Les Copains d´abord   L´Éducation d´abord

La météo a prévu du mauvais temps, alors nous sommes perplexes quand à le tenue de la manifestation sur le Parvis des Droits de l´Homme que nous avons organisé et préparé depuis un mois. S´il cela ne tenait qu´à nous, c´est simple, on annule tout et on reste à la maison, au château. Un peu de repos ne serait pas de refus. Mais pas mal de personnes étaient concernées, nous avons diffusé l´info de tous les côtés, et tout ce petit monde s´apprêtait à venir battre le pavé avec nous sous la Tour Eiffel. Donc c´est avec le coeur serré que nous prenons place dans le bus vers midi pour être sur place à 14 heures, sachant que la météo peut nous jouer des tours une fois sur place. Nous n´avons pas à suffrir des barrages des Gilets jaunes, sans doute le mauvais temps a tempéré leur détermination, on parvient sans encombres un peu avant 14 heures au Trocadéro. Sur le Parvis, comme d´habitude, une nuée de vendeurs à la sauvette africains nous tombe dessus, on connaît la chanson, les jeunes arrivent même à obtenir quelques petites tours gratuitement en guise de cadeau. Décidément, l´expérience paie. Un autre comité d´accueil, des CRS en grosse tenue de combat sont très présents, on sent que l´atmosphère est tendue. Nous n´avons même pas essayé de déposer une demande auprès de la Préfecture de Police, comme les autres années, avec tout le bazar autour des Gilets jaunes, était cause perdue d´avance, on aurait essuyé un refus, alors on a pas insisté. Par contre j´ai essayé timidement d´expliquer au premier CRS à ma portée l´objectif de notre intervention, on va juste chanter une petite chanson, on a pas de gilets jaunes sur nous ni parmi nous. Il ne comprend pas grand chose, mais hoche de la tête en disant qu´ils ne sont pas des sauvages, qu´on peut faire ce qu´on veut… Bon, on verra. Heureusement un autre comité d´accueil, beaucoup plus sympathique, nous attend sur place, nous sommes ébahis de voir une bonne vingtaine de jeunes tenir audesssus de leurs têtes un énorme bandereau avec inscrit dessus „Kesaj - Fénelon“ et tout sourire se tourner vers nous. Je savais que les jeunes de la classe Ulise du Lycée Fénelon de Brest devaient venir, mais je ne pensais pas qu´ils seraient aussi nombreux et aussi bien équipés. Prêts à manifester. Deux de leurs profs les accompagnent, ils ont tous des feuilles de papier à la main, avec dessus, tout plein de questions qu´ils désirent poser à nos jeunes. Cela fait maintenant presqu´un an qu´ils sont sur le projet de rencontre avec nous, et là, une étape importante, la première rencontre, est en train de se réaliser. On sent une grande attente et beaucoup d´émotions de leur côté. Sur le champ, il faut relever le défi, les nôtres ne sont pas trop portés sur l´expression verbale, alors je prends l´initiative, je traduits les questions, et pour faire plus vite, nous sommes quand-même dans le stress par rapport à la météo et aux CRS, j´anticipe les réponses, bref j´improvise un briefing grandeur nature, tout en scrutant le ciel qui ne promet rien de bon, il est évident que ça va barder, ça s´assombrit de tous les côtés. Nous attendons pour démarrer, car les Tamèrantongue ne sont pas encore là, mais ils ne devraient pas tarder, on m´assure au bout du fil que ce n´est qu´une question de minutes et ils arrivent. On se met en place pour démarrer notre intervention, on est plus à l´aise pour chanter et danser que pour répondre aux innombrables questions spécialisées de nos jeunes lycéens de Brest.  Pendant ce temps, le ciel continue à se noircir, ce n´est pas un orage, mais un déluge qui se prépare dans l´immédiat et la fin du monde dans les instants qui suivent. Les CRS, pas bêtes, ont déjà évacué, c´est déjà ça, au moins ils ne pourront plus nous interpeller, on reçoit l´aviso que les Tamèrantong sortent du métro, alors on attaque. La météo est sincro, pile, les premières gouttes commencent à tomber. Et c´est des grosses gouttes. Elles sont rapidement transformées en grêlons, et c´est le ciel tout entier qui nous tombe instantanément sur la tête. La catastrophe. La panique. Que faire?! Il est évident qu´il faut évacuer au plus vite. Heureusement, il se produit le contraire de ce que l´on attend, au lieu de la panique complète c´est la rigolade totale. Maria, l´égérie du groupe, la forte tête a, comme toujours, une réaction absolument opposée à ce que l´on pouvait s´attendre, au lieu de faire la grimace et pleurnicher, faire la tête, elle se met à rigoler d´un de ces fou rires dont elle a le secret, contagieux et irrésistible, tout en continuant de chanter et de danser, alors, tout le monde suit, et c´est en rigolant comme des fous, dans un élan de folie collective, que nous quittons ce Parvis des Droits de l´Homme Mouillé, trempés, crachant les grêlons pour pouvoir chanter, le célèbre Singing in the rain grandeur nature, en mode tsigane. 

