeunes aussi, ça ne peut pas leur faire de mal..! Bien sûr, je refuse, cette fois-ci fermement, et je commence à comprendre que le personnage tienne de sa réputation. A part ça sympathique, mais un fort caractère. Les papys nous entraînent dans le musée pour une visite guidée. Le commentaire, avec tous les détails techniques, dépasse largement nos possibilités et disponibilités intellectuelles et physiques, je traduis à ma façon, j´invente des histoires farfelues pour amuser la galerie, je sens que si ça se prolonge, il y en aura qui vont commencer à tomber comme des mouches. Heureusement, le papy ancien mineur qui nous sert de guide est compréhensif, et on s´évacue à l´air libre. Mme le Maire remet ça, du vin pour tout le monde. Là, je ne prends plus de gants, tant pis pour l´incident diplomatique, je me rue sur le buffet et je sers moi-même les boissons non alcoolisées aux jeunes. La situation est tendue, mais le principal est que le soleil a baissé d´intensité et que l´on puisse se désaltérer. Que faire maintenant. On a encore deux heures à poirauter avant le dinner, et après il y aura encore le spectacle. Nos prestations sont très dynamiques, nous avons besoin de recharger nos réserves d´énergie pour tenir jusqu´ à la fin. Là, manifestement il n´y a pas comment, ni où. On déambule comme des zombies dans un parc sans arbres, il n´y a même pas un ballon pour taper dedans, les grands fument, les petits les regardent avec envie. Vient l´heure du dinner, tout le conseil municipal est là, la Maire n´insiste plus pour le picrate, somme toute elle est sympathique, le tout est de lui tenir tête. Les élus doivent apprécier… Le soir, le spectacle se passe dans l´amphithéâtre, juste à côté d´un étang, bien sûr, ca ne rate pas, les jeunes profitent que je sois pris par les balances du son pour faire trempette. Descente musclée de ma part, il n´est pas question que de pareilles sorties nautiques s´improvisent sans ma présence. On continue à régler les micros. Comme on pouvait s´y attendre, Jakub tombe dans les pommes. Mme la Maire est là, elle n´en mène pas large, elle voit maintenant où ménent les excès de protocole par temps de canicule. Les Urgences, déjà sur place, prennent soin de lui, une déshydratation banale, vu la météo, rien de plus normal. Il reste dans les vestiaires, emmitouflé dans des couvertures, sous la surveillance de nos accompagnatrices, dont une est infirmière, ça tombe bien. Nous rentrons vers minuit, on restera encore trois heures dehors, à surveiller et sécuriser Jakub, qui revient que peu à peu à lui. Une journée bien remplie. Et la nuit de même.

Le pire, c´est la chaleur. Il n´y pas où s´échapper. Il y a une piscine juste à côté, le festival a des entrées libres, mais il faut des maillots de bain pour y aller. Pas possible de trouver un seul slip de bain bon marché dans toute la ville. Nous avons fait toutes les boutiques et les super marchés, il n´y a que des maillots de marques, hors prix pour nous. Alors nous nous rabattons sur une petite rivière des environs, nos accompagnatrices nous assurent que c´est sécurisé, alors on y va. A peine descendus du bus, Diana saute dans l´eau et tombe directement dans un trou d´eau. Heureusement, je suis juste derrière elle, je n´ai qu´ à tendre le bras et je la sors par la tignasse sur le bord de la rivière sécurisée. De toute évidence, elle n´est pas sécurisée du tout, alors demi-tour et retour au gymnase. L´incident n´est pas grave, mais nous a tous secoués. Dès notre retour Helena ramasse tous les mobiles. On s´assied tous en rond pour un meeting improvisé. Je demande au plus petit, Filip, le frère de Diana, il a 8 ans, de raconter à tout le monde ce qui s´est passé. Il dit tout de go : Diana est morte, elle s´est noyée. Bravo! Encore heureusement qu´Helena a confisqué les portables. Hé, ballot, tu vois bien que Diana est vivante, elle est là, assise à côté de toi!.. Je n´ose pas imaginer ce qui serait arrivé s´il avait fait passer ce message démentiel aux parents.

