Toulouse

Une nuit de route et nous descendons à notre prochaine étape – le Couvent des Petites soeurs de Marie au Château de Castelnau d´Estrètefonds dans les hauteurs de Toulouse. Décidément, les châteaux, une fois qu´on y a pris goût, on ne plus s´en passer… En effet, l´endroit est hors commun. Une tranquilité paradisiaque, personne à l´horizon, juste quelques bonnes soeurs vaquant à leurs occupations, que l´on apperçoit telles des petites schtroumpfettes (dixit Johann) au détour des dédales du magnifique parc qui entoure le couvent. Jeannine Le Merer s´est très bien débrouillée, on ne pouvait espérer mieux en terme d´hébergement. Nous sommes tout seuls, dans les intendances du château, sur deux étages, les filles avec nous en bas, et les garçons en haut. Bien sûr cela donne des idées aux gars, qui voudraient rendre une visite de politesse aux filles, mais l´heure n´est pas aux mondanités, une fois minuit passé chacun doit rester dans ses quartiers. Comme on pouvait s´y attendre, ce n´est pas l´heure tardive qui va décourager nos jeunots, ils tentent le coup malgré le couvre feu décrété. J´ai encore l´ouïe fine, la chambre des filles juxtapose la nôtre, les parquets sont d´origine, je n´ai aucun mal à déceler les craquements du plancher d´à côté, ils doivent être au moins quatre, alors j´envoie Helena régler leur compte. En même temps je pars en reconnaissance par la fenêtre, nous sommes au rez-de-chaussé, pour ne laisser échaper personne. Les gars, entendant les grincements de la porte de notre chambre se sont enfuis dans le couloir, pour tomber directement dans mes bras à la sortie. Il fait noir, nous sommes dans un château, j´ai les contours d´un parfait fantôme, le résultat est plus que probant, les apprentis damoiseaux s´étalent terrorisés par terre les uns à travers les autres, avec des cris de frayeur et d´épouvante, pour se réfugier de nouveau dans la chambre des filles pour se faire intercepter par Helena. Par miracle, la grosse statue de la Vierge Marie qui trône en plein milieu du couloir n´a pas bronchée, et n´a pas finie en morceaux, il ne manquerait plus que ça… Je n´ai qu´à cueillir nos explorateurs insomniaques, quelques gifles paternelles pas trop méchantes mais bien envoyées servent d´argument pédagogique et tout le monde est enfin au lit. Il serait temps, il n´est pas loin des trois heures du matin et la journée a été longue. Ainsi que la nuit, puisque nous avons roulé pratiquement non stop du soir au matin pour faire la liaison Guerches – Toulouse. A peine arrivés, juste le temps de s´installer, nous sommes repartis en direction de la Salle des Fêtes de l´Union, où nous étions attendus pour le repas de midi par une délégation des bénévoles du Ccfd aux petits soins pour nous. Le spectacle du soir était prévu à 20h30, ce qui nous laisse largement le temps de faire ample connaissance et passer en revue tous les détails de notre aventure avec nos hôtes, qui sont avides d´apprendre de première source comment fonctionne notre groupe. Suit le repas du soir, le spectacle, et de nouveau retour au couvent sur le coup de minuit. Cet emploi de temps était le schéma de nos journées à venir. Départs en fin de matiné, retour après minuit. Un emploi de temps bien rempli avec des rencontres, des découvertes, des échanges mutuels. Tout le long de notre séjour des bénévoles du Ccfd nous accompagnaient à chaque pas et veillaient à ce que tout se passe bien. Chaque journée avait son programme particulier, avec de nouveaux partenaires. Nous avons pu ainsi découvrir une école mobile pour les Gens de voyage à Tournefeuilles, aux Arènes Romaines nous avons fait connaissance avec l´association de quartier Rencont´Roms nous, des roms roumains très actifs sur leur quartier et sur leur camp de la Flambère. On se comprenait très bien, leur dialecte était semblable au nôtre, et aussi leur façon de faire corerspondait à nos pratiques. Nous avons partagé avec eux une après-midi festive avec des groupes locaux, des africains, des cambogiens, des roumains, tout ça dans une très bonne ambiance de partage et de découverte. Une petite échappée salvatrice au MacDo du coin pour changer du quotidien des sandwichs qui constituaient notre menu journalier. Le soir les spectacles rencontraient un franc succès, les organisateurs ont fait un excellent travail de communication, les salles étaient pleines.

