‎Le thème de l' absentéisme et de l' assiduité scolaire nous touche de plein fouet. Dans le contexte très particulier, des bidonvilles et de la marginalité, nous devons sans cesse faire avec. Il y a toujours des priorités qui semblent plus urgentes que l' école, on a l' embarras du choix, entre les chaussures qu'on a pas, le petit qu'il faut garder, le bois qu'il faut chercher pour se chauffer, le boulot au noir pour ramasser qques sous... et sans oublier la paresse, la flemme, qui est le défaut irrésistible par excellence, le doux péché le mieux partagé de par le monde entier... l'excuse toute faite que l'on n' avoue jamais, mais dont on se délecte à consommer sans modération.

Pendant 6 ans nous avons, sans cesse, tous les jours, fait avec cette réalité. J'allais plus d'une fois chercher ceux, qui préféraient la douceur de leur lit aux désagréments des transports en commun pour se rendre au lycée. Mais, je m' ingéniais ‎aussi pour trouver des solutions pour couvrir ceux qui n' étaient pas là parce qu' ils étaient sur les chantiers, pour trouver des chaussures pour ceux qui n'en avaient pas, pour prendre en voiture ceux qui n' avaient pas de quoi se payer le bus. Jusqu'à ce qu'un jour ça s' arrête ...parce que cela ne pouvait plus continuer. Notre école a du fermer. Parce que l'on n'avait pas assez d'argent pour payer les profs, payer l' électricité, on n'avait pas de salle de gym, les élèves n'avaient pas le niveau...  Parce que beaucoup de choses.  Mais surtout, parce que les élèves manquaient trop aux cours, il y avait trop d'absentéisme. Cela ne pouvait plus continuer comme ça... C'était un choc! Tout le monde se demandait, qu'est-ce qu'on va faire, que va-t-on devenir? Où irons-nous maintenant? Tout à coup, tout le monde se sentait studieux, appliqué, tout le monde voulait étudier, aller à l'école. Mais c'était trop tard. L'école était fermée. Pour de bon. Alors, bien sûr, après le premier vent de panique, les questions, ou plutôt, la question, venait : Pourquoi? Pourquoi on ferme, à qui la faute? Et là, c'était très simple. Oui, on n'a pas de salle de gym, on a du mal à régler les factures d'électricité, mais les élèves... Les élèves, étaient-ils assez studieux, allaient-ils régulièrement aux cours? Et chacun, comme s'il se regardait dans la glace, a pu donner sa réponse. Et les réponses étaient sans appel. Oui, bien sûr, il y en avait, qui étaient appliqués, qui ne manquaient pas trop souvent... Mais il y avait les autres. Beaucoup d´autres. Ceux qui séchaient les cours royalement, avec toujours une excuse toute prête, toujours prêts... à ne pas aller en cours. Ce qui fait, que dans l' ensemble, ce sont les absenteurs qui l'ont emporté, qui ont "gagné". Et le résultat : tout le monde s'est  trouvé logé à la même enseigne. A la rue.  Oui, ça fait mal. Ça fait mal à tous ceux, qui se sont appliqués, qui n´ont pas trop séché, qui se sont investi, les élèves, comme les profs. Et le pire, c´est que l´on ne peut pas rejeter la faute sur personne d´autre. On ne peut s´en prendre qu´ à nous-mêmes. Personne ne nous a empêché d´aller aux cours, il n´y avait pas de méchants gadjé, ni de racistes, ni de fascistes, il n´y avait que nous, les Roms.  Aussi surprenant que cela puisse paraître, tout le monde était tout de suite d´accord, le consensus n´avait aucun problème à être trouvé : « On a trop tiré sur la corde, on a trop fait à la tsigane. Et dans la vie, dans le monde, le vrai, le grand monde, celui de la majorité, celui des gadjés, ça ne marche pas comme ça. Et c´est normal. Oui, nous, les Roms, il faut que l´on fasse autrement. Si on veut s´en sortir, il faut bosser, et ne pas chercher de combines, ni d´excuses. Notre destin, à chacun de nous, il est entre nos mains. On n´a pas la vie facile, les osadas, ce n´est pas une panacée, mais tout ça, ça n´empêche pas qu´il faut bosser. Aller en cours, et ne pas sécher... ».   C´est, à peu de choses près, ce qu´ont constaté et dit nos élèves devant le fait accompli, que leur école était fermée du jour au lendemain. 