 

Avec tout ça, nous continuons à assumer les spectacles, à raison de deux par jour, parfois même trois, car les animations qui sont programmées les après-midi sont en fait des spectacles à part entière, de surcroît dans des conditions tropicales. Les autres groupes ne tiennent pas le coup. Il y a juste les ghanéens et les cosaques du Don qui s´accrochent. La canicule est implacable, elle enfreint sérieusement le cours du festival. Je comprends que ce n´est pas évident, mais les organisateurs auraient du annuler certaines manifestations, de toute manière il n´y avait presque pas de spectateurs par ces temps de chaleur torride. La piscine, finalement, en fin de séjour nous parvenons à y accéder, on nous a laissé entrer avec des boxers, l´information est mal passée au début… Nous sommes reçus à la Mairie de Gannat, qui est partenaire du Festival, nous organisons des ateliers de danses, on donne des interview à la radio, il y a même une correspondante de la Radio Slovaquie Internationale, ce qui donnera une série de cinq reportages à l´international, diffusées de Bratislava. Bref, du classique festivalier, s´il n´y avait pas cette fichue canicule, tout serait parfait. Bien sûr, il faut avoir constamment l´oeil sur Maria, toujours prête à s´échapper avec ses acolytes pour dénicher une bière, de préférence servie par des jeunes hommes d´un groupe voisin. Son comportement juvénile et irresponsable a marqué tout le séjour. On a beau lui faire des remontrances, sévères ou douces en alternance, candide, elle baisse les yeux en jurant de ne plus jamais recommencer, pour remettre ça dans l´heure qui suit. Le plus simple aurait été de l´exclure du groupe il y a longtemps, mais cela équivaudrait à la livrer toute seule à la rue, et on ne voulait pas en arriver là. Et puis, elle danse comme une déesse et nous n´avons personne pour la remplacer au pied levé. La conséquence directe de ses agissements était que pour la première fois, nous n´avons pas particpé à aucune des discothèques que le festival organisait. C´est dommage, car ça pénalisait tout le monde, les garçons en premier lieu, qui se conduisaient très bien, mais même eux, ils reconnaissaient que dans ces conditions nous ne pouvions pas risquer de sortir le soir avec ces égéries intenables.

 

 

Les cosaques

 

Une de nos sorties nous a menée à Vignoux-sous-les-Aix, quelque part du côté de Bourges. Nous devions y passer le weekend, en étant hébergés dans les familles. Encore une épreuve. Pour moi. Car à part mon inquiétude surdimensionnée, tout se passe bien. Au contraire, c´est une excellente leçon de vie pour nos jeunes, un capital de confiance monumental, pour une fois, eux, les parias éternels, sont reçus comme tout le monde chez des gadjés, chez des français, chez eux, dans leurs maisons, ils leur offrent le gite et le couvert. On leur fait confiance! Ils sont dignes de confiance! Idéal comme outil pédagogique pour Helena et moi, et nous nous en privons pas, nous instruisons les jeunes en détail sur le comportement à observer, surtout ne pas décevoir la confiance que tout le monde leur a manifesté, cela n´arrive pas tous les jours… Nous avons fait plus d´une fois l´expérience de ce genre d´accueil chez les habitants, et à chaque fois ça s´est bien passé. Bravo aussi pour nos hôtes, les français, qui n´ont pas peur, et osent, malgré tous les préjugés en cours, de pareilles expériences.