Le point culminnant du séjour à Toulouse était la Journée du Vivre Ensemble en Paix, organisée par la Mairie et l´association Aisa, dans la Salle Ernest Renan, avec des responsables des communautés soufie, juive, védique et catholique, des membres du Collectif Solidarité Roms de Toulouse, et les Médecins du Monde. Cela se passait au quartier des Trois Cocus, au bord d´une cité très sensible de la ville. Pas plus tard que la semaine dernière un fait divers tragique s´est produit ici, un adolescent s´est fait poignarder dans l´enceinte même de l´école pour une histoire de réglements de comptes entre bandes rivales. Notre intervention dans l´établissement n´a été avalisée qu´à la dernière minute. Un parterre de gamins de 8 à 10 ans nous attendait devant le préau de l´école, sagement assis par terre, presque tous d´origine africaine, pour nous cela évoquait des images de documentaires de géographie, nous n´avons pas l´habitude d´une telle homogénéité ethnique, sauf si l´on se refère aux roms dans notre région. Le spectacle est improvisé en fonction du lieu et du contexte social, nous n´omettons pas la partie de la participation du public, tout le monde danse, c´est un peu bordélique comme d´habitude, mais manifestement ce moment de décompression et de décontraction collective fait du bien à tous. Avant le spectacle du soir suit une grosse pause de repos qui n´est pas du tout du repos… Et pour cause. Nous sommes dans un quartier ultra sensible. Lorsque je vais une rue plus loin, sur la place centrale de la cité, le seul endroit en peu civilisé en termes de service public, il n´y a plus de commerces, juste un bureau de tabac et une poste, le décor fait penser à un mauvais thriller des banlieues grandeur nature. Des gamins d´une dizaine d´année à tous les coins de rue à faire le guet pour leurs grands frères, un trafic à la lumière du grand jour, une réalité d´épouvante… Incroyable, comment cela peut-il exister dans un état de droit, en Europe?! Le temps de faire la queue devant le seul distributeur de billets me parrait une étérnité, j´ai l´impression d´être téléporté dans une autre galaxie, dans un autre univers. Je retire des billets du compte de Roman, il vient de recevoir ses allocations, pour ensuite les faire parvenir au pays par l´intermédiaire de mon fils à la famille de Roman, qui comme d´habitude n´a pas un sou pour manger. Un certain parallèle entre l´endroit où je me trouve et les bidonvilles de chez nous est évident, heureusement, le trafic en moins. De retour à la salle des fêtes je constate tout de suite qu´il manque quelques filles à l´appel. Maria, bien sûr. J´ai donné des consignes très strictes, personne ne doit s´éloigner d´un mètre sans mon autorisation, d´ailleurs, nous avons même garé notre bus dans un autre quartier, car sur son pare-brise il y a une grosse inscription „Club de Police“ (il fait la navette pour la police chez nous) et nous voulions éviter des vitres cassées… Une des femmes de ménage de la salle me dit qu´elle les a vue partir en direction de la cité. Je fonce. Il n´y a pas une minute à perdre. Nous sommes en plein ramadan, les filles sont en mini-jupes, décolté provocateur, ce n´est pas l´accoutrement idéal pour faire du tourisme de quartier. Heureusement, je n´ai pas à aller loin, je les apperçois à l´entrée du premier immeuble avec un gars qui leurs propose gentiment sa camelotte. Je siffle un bon coup et sans palabres je les ramène dare-dare au bercail. Explications sévères devant tout le groupe et en face-à-face avec les gamines. Cela aurait pu tourner très mal. Interdiction de bouger, tout le monde assigné à résidence, pas un pas sans mon autorisation. Maria est en pleine crise d´adolescence, dès qu´une occasion se présente, elle ne la rate surtout pas pour nous provoquer, pour attirer notre attention. Cela se comprend, elle a perdu son père toute petite, elle a dix frères et soeurs, mais personne pour prendre soin d´elle, alors elle compense le manque d´affection comme elle peut. Nous avons bien connu son père, Vlado, il était à nos côtés dès nos débuts, c´était quelqu´un de très bien, une personnalité du bidonville. Alors nous n´allons pas laisser tomber sa fille comme ça. On endure et on surveille. Le soir finit par venir, la salle se remplit, un public composé surtout de musulmans, regroupés dans l´association locale. La Mairie soutient l´action, il y a aussi les élus, d´autres associations de quartier sont représentées. Au départ l´atmosphère nous parrait un peu tendue, les gens sont distants, tout le monde est encore sous le coup de l´assassinat du jeune d´il n´y a pas longtemps. Tout change après notre passage sur scène. Après le spectacle suit un repas en commun, des spécialités maghrébines, servies à volonté, avec le sourire, dans une ambiance détendue et fraternelle. Paraît-il qu´il n´était pas évident au départ d´avaliser notre participation à cet événement. Mais par la suite c´était tout le contraire, l´association musulmane a même décidée de nous envoyer une partie de la recette de la soirée en soutien de notre action.

Nous quittons Toulouse et les Petites Soeurs schtroupfettes en fin de matinée, la pluie nous empêche de faire une petite visite touristique de la ville que nous n´avons même pas eu le temps de voir, ce sera pour une autre fois. Pareil pour Lourdes, qui étaient prévues au départ, nous nous rendons compte qu´il est impossible physiquement de faire l´aller-retour dans l´après-midi que nous avions pour rejoindre Toulon. Le couvent a été un véritable havre de paix pour nous durant notre séjour, les soeurs ont veillées sur nous et les bénévoles du Ccfd ont fait le reste.