Talent

 

Tout de suite après notre retour de France nous sommes attendus pour un direct à la télé pour la demi-finale du fameux reality show de la TV Markíza – Slovensko má talent.  Ce qui veut dire „la Slovaquie a du talent“! Un vrai show à l´américaine avec une audience nationale à tout casser! Tout cela a commencé vers le mois de juillet. Des différentes agences de spectacles nous ont relancées à plusieurs reprises, mais à chaque fois je refusais, ne voulant pas nous exposer aux regards ingrats des médias, pas forcément très tendres dans ce genre d´exercices. Jusqu´à ce que la directrice de la production en personne ait pris rendez-vous avec nous à Bratislava pour me convaincre de participer. Elle a promis de respecter une certaine décence, ne pas exploiter le côté bassement folklo tzigane et ne pas entraver notre intimité. Tout cela a été tenu et respecté par la suite. Heureusement. Car, sinon Hélène, qui était résolument opposée, aurait fait démonstration de ses capacités dissuasives... Un autre argument en faveur de la participation, était tout simplement le contexte déplorable dans le quel nous évoluions à ce moment là - d´énormes difficultés relationnelles avec l´entourage immédiat lors des répétitions, etc. Mais, en mûrissant ma décision, l´essentiel fut que c´était une occasion unique de montrer notre travail au grand jour et  de motiver nos jeunes. Je savais pertinemment que dans ce genre d´émissions il y aurait des séquences tournées en milieu familial, intime, et j´espérais pouvoir montrer les conditions dans les quelles vivent ces gamins.  La suite des événements m´a donné raison, mais cela, je ne pouvais pas le savoir initialement. Après un premier casting à Košice fin juillet et un second au mi septembre, nous fumes admis à la demi-finale. La production a tenu compte de notre tournée d´automne et nous a programmées pour un direct à notre retour de France. Ce n´était pas plus mal, car nous aurons l´avantage de disposer d´un collectif ayant évolué ensemble durant les 20 jours précédents. Nous sommes rentrés samedi et exactement une semaine après nous étions à Bratislava pour le direct du dimanche. En tout nous étions dix demi-finalistes – des solistes et aussi des groupes. Il y avait de tout. Des champions de karaté, du rock acrobatique, des musiciens, acrobates, un magicien, un jongleur avec balle de foot, et même un petit garçon qui rotait des mots entiers et qui a atteint avec ça une notoriété nationale.... Mais tous ont passés les éliminatoires, et certains  étaient d´un  niveau professionnel international  indéniable – 30  fois champions du monde des arts martiaux, 15 fois champions d´Europe de rock, etc. Donc, parvenir à ce niveau, être parmi cette élite était déjà un succès certain. Notre groupe de demi–finalistes était considéré comme le plus fort de tous ayant participé au concours.  Nous sommes venus pratiquement avec la même formation que lors de la dernière tournée française, plus deux petits et deux grands. Hélène me conjurant de ne pas se montrer devant  les caméras, mais ce n´était vraiment pas possible, malgré mes efforts désespères je ne parvenais pas à me cacher des objectifs. Le plus drôle c´était lors du tournage de ces fameuses scènes en milieu familial. Ça se passait une après-midi de septembre, une petite équipe de tournage a débarquée dans le bidonville de Velká Lomnica, avec les effets de foule que l´on peut imaginer.. et j´avais beau essayer d´être discret, étant le seul blanc parmi plus de mille gosses tziganes en transe, il m´était impossible d´éviter la caméra, comme je l´avais promis à Helena. Helena craint toujours d´être desservie par les médias et a horreur de montrer ce côté miséreux des Roms, dont les médias, il faut bien le dire, sont très friands et n´hésitent pas à en abuser.. Mais en occurrence, le reportage était très bien fait. Il n´a fait que montrer à tout le pays que ces gosses qui ont si gentiment dansés et chantés dans de magnifiques costumes vivaient dans des conditions relevantes du Moyen Âge! Et c´était cela que je voulais parvenir à réaliser! Deux journées de répétitions sur le plateau de tournage ont donc précédées le direct de la soirée du dimanche. Tout ce temps passé en coulisses avec les autres participants, nos concurrents, était rempli de moments de communications et d´échanges comme on en a l´habitude lorsque nous sommes à l´étranger, mais là, c´était en Slovaquie, et je n´en revenais pas de voir mes compatriotes se comporter de la sorte. Vraiment, sans aucun ambages, tous étaient très sympa, simples, visiblement prenant du plaisir à partager ces moments avec nous. Nos gosses, Matej en tête, étaient pareils à eux mêmes, désinvoltes face aux plus grandes stars nationales, prenant du plaisir à être là et rayonnant la joie de vivre communicative autour d´eux. La première répétition par contre, fut désastreuse. C´est souvent le cas avec nous. Manque de concentration, il n´y avait pas l´adrénaline