Nous devons nous produire le dimanche, mais nous sommes sur place déjà le samedi soir, pour que les familles puissent nous héberger. Et cela nous permettra aussi d´assister à la partie de dancing géante qui est organisée ce soir. A vrai dire, je nous vois très mal partis. Partout que des buvettes, des tombolas avec des bouteilles à gagner, un diner campagnard géant avec des boissons à volonté. Bref, une beuverie gigantesque à la quelle nous deverons assister et surtout ne pas prendre part. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Tous ces braves gaulois réunis dans la Fête annuelle du Foyer Rural local, ça ne peut que finir très mal. Décidément, je suis un grand inquiet. Heureusement, il n´en n´a rien été, encore un de mes phantasmes d´antan… Au contraire tout s´est très bien passé, nos sympathiques villageois ont dansé toute la nuit, je n´ai constaté aucun abus de l´alcool, à part celui, bien entendu, de Maria, qui n´a pas pu s´empêcher d´aller acheter une bière en douce. Mais je l´ai débusqué avant qu´elle puisse accomplir son méfait, alors tout va bien, on lui a fait passer un sacré savon et la vie continue comme avant. Nos jeunes ont pu aussi se défouler sur le parquet de danse et vers minuit tous sont répartis dans les familles, il ne reste qu´à attendre le matin pour voir le résultat des courses.. Mais le lendemain tout va bien, s´ils pouvaient, ils resteraient bien quelques jours de plus… L´après-midi nous avons deux spectacles d´une demi-heure, en alternance avec le groupe des Cosaques d´Azov. C´est un défi à relever. Les groupes russes et les groupes des pays d´Est sont en général d´un très bon niveau, par contre ils ne pêchent pas par excès de modestie. Nos cosaques sont du même acabit, distants, l´air supérieur, ils nous regardent de haut. Nous partageons la même scène, alors lorsque ils viennent prendre place après nous, ils ne peuvent ne pas voir nos instruments de musique que nous avons laissés sur place pour le prochain passage. Un piano électrique d´un autre âge, et surtout mes percussions, ma tymbale défoncée, déchiqueté, ou du moins ce qu´il en reste, puisque je tape dessus avec une barre de fer comme un forcéné. Ca, les russes n´ont jamais rien vu de pareil. Ils doivent se dire que ces français sont complétement fous d´inviter de pareils énérguménes à leur festival. Plus d´une fois nous avons eu affaire avec des groupe de cette sorte. Excellents, parfaits, plus que parfaits, ils ont tout pour plaire, sauf un petit manque d´émotion… et ça, par contre, nous en avons à revendre. Alors le public fait la différence, et c´est pourquoi on nous appelle un peu partout depuis une vingtaine d´années…

Nous retournons à Gannat sous les tropiques, la météo excelle toujours dans le rouge, c´est la canicule dans toute sa splendeur. Jusqu´à 42°! Par contre je prends les choses en main au niveau des productions, pas question de danser sous le soleil, on recule l´heure des prestations, et bien sûr, il faut des boissons à volonté partout où nous passons. Nous avons avec nous Honzo, un ami tchèque de longue date qui est venu nous donner un coup de main, puisque nos partenaires de Yepce n´ont pas pu se libérer pour cette tournée. En effet, avec l´âge, nous constatons qu´un renfort extérieur est souhaitable, alors des copains nous accompagnent. Honzo est ingénieur architecte, il a un cabinet de projection, c´est une sommité mondiale, il n´arrête pas de donner des conférences à travers le monde, il a roulé sa bosse un peu partout, approche des soixante dix ans, mais tient très bien la route, et a un très bon contact avec les jeunes. Il peut nous seconder lors des déplacements, lors du couchage, il partage le dortoir de la salle de gym avec le groupe, et surtout, il a une vue philosophique sur le monde et sur les choses de la vie qu´il partage avec nous pour notre plus grand bien. Voilà ce qu´écrit Honzo vers la fin de la tournée :

le séjour avec les tsiganes touche à sa fin. cela aurait été une excellente école pour des managers. une approche totalement différente de la vie. le passé n´a aucun intêret, pas plus que l´avenir. tout simplement, le moment idéal pour vivre c´est le présent, mais certainement pas pour se surmener. tout projet d´avenir est utopique, et l´avenir commence à la minute qui suit. ce qui n´est pas sous clé, peut s´évaporer. cela veut pas dire que ce serait volé, ce n´est qu´emprunté et déposé à une autre place. moi, je suis considéré sur le coup comme le meilleur des papys du monde, et à l´instant suivant ils seraient capables de m´égorger, sans même savoir exactement pourquoi, ils menacent de ne plus m´adresser la parole jusqu´ à la fin de la tournée, et dans cinq minutes ils vont me demander de leur acheter des cheving gum ou de leur prêter mon portable. cela m´a pris un peu de temps pour comprendre qu´ici on ne donne pas d´explications, tu dis simplement non, et c´est réglé, et dans quelques heures ils vont te demander la même chose. et ainsi de suite. du moment qu´ils ne sont pas sous l´emprise de l´alcool, ce que nous réussissons à éviter jusqu´ à lors, ils sont gérables, etc… excellente expérience. je commence à les aimer…“

honzo

 