Où aller?! Déjà partir, c´est l´essentiel, on fonce en direction du métro, et c´est là que l´on aperçoit, sous la voûte de l´entrée du Musée de l´Homme, massé en attroupement ultra serré, comme des sardines, un condensé de l´humanité toute entière. Les touristes des environs ont eu la même idée que nous, se réfugier en catastrophe sous le premier abri à la portée de la main, alors nous nous joignons aux péruviens, américains, chinois, vietnamiens, allemands, japonais, polonais, et qui sais-je encore, bref, le monde entier, nous fusionnons tous dans une masse compacte et uniforme de pardessus et vestes mouillées, on dirait l´Arche de Noé, en tout cas, le déluge était déjà au rdv, le décor est au top. Que faire maintenant? Tous les regards des nôtres sont rivés sur moi, dans l´attente de quelque chose que personne ne pouvait définir, puisque c´était moi l´auteur de ce projet fou, donc j´était le seul sensé de savoir ce qui était prévu. Sauf qu´il n´y avait rien de prévu en cas de pluies et orages, je ne suis pas un spécialiste de manifestations, ni politiques ni météorologiques, alors j´entamme la seule chose qui est de mon ressort, on commence à chanter, il n´y a pas de place pour danser, donc on ne peut pas rabattre sur des extrait de notre programme, on se contente de tourner en boucle un refrain tsigane quelconque, que j´agrémente en désespoir de cause d´un tonitruant Les copains d´abord, que l´on altère avec l´Education d´abord au refrain suivant. A ma grande surprise, le succès est total, tout le monde suit, les nôtres, sans comprendre la signification profonde ni première des slogans, les reprennent joyeusement en phonétique avec moi, les français, ravis, retrouvent leurs repères fondamentaux des fils de la patrie toujours prêts à se ranger en bataillons pour défendre des nobles causes, se joignent avec verve et exaltation à nous, et les touristes du monde entier, comprenant qu´ils ont affaire à une matérialisation impromptue de ce qui est par excellence de plus profond de la culture et du caractère français, ne veulent pas rester en reste, et spontanément se mettent à l´unisson de cet élan universel révolutionnaire que nous sommes tous en train d´accomplir sous la voûte du Musée de l´Homme. Le bâtiment n´a jamais aussi bien portée son nom. Je suis au milieu de cette masse universelle, tel un torero dans une arène avec les spectateurs et le taureau au corps à corps, sans un centimètre de place libre, alors je tourne en rond sur moi-même et je continue à lancer des Les copains d´abord, et l´Education d´abord à tout va. Toujours le même succès, la reprise des choeurs est instantanée, nous nageons au sens figuré et propre, dans un bonheur et une exaltation quasi mystique, les regards émerveillés aux bord de la transe collective figés sur moi en sont une preuve indéniable. Pour un peu, on commencerait à léviter de bonheur… Bon, c´est bien beau tout ça, cinq minutes ça va, mais après, rapidement ça risque de devenir répétitif. Que faire? Nous ne pouvons pas bifurquer sur autre chose, il n´y a pas la place pour le moindre pas de danse. Encore un peu et ça va virer de nouveau à la catastrophe, je sens un léger vent de panique poindre en mon for intérieur. Heureusement, un ange sauveteur vient apporter une solution miracle à la présente situation. Le chérubin salvateur, c´est le chef du Service de sécurité du musée, très déterminé, qui se fraie un passage à travers la foule pour m´injoidre d´arrêter sur le champ ce cirque et déguerpir au plus vite. Le bonheur. Heureusement qu´il est venu, sinon je ne saurais vraiment pas quoi faire. Pour le principe, et pour le public, je joue au militant contrarié, je fais front comme un vrai trotskiste, jacobin, zapatiste ou gilet jaune, en disant qu´on va pas partir comme ça, on est des durs à cuire, tout en lui faisant des clins d´oeil et susurrant en douce qu´on s´en va immédiatement. Alors encore une tournée exaltée de l´Éducation d´abord et c´est en entonnant Les copains d´abord de Brassens que nous quittons têtes hautes notre azyl météorologique et théâtre politique d´un après-midi de déluge, pour s´engoufrer dans le métro qui nous tend ses bras et ses souterrains secs. Un court moment de gros scrupules par rapport à tous les participants trempés que j´ai entraîné dans ce délire contestataire de contester on ne sait même pas trop quoi, vite dissipé par des sms et des coups fils enthousiastes de tous les côtés, m´assurant que tous viennent, qu´ils arrivent de Brest, Marseille ou Saint Denis, de vivre un moment unique, de ceux dont dont on se souvient toute sa vie. Là , je suis d´accord, de ce truc, mois aussi, je m´en souviendrais longtemps. Il ne faut voir aucun dessein politique derrière tout cela, nous sommes loin des politiciens, parlements et assemblées nationales, mais nous sommes tout près de la politique de terrain, de celle du bas, et là, c´est partout pareil, que ce soit en France, en Slovaquie ou ailleurs, l´éducation doit être accessible à tous, elle ne doit pas être sélective, ce n´est pas un concours ouvert qu´aux meilleurs, marche ou crève... Non, l´éducation, tout comme la vie, doit être aussi une affaire de copains, une affaire d´amitié, où tout le monde doit avoir les mêmes chances de réussir, pas que quelques uns...