du direct, le metteur en scène était plutôt désemparé devant notre médiocre prestation. Mais il y avait aussi sacrément de quoi améliorer. Alors, branle bas le combat, répétition forcenée dans les couloirs de l´hôtel, tout le monde tombe de fatigue, de sommeil, il faut que le gardien de l´hôtel vienne nous dire de s´arrêter pour que l´on s´arrête. Tous les détails sont revus et corrigés. Tous doivent savoir exactement ce qu´ils ont à faire, à la seconde près. Tout en gardant le côté naturel, spontané, tzigane. Pour cela nous avons un spécialiste en la matière – Matej. Impossible de prévoir ses réactions au moment des faits, alors plusieurs alternatives sont mises en place pour essayer d´être prêts à tout. Le lendemain rebelote. Répétition sur le plateau. Ça va mieux. Au petit matin je suis parti acheter deux paires de pantalons et chaussures pour Matej et son frère qui n´en avaient pas. L´aprés-midi, à la générale en costumes, Matej découvre qu´il a enfin un pantalon à lui et des chaussures neuves pour la première fois de sa vie! Il casse littéralement la baraque! Avec une énergie incroyable il prend possession de la scène et en mets plein la vue à toute l´équipe de tournage. Maintenant il faudrait encore qu´il puisse refaire la même chose le soir. Tenir jusqu´à dix heures du soir après toute la journée d´hier et tout le travail d´aujourd´hui. Au soir, nous sommes en pleine forme. Tout le monde est excité par le jeu. L´enjeu est de taille. Le gagnant emportera 3 millions de couronnes slovaques, environ 100 000 euros. Ça fait rêver, mais on garde aussi la tête sur les épaules. Il y a très peu de probabilité que nous parvenions jusqu´à ce stade là. Des intérêts multiples se conjuguent et la production doit assurer ses engagements vis à vis de la direction. Et puis, objectivement, le gagnant est désigné par les SMS des spectateurs, et vrai ou non, je ne pense pas que notre groupe soit en mesure d´emporter le gros lot. Mais déjà parvenir à ce stade de l´émission est plus qu´honorable. Tout le monde est excité, aucun signe de fatigue n´est perceptible. Les petits, les grands, tout le monde est concentré et veut donner le meilleur de soi même. Quand même! Tout le pays regarde ce direct et personne ne pourra se cacher derrière qui que ce soit, tous vont passer le grand examen devant plus de 70% d´audience nationale. Nous avons concocté un programme spécial pour l´occasion. Vu, que juste avant notre passage en direct il y aura le fameux reportage sur les conditions de la vie des enfants du groupe chez eux, dans les bidonvilles, nous avons préparés une entrée en la matière avec quelque chose qui surprend par rapport à ces images crues – un début avec de la musique classique – un extrait du poème symphonique Shéhérazade de Nicolaï Rimsky-Korsakoff, en faisant allusion au côté oriental, hindou des Roms, et au côté féerique des contes de fées, que ce soit avec Shéhérazade ou notre fée Kesaj. La chorégraphie fut mise au point juste peu de temps avant. Manuela étant malade la veille, c´est Andrejka qui prend sa place au pied levé. Le solo est tenu par Janka, on apporte encore quelques améliorations juste avant de monter sur scène. Tout sera bien respecté et interprété. Ensuite on poursuit avec To sara, un chant rom actuel, parlant de la vie errante des Tziganes. Faute de temps, nous ne pouvons en chanter que la moitié, et nous enchaînons avec Adelko, une danse donnant une large place à une démonstration de bravoure avec les claquettes des garçons. On arrive à la dernière minute à rectifier les tempos, devenus à la longue intenables. Les détails sont en place, et on arrive à la surprise finale – après la fin Matej relance le tout en courant au devant de la scène, il rappelle Stano et refait un magnifique tour de claquettes pour finir en apothéose. C´est un formidable succès. Nous sommes tous très contents, tout le monde a mis le paquet. Personne n´a flanché. On a fait le maximum de ce que l´on pouvait faire. Les réactions du jury sont unanimes et très positives. Les personnalités le composant, relèvent personnellement nos qualités, et nous sentons bien que c´est sincère. Après nous il  y a encore quatre concurrents et c´est le moment de la décision finale. Le décompte des SMS s´arrête et on annonce les résultats. Parait-il que les comptes sont très serrés. Le jury n´annonce pas les chiffres exacts des votants (ce qui porte à croire que la décision ne relève peut être pas des spectateurs..), il annonce seulement les deux premiers à passer en final. Nous ne figurons pas parmi ceux là. On accuse bien le coup. Malgré le fait de s´être pris au jeu,  nous sommes bons joueurs et nous partons de la scène la tête haute avec le sourire... En coulisses l´atmosphère est pareille. Tout le monde est content d´avoir donné le meilleur de soi même, on se félicite les uns les autres, et la vie continue. On plie les bagages et départ pour Kežmarok que nous atteignons vers les 4 heures du matin.

