Aven Savore mai juin 2018

Jeudi 31 mai, Chilly Mazarin

Normalement, on aurait du rester deux jours à Angers. Mais le spectacle qui devait avoir lieu à la MJC est tombé à l´eau, on a colmaté avec la guinguette, alors ca nous fera alors un jour de plus à Paris. Comme initialement ce n´était qu´une nuit que nous devions passer en région parisienne, nous ne sommes pas allés au Château de Buno, cela aurait fait trop de complications pour une seule nuit, alors on a opté pour un hôtel Formule 1 dans l´Essonne, comