Guerche sur l´Aubois

 

Le lendemain, réveil matinal, une remise au propre de notre „dortoir“, le Château de Buno, et nous pouvons filer vers Guerches sur l´Aubois, l´étape qui est à l´origine de cette tournée, puisque c´est l´équipe locale du Ccfd qui a lancée l´iniciative pour organiser notre venue il y a un an. L´accueil est très sympathique. Bien que nous en avons maintenant l´habitude, après le passage au Trocadéro et les lycéens du Fénelon, le gros bandereau avec „Bienvenue au Kesaj Tchave“, accroché sur la barrière du bâtiment qui doit nous accueillir, nous surprend et émeut de nouveau. Tous les bénévoles sont là, tout sourire, c´est ce qui s´appelle être reçus à bras ouvert. Il n´y a pas eu beaucoup de route jusqu´à Guerches, nous sommes arrivés un peu avant 15 h, juste à temps pour un goûter avec tous les bénévoles, suivi de multiples activités, allant du colloriage, à la confection de fleurs en papier, en passant par des ateliers de danses et chant. C´est ceux-là qui nous conviennent le mieux et nous prenons l´initiative en entraînant dans la ronde avec nous nos hôtes qui ne demandent pas mieux et participent de plus belle en dansant et même en chantant en tsigane. Il y a de quoi faire, de 15h30 jusqu´à 20h45, ça fait un paquet d´heures, alors on fait de notre mieux pour occuper l´assistance et aussi nos jeunes, qui doivent quand-même tenir le coup pour être au top pour le spectacle du soir. Il y en a un qui n´est pas au top, et alors pas du tout, c´est Meklesh, notre jeune rom roumain des terrains de Montreuil, que nous connaissons maintenant depuis une dizaine d´années et qui nous a rejoint la veille à Buno. Avec Meklesh nous avons vécu d´innombrables aventures rocambolesques, à l´image de ce garçon pas très gâté par la vie, laissé à l´abandon tout petit, étant souvant la risée des bidonvilles, qui savent être très cruels envers les siens dès qu´ils sont en position de faiblesse. Depuis toujours Meklesh a la porte ouverte chez nous et dès qu´il peut il vient se ressourcer un peu. Meklesh n´est plus un gamin, il va sur ses 24 ans et ses déboires de grand ado deviennent des malheurs de jeune adulte. Candide et pas très futé, il a le profil idéal de celui au quel on fait porter le chapeau pour des coups tordus que d´autres ont manigancé. Là aussi, il est embourbé dans une histoire pas très claire, il s´est fait arrêter par la police, doit être jugé sans trop savoir pour quoi… va savoir. Toujours est il que Meklesh a toujours été très correct avec nous, plus d´une fois il a attrapé par la main nos petits lorsqu´ils voulaient chaparder des chewings goms à notre insu, nous savons qu´il a un bon fond, il en a fait la preuve plus d´une fois. Alors que tout va au mieux dans le meilleurs des mondes dans la Salle des Fêtes de Guerches, notre Meklesh vire à la mort clinique. Il n´est pas bien du tout, tout blême, ne réagit presque pas, le regard blafard, il tourne de l´oeil. Pris dans le tourbillon de mes occupations avec toute l´assistance, je ne cesse de courir d´un groupe d´activités à l´autre, en essayant de dynamiser les participants, je suis le seul à pouvoir servir d´interprète et pouvoir répondre à d´innombrables sollicitations, je n´ai pas le temps de m´occuper de son cas. Je vois qu´il n´est pas bien, il y a avec nous aussi quelques uns de nos amis de longue date de Yepce, alors je leur laisse le bébé et juste de temps en temps je viens jetter un coup d´oeil pour évaluer la situation. Elle n´est pas brillante. Les bénévoles lui ont instalé un matelas de fortune sur le carrelage, un peu à l´écart, il y a un médecin dans la salle, il constate qu´il ne doit pas y avoir un danger imminant, mais l´état du jeune roumain n´inspire pas confiance, on appelle les urgences. Ceux-ci sont débordés, ils ne peuvent pas venir, tant-mieux, je préfère gérer ce genre de moribond moi-même. Il n´y a pas grand chose à faire, connaissant et pratiquant l´émotivité exacerbée des Roms, sachant qu´ils réagissent souvent d´une manière excessive à des bobos bénins, je choisis de ne rien faire, le laisser tel quel, en observation, en l´hydratant et gardant au chaud avec une grosse couverture. Mais je ne suis pas rassuré, bien sûr, le gamin m´inquiète. Heureusement, il y a pas mal de monde pour prendre soin de lui, ça occupe toute une petite armée de bénévoles, qui auraient certainement mieux à faire. Inutile de dire que je suis en pétard contre ce grand nigaud, il mobilise tout ce monde, fait craindre le pire, nous pompe de l´énérgie, même s´il n´a pas l´air de trop comprendre, je lui dis ma façon de penser, car il me semble de plus en plus évident qu´il a du abuser de quelque chose. Ce qui s´avère vrai, j´apprends vite qu´ils ont bu avec Dushko quelques bières la veille. Pas beaucoup, juste une ou deux, mais vu la situation, c´est une ou deux de trop. Je suis absolument contre toute consomation d´alcool chez nous. Y compris les adultes, moi-même, tout le monde, personne ne doit pas boire la moindre goutte de quoi que ce soit lorsque nous sommes en tournée. Nous sommes tous comme en service commandé, alors régime sec. Cette règle de fer est enfreinte par des gens extérieurs à nous, souvent des jeunes moniteurs adultes d´autres associations boivent un verre de vin ou sirotent une bière, ce n´est pas bien méchant, mais je suis absolument, totalement contre. Dushko, notre ancien musicien, devenu instructeur chez les Intermèdes-Robinson a demandé la veille à Helena s´ils peuvent ouvrir une ou deux bouteilles de bière pour fêter leurs retrouvailles avec Méklesh. Helena, toujours bonne poire, a dit oui, et ça n´a pas raté. Meklesh est hors circuit. Je ne pense pas qu´ils aient beaucoup abusé, ils n´étaient pas ivres, ni éméchés, ça je l´aurais tout de suite vu. Mais Méklesh était certainement dans une carence alimentaire sévère et même ces deux canettes de bière ont eu un effet dévasatteur. Les bénévoles me doivent prendre pour un tyran, car je ne lui manifeste aucune compassion et je le laisse alongé sur son matelas par terre à méditer la portée de son exploit. Bien sûr, je me préocupe quand-même un peu de ce que vont penser tous ces gens autour de nous, ils ne nous connaissent pas, et peuvent maintenant imaginer tout et n´importe quoi. Bon, il faut s´occuper du reste du groupe, il y a un spectacle à assurer tout à l´heure, alors Meklesh n´a qu´à poirauter sur son matelas comme un vrai poireau, il aura de encore de mes nouvelles. Je repars mobiliser mes troupes, et aussi les surveiller, car Meklesh n´est pas le seul à prétendre au piédestal des héros des coulisses d´exploits douteux. Maria, notre diva ado en pleine crise d´adolescence, est toujours prête à chipauter une bouteille, plus pour nous provoquer et épater l´assistance que pour la consommation en soi. Mais tout se passe bien, il n´y a pas d´autres excès à déplorer, nous assumons une bonne prestation devant un public acquis, et Méklesh n´a pas trépassé entre temps. Le lendemain je le dépose à la gare sncf la plus proche pour un aller direct sur Paris et l´affaire est réglée. Je n´ai même pas besoin de le sermoner plus que ça, il sait très bien qu´il a fait une grosse bêtise et devra s´abstenir de kesaj pendant un bon moment.