Les lendemains sont euphoriques, glorieux. Nous recevons que des compliments de tous les côtés. Et ce n´est pas peu dire, car en milieu tzigane on ne se gêne pas pour exprimer son point de vue, surtout s´il est désagréable. Et là, que du positif. A l´unanimité, les Roms, comme les non-roms nous ont plébiscités et nous ont exprimés leurs soutient. Au niveau des contacts officiels le message est passé aussi. Nul ne pourra dire que dans les bidonvilles il ne se passe rien de bon. Les jeunes qui y habitent  sont aussi capables de s´investir, s´engager, et malgré ces conditions désastreuses sont capables de réaliser des exploits et d´apporter du bonheur à de nombreux spectateurs. Ça, nous le savions depuis longtemps, depuis que nous nous produisons sur les scènes internationales. Maintenant, on le sait aussi chez nous, en Slovaquie. Inutile de dire que lorsque je reviens le lendemain au bidonville pour prendre les gosses à la répétition, ils manquent de peu de renverser la voiture, tant la ferveur est grande, tant tout le monde voudrait s´engouffrer dedans. Même un bus ne serait pas assez grand pour les amener tous! Les répétitions reprennent encore plus frénétiquement qu´avant. Qui ne voudrait pas partager cette fierté d´être tzigane au grand jour? Ça change par rapport à ce qu´il y avait avant, et c´est bien ainsi, les efforts n´ont pas étés vains. Bien qu´en bout de forces, nous reprenons encore les répétitions. Nous avons encore un spectacle dans l´école ou vont les enfants de Kubachy (pas d´eau, pas d´électricité, pas de chemin d´accès...).  On le fait la semaine suivante. Cela se passe très bien. Nous sommes très bien reçus. Pareil, comme à la télé, pour les gosses c´est un grand moment que de se présenter devant les siens sous un bon jour. Nous proposons la même chose à l´école de Velká Lomnica. Le directeur accepte de nous recevoir, après l´avoir assuré et rassuré que nous ne voulons rien de rien pour le spectacle, même pas un verre d´eau, on nous laisse faire notre prestation pour le plus grands plaisir de tous ceux qui font partie du groupe et vont à cette école. Nous avons encore à Kežmarok la visite inopiné de la plénipotentiaire du gouvernement aux communautés roms, Anina Botošová, qui vient d´elle même vers nous et intervient personnellement auprès du maire afin qu´il nous donne un local de répétitions. Il promet des finances et des locaux lorsqu´on va s´occuper des anciennes casernes soviétiques laissées à l´abandon. Qui sait?... Le directeur de la TV Markíza nous appelle personnellement pour nous demander s´il peut donner nos coordonnées à une grande fondation caritative slovaque pour qu´ils  puissent nous financer. Les Ogres acceptent que nous participions au Zénith avec eux le 8 avril prochain. Des contes de fées? Non, car nous n´avons toujours pas où répéter, il fait froid, les colonies sont pleines de boue, et il faudra aller au Zénith pour trouver un endroit vivable pour jouer et danser un peu...