Veronika

 

J´aurais oublié Veronika, la compagne de Roman. Ils forment le parfait couple infernal, mais par rapport aux débuts de leur relation il y a quand-même beaucoup de progrès. Veronika n´a pas encore tentée de s´enfuir en plein milieu de la nuit dans n´importe quelle direction, elle n´a pas balancée de couteau sur Roman, n´a pas tenté de lui arracher les yeux, bref, la parfaite lune de miel… Mais rien ne dure étérnellement. On me réveille vers les deux heures du matin, Veronika est mal. L´avant-veille c´était Jakub, la veille Diana prenait la relève, maintenant c´est au tour de Veronika. Je cours vers elle, elle est allongée par terre, en plein milieu de la partie filles du gymnase, recroquevillée sur elle-même, se plaint des maux du ventre. Roman est planté devant elle, hagard, je l´envoie à l´écart, visiblement, sa place n´est pas ici. Les pompiers arrivent, ils sont de service permanent auprès du gymnase, alors ils sont là illico. C´est des jeunes gars, secouristes, qui ne semblent pas trop savoir que faire. J´ai à peine le temps de m´occuper de Veronika, qu´on m´appelle dehors, cette fois-ci c´est Viktoria qui vient de s´écrouler devant la porte, évanuie. J´étais infirmier lors de mon service militaire, chez nous ça a duré deux ans, alors j´ai de la pratique, je trie les blessés par degré de gravité comme en temps de guerre, sous les regards médusés des jeunes pompiers je laisse Veronika dans une position stabilisée et je viens calmement vers Viktoria, qui s´est juste un peu éraflé le front en tombant, on lui passe de l´eau froide sur les tempes, ça va, ce n´est qu´un effet de mimétisme, voyant Veronika s´évanouir, elle a fait automatiquement la même chose. Il faut faire attention à Diana, pour qu´elle ne fasse pas pareil. Cela en ferait trois, les pompiers seraient dépassés. Je reviens vite vers Veronika, entre temps est arrivé le Premier secours, il y a une femme médecin, Veronika se plaint des maux au bas ventre, elle est enceinte, il n´y a pas à hesiter, il faut l´amener à l´hôpital. Le plus proche est à 50 km, à Vichy. Nous voilà partis, pas pour une cure thermale. Sur place, auscultation, radio, etc, nous en avons jusqu´ à 7 heures du matin. Entre temps Veronika a repris ses esprits, tout va bien, si je n´étais pas là, elle serait partie en pantoufles et peignoir, telle quelle. Mais je suis là et je veille au grain. Vers 8 heures Camille, notre accompagnatrice vient nous chercher en voiture, et à 9 heures nous sommes de retour au gymnase, prêts à affronter une nouvelle journée après une nuit qui était tout sauf de repos. Veronika est en plein forme, moi un peu moins, mais ce n´est pas grave… Plus tard j´apprends les dessous de l´affaire. C´est simple et pas compliqué. Vers les deux heures du matin Veronika a demandé à Roman d´aller demander une cigarette à Helena. Roman, pas fou, sait ce qu´il risquerait s´il révéillait Helena à 2 heures du matin, alors il n´hésite pas et allonge illico une gifle à Veronika pour lui faire passer ses envies de nicotine. Ca ne marche pas, Veronika n´hésite pas non plus, elle se met à faire tout ce cirque pour montrer à Roman comment qu´elle l´aime, et on fini aux urgences à 6 heures du matinSi j´avait su tout ça plus tôt, je n´aurais bougé d´un pouce, mais on ne peut pas tout savoir… si on veut dormir au moins un peu. Pour cette nuit, c´est rapé.

Dans les histoires invraissemblables il y a encore celle de Honzo et du couteau volant. Nous sommes vers la fin de séjour, il doit être dans les 17 heures, ont attend pour aller diner, Honzo est tranquillement assis sur son lit, plongé dans ses pensées, et voilà qu´un couteau surgissant de nulle part vient lui érafler le front et s´échoue par terre, au pied du lit de Honzo. Je ne suis pas là, Honzo est tout seul avec le groupe. Il me dira plus tard qu´il compte doucement en silence jusqu´ à neuf pour ne pas exploser tout de suite et ne pas réagir d´une manière non appropriée. Heureusement, ca marche et il n´attrappe pas le couteau pour le planter dans celui qui l´a lancé. Le lanceur de couteau c´est Matej. Il ne l´a pas lancé sur Honzo, il visait Milan, mais il visait mal, et c´est Honzo qui s´est ramassé le projectile. Donc, il n´y a pas de mauvaise intention au départ envers Honzo, l´affaire est réglée avec un sparadrap et tout va bien. On ne saura jamais pourquoi Milan était visé, mais ce n´est pas grave, l´essentiel est que Honzo n´ai pas fini borgne son séjour avec nous et qu´il n´a pas crucifié Matej par la même occasion. Matej était le seul des gars qui s´est levé lorsqu´une dame agée est montée dans le tramway lorsque nous étions à Besançon, et l´a aidé à s´assoir. Alors un coup de couteau non intentionné… Heureusement, Honzo dispose d´une bonne dose de philosophie et de self-contrôle, et l´affaire ne tourne pas mal. Matej a droit à des explications adéquates dont Helena a le secret, et Honzo écrit son petit texte même après ce menu incident pitoresque passager…

A part ça et les fantaisies de Maria, tout va bien, il n´y a pas d´incident majeur à déplorer durant notre séjour à Gannat. Notre groupe, qui dénotte par rapport aux autres formations, apporte une saine joie de vivre au festival, de l´authenticité, de la simplicité mais aussi du professionalisme. Oui, autant cela peut parraître incongru, par rapport aux autres groupes nous excellons dans tout ce qui touche à la dispipline, à la ponctualité. Nous sommes toujours pile à l´heure convenue à tous les rdv, ce qui est appréciable surtout pour les spectacles et pour les heures de repas. Les autres ensembles sont loin d´être aussi consciencieux, et cela peut poser des problèmes lors d´organisations de manifestations de telle envergure que ce festival, avec des centaines de participants. Nous, toujours à l´heure, à la minute près.

Nous participons encore avec tous les groupes au grand défilé nocturne dans Gannat, l´orage qui pointe à l´horizon juste ce soir fini par se dissiper, encore une frayeur inutile pour moi, et nous approchons de la fin du festival, la clôture, les adieux et nous voilà dans le bus pour la route du retour.

La cuisine nomade

 

Sur le chemin nous marquons encore une halte à Chaumard, chez Coraline et Nicolas. Ils tiennent une buvette ambulante dans une caravane qu´ils appelent Cuisine Nomade. Coraline nous a dénichée sur le net, du moins je crois, elle est venue nous voir il y a trois ans au Festival d´Ambert, et puis, plusieurs années de suite nous avons cherché une occasion pour venir chez eux. Ce n´était pas évident, ils sont dans un bled assez paumé dans la cambrousse du Morvan, mais lorsque nous devions aller au Festival de Gannat, il s´avérait que Chaumard n´était pas trop loin, donc à l´aller ou au retour nous pourrions y passer. Le choix a était fait pour le chemin de retour, et une dernière étape, après tout le festival était organisée. Inutile de dire que pour nous ce fut une corvée, le festival était plus qu´intense, et nous étions sur les rotules... Mais on a donné notre parole, alors il fallait y aller. Finalement, l´accueil fut tel, que la fatigue s´est évaporée, les rotules se sont huilées, et c´était reparti comme en 14... Chaumard, le lieu de notre production champêtre, était vraiment paumé, de archi paumé. Mais Coraline a réussie l´exploit d´y ameuter un public nombreux, convivial et très réceptif. Ce fut parfait. Même la caisse dépassait nos espérances, ce qui relevait du miracle, tant nous avions besoin de subsides lors de cette tournée catastrophique du point de vue financier.

Nous avons la chance d´être partenaires du Ccfd, ce qui nous assure l´indispensable pour le fonctionnement de notre association – le loyer des locaux de répétitions, les transports locaux, et les grosses sorties internationales. Nous sommes un peu comme des paysans que l´on aide à semer pour avoir une récolte, mais ils doivent travailler dur pour ramasser cette récolte. Et il en est très bien ainsi. Nous n´avons pas besoin de vivre dans l´opulence, l´important est que nous puissions ne pas sombrer pour parvenir nous-mêmes à nous procurer des subsides pour notre existence. Donc nous avons maintenant de quoi partir en tournées, ce n´est plus comme avant, lorsque nous étions obligés de trouver des combines invraissamblables pour dormir ou se restaurer, et nous essayons de rentabiliser nos prestations afin d´en tirer profit pour pouvoir ensuite avoir de quoi financer nos activités au pays. C´est pourquoi nous sommes aussi à la recherche de productions „commerciales“, des spectacles payants, comme celui de Chaumard. Mais cette année, nos sorties étaient pratiquement toutes dans le cadre du secteur associatif, comme la tournée du mois de mai, donc sans aucune retombée financière. Le Festival de Gannat que nous venons de finir, ne suffisait pas à lui seul à équilibrer les finances. Il aurait fallu rester encore au moins deux ou trois semaines à tourner dans d´autres festivals en France pour qu´il en soit ainsi. Cette occasion ne s´est pas présenté, et avec la canicule de cet été nous ne le regrettions pas, nous n´aurions pas tenu le coup plus longtemps. Dans de telles conditions nous aurions du mal à finir l´année, heureusement que le Ccfd nous a accordé une aide supplémentaire et nous avions pu tenir jusqu´ à la prochaine échéance.

 

 

Les ministres

 

Le retour au pays était rapide, la fatigue est le meilleur remède pour un someil sain, alors tout le monde a dormi durant pratiquement tout le trajet jusqu´en Slovaquie. Dès le retour les jeunes demandent quand est-ce qu´on reprend les répétitions, la preuve que la tournée était réussie, puisque tout le monde en redemande. Nous avons quelques spectacles dans notre région, dont un en Pologne, juste de l´autre côté de la frontière. Après l´été, nous sommes rodés, c´est un plaisir de se retrouver sur scène. Mais malgré la bonne ambiance et tout l´investissement au niveau du groupe, des incidents surviennent. Des bagarres éclatent, avec des jeunes d´extérieur, ou même entre les membres du groupe, mais de différents bidonvilles. Ce n´est pas du tout repos, sans doute le poids de l´environnement familial se fait sentir. Nous intervenons fermement avec Helena, parfois d´une manière musclée, ceux qui ne savent pas se tenir n´ont pas leur place au sein du groupe. On dirait que ce sont des cycles, la violence refait surface, sans raison apparente. En général ça se tasse et les têtes brulées reviennent, repentis, dans le droit chemin. Il y a des déceptions, mais aussi des bonnes surprises, une fois c´est les uns, l´autre fois les autres, hueureusement pas tous en même temps, qui participent à la castagne, alors somme toute, tout cela s´équilibre et la vie continue, mais sur le moment cela donne du fil à retordre…

Fin septembre une petite visite d´un trio de Tamèrentongue! pour bûcher sur le bouquin sur la tournée slovaque de la troupe il y a deux ans maintenant. Une excellente occasion de se rappeler d´excellents souvenirs, et on a même faille rencontrer un ours au détour d´une petite balade dans la forêt voisine. 