Peut-être que l´on a pas fait tout ça pour rien...

 

Nous devons attaquer la dure réalité, la liquidation matérielle de l´école. Il fallait tout remettre en ordre, nettoyer, ranger, repeindre, afin de restituer les locaux en bon état au propriétaire, duquel nous espérions un prolongement du bail afin de pouvoir poursuivre nos activités à l´abri des intempéries... Alors, toutes les forces vives des bidonvilles ont été mobilisées, et de toute part des bénévoles, à nous, affluaient pour donner un coup de main. Suivant, le toujours en vigueur, précepte immuable, que rien n´est tel que devrait logiquement l´être, c´est Maria, la défaillante, qui est au premier rang, et comme si rien n´était, comme si elle ne nous avait pas jouée de mauvais coup en nous lâchant au dernier moment à la dernière tournée, elle est en tête de file des techniciennes de maintenance kesaj, qui s´activent à redonner un coup de frais au bâtiment qui nous a servi d´école les quatre dernières années. Tout en dansant elle passe la serpillère à tous les étages.  Il y a de quoi faire, la foi palie souvent la méthode, on a encore des progrès à faire quant aux procédés employés pour faire du propre, par exemple, pour astiquer le lyno, les filles ont utilisées l´huile de table, je me demande maintenant comment qu´on va faire pour rendre praticable la patinoire que sont devenus les sols des classes... Mais, ces efforts ne furent pas vains, hier, le propriétaire est passé, et a accepté de nous prolonger le bail, donc sauvés, nous pourrons continuer sur place, en jouissant que du rez-de-chaussée, car nous n´aurions pas de quoi payer le loyer de tout le bâtiment, et nous n´en n’avons pas besoin d´ailleurs, les deux classes du bas nous suffisent amplement.

 

Une petite réunion improvisée s´est tenue hier dans nos nouveaux anciens locaux. En effet, spontanément, les anciens élèves viennent nous retrouver après leurs cours. On bavarde, ils nous racontent comment ça se passe dans leurs nouvelles écoles. Les délicieux moments des comparaisons... On peut se rendre compte, à quel point ils se sont tous identifiés à notre façon de faire. Que ce soit les anciens élèves, ou les anciens du groupe, tous se reconnaissent dans notre façon de faire, basée sur la discipline, le respect et le travail. Les uns et les autres racontent leurs expériences, leurs ressentis, leurs indignations de voir des maîtres s´exprimer grossièrement, ne pas respecter les élèves, faire n´importe quoi. Alors que chez nous, c´était autre chose... On évoque les tournées, la dernière, au cours de laquelle nous avons pu nous confronter aux nouveaux de Detva, on parle aussi de la façon de se comporter d´autres jeunes que nous avons eu l´occasion de découvrir récemment. J´ai l´impression d´assister à une veillée de vieux troupiers, qui racontent leurs campagnes militaires, comme ils en ont bavé, mais comme ils sont fiers d´appartenir à un corps d´élite, conscients de faire partie d´une unité exceptionnelle, qui a vécue des moments héroïques, au front, au combat, sur le terrain... D´ailleurs, ça n´en finit pas, les bagarres... je ne vais pas entrer dans le détail, mais c´est toujours la même chose, une violence présente au jour le jour, la réalité du terrain, loin de Bratislava, loin des cabinets d´orientation pédagogique. Alors, cela fait d´autant plus plaisir, de constater cette prise de conscience chez ces jeunes, issus de ce milieu spécifique que sont les osadas. Il n´est pas aisé, voir impossible, de faire la part des choses objectivement. On ne peut pas mettre complètement de côté l´émotionnel et ne rester que dans du strict rationnel. En étant acteur de terrain, il ne peut pas en être autrement. Comme le dit Alain Reyniers, les osadas sont l´humanité à l´état pur. Avec tout ce que ça comporte, de bon et de moins bon... Là, pour le moment, nous sommes dans un bilan positif