En octobre nous participons à un événement tout à fait exceptionnel. En effet, le 23 octobre 2019 a eu lieu le Conseil des Ministres de la République Slovaque en région. Plus précisément à Kežmarok. Tous les ministres au complet, les gardes du corps, la police, locale, régionale, nationale, le protocole, les médias, tout ce qui va de pair avec un événement d´une telle envergure. Et, cerise sur le gâteau, nous. Kesaj Tchave dans toutes sa splendeur, convié par la Mairie de Kežmarok pour assurer une coulisse culturelle digne de tout ce beau monde. C´est une sacrée première. En vingt ans d´existence du groupe, c´est la première fois que la ville fait appel à nous, fait référence à nous, nous reconnaît comme faisant partie du paysage culturel local. Et en plus, dans de telles circonstances, exceptionnelles. Du local, nous passons au national. international, ca fait un bail que nous y sommes… L´action s´est déroulée en deux étapes. D´abord dans le vestibule d´entrée de la Maison de la Culture, qui a accueillie les Ministres et les Maires de la Région de Kežmarok pour une rencontre au sommet. Nous n´avons pas raté l´occasion, et le Maire de Kežmarok et le vice-premier ministre ont eu droit à une danse chacun, avec nos danseuses, sous le regard avide de ce genre de sensations people fortes de toute une armée de caméras de tv, toutes les chaînes étaient représentées, et des journalistes des plus grands médias, qui se sont fait un plaisir que de relater cet événement majeur du monde de la danse et de la politique régionale. Après ce pas de deux particulièrement réussi, nous nous sommes déplacés devant l´École d´apprentissage professionnelle Garbiarska, où devait se tenir le Conseil des Ministres proprement dit. Les ministres venaient comme bon leur semblait, normal, c´était des ministres, et l´accueil s´est transformé en une réception individuelle, au cas par cas, de tous les ministres, un par un, avec l´obligatoire passage par le purgatoire des manifestants locaux, nos gilets jaunes à nous, qui les attendaient avec des pancartes et des revendications bien prêtes à être servies, bien sûr, sous l´oeil attentif et jubilatoire des journalistes, qui, telle une meute affamée, ne laissaient rien passer du spectacle politico-médiatique qui se déroulait sous leurs yeux. Tout cela a duré une bonne heure et demie, un coup les manifestants avec leurs slogans, un coup nous avec nos chansons, le tout un peu a la Koustourica, et il faut bien le dire, heureusement que nous étions là, car nous n´avons pas arrêté durant tout ce temps de danser, chanter, jouer, bref, faire de l´ambiance, et tout s´est très bien passé, à la bonne franquette tsigane, avec de l´énergie positive, des sourires et une nonchalance de bon aloi, qui ont réussi à détendre une atmosphère, qui sans nous, aurait était maussade et tendue, aussi du fait d´une météo pas au top, alors nous avons remplacé le soleil défaillant au pied levé… Chaque arrivant a eu droit à une sérénade taillée sur mesure, selon la spécialité dont il était responsable, ainsi le Premier ministre a pu apprécier notre texte spécial sur le thème de l´América de West Side Story, dans une adaptation qui n´a rien à voir avec l´original, et qui dit en gros que où que, en Slovaquie tu ailles, il n´y a que des Tsiganes… La Ministre de l´Éducation a pu apprécier le couplet „Qu´il est dur de bosser ses devoirs...“, etc. Bref une réactivité de pros de haut niveau, au plus haut niveau...

Derrière toute cette nonchalance et romitude il y avait tout notre travail de longue haleine, avec une discipline à toute épreuve, qui a fait que sous cette apparente décontraction tsigane d´une bande de jeunes des bidonvilles se cachait une prestation quasi professionnelle d´une troupe de spectacle aguerrie sur des scènes européennes. Et avoir été conviés à cet événement somme toute banal, mais d´une importance primordiale au niveau local, était pour nous un gros succès, puisque cet honneur nous était accordé pour la première fois depuis les vingt ans que nous battons le pavé à Kežmarok…

 

Notre dernière prestation de l´année a eu lieu à Poprad, dans Tatranská Galéria, la salle des expositions de la ville. Pour parler le langage d´aujourd´hui, c´était un truc dément, un truc d´ouf... Nous étions 45 sur scène, dont plus de la moitié pour la première fois, avec une pratique minimale des répétitions, l´âge moyen des nouveaux étant 8 ans, la plupart venant de Lomnica. A cela s´ajoutent une bonne douzaine de jeunes de l´Orphelinat de Poprad, plus quelques handicapés du dispensaire local, et le tableau est complet... Le résultat - sur le facebook, que des "quelle journée merveilleuse...", "je n´oublierais jamais..", "vous êtes formidables..", etc. Et encore, les petits de Lomnica n´ont pas de fb… Je passe sur les moments épiques dans le bus lorsque j´ai du m´absenter le temps que j´aille repérer les vestiaires, un accoudoir en a fait les frais... A la Galerie, les organisateurs, très sympas, mais complètement à côté de la plaque, avec un programme totalement inadapté pour un public de jeunes, nota bene venant de milieux marginalisés, puisque tel était l´énoncé du projet que réalisaient les organisateurs : l´Intégration par l´art. On nous a fait d´abord visionner un documentaire dépréssif sur un caricaturiste suicidaire, mais on pas bronché, toute la marmaille était comme au goulag, je les surveillais d´un oeil d´épervier, sans bouger ils ont assisté à un truc qu´ils ne pouvaient absolument pas comprendre. Ensuite ça allait mieux, un petit défilé de mode d´un centre d´apprentissage local pour roms, et puis on a attaqué. Super. Malgré un espace scénique totalement impratiquable et un service de fonctionnaires d´état qui ont bien fait leur boulot, c.a.d., ils n´ont absolument rien fait, pas bougé le petit doigt, nous avons envoyé une sauce d´enfer. Pour les marmots, c´était le paradis. Le vrai. Pas celui des lendemains radieux, mais celui d´aujourd´hui, du moment présent, éphémère, mais dur comme du fer... puisqu´on le vit à 200 %… Voilà, c´est pour ca qu´on fait ce qu´on fait. Ce n´est pas simple tous les jours. Il y avait Roman avec Véronika, plus leur bébé d´un an qu´on a pas réussi à fourguer à la grand-mère avant de partir au spectacle, mais ca s´est bien passé quand-même, la petite a bien tenu le coup, il y a juste Helena qui a piqué une de ses crises notoires en apprenant "le délit", elle voudrait tellement que l´on donne une image parfaite des Roms, qu´ils soient „comme des blancs“ et pas cet échantillon d´une bande de tsiganes des bidonvilles en vadrouille ( à Paris on peut voir les choses différemment, mais ici, l´argument est vraiment de poids...). Le clou de la soirée, c´était lorsqu´à la fin, après les spectacle, les organisateurs, sympas mais toujours aussi inconscients, nous ont offert un pot, il y avait aussi des verres avec du champagne! De la même couleur que le jus de pomme… Ils savaient parfaitement que j´allais venir seul avec une bande de jeunes, il n´y avait pas d´adultes au pot, et malgré ça, droits dans leurs bottes, du champagne pour tout le monde, sans me prévenir et sans surveillance aucune du débit de boissons...! Je ne pouvais pas être partout, il y a eu quand-même quelques verres qui ont été sifflés avant que je n´intervienne. Férocement, bien sûr, j´ai encore un peu de ressources... Mais à part ça, tout très bien. En rentrant avec tout le groupe j´ai réussi à traverser dans la nuit la route non éclairée, très fréquentée,  qui mène au bidonville de Lomnica, avec toute la marmaille à tenir par la main, ramener Stéfan à Ihlany, à perpéte, parce que son père a été amené aux urgences le soir même, et encore débarquer les grands de Lomnica en voiture. Ceux de Rakusy ont été déposés par l´autocar qui nous a amené et, heureusement, ceux de Výborná ont pu attraper le dernier bus de ligne. Roman m´a demandé de le ramener le lendemain à Štiavnik, ok, demain c´est un autre jour, on assurera le service...

Et puis, l´air de rien, il n´y a pas eu de bagarre après le spectacle... Après une série de trois, ça fait du bien. Il y a de l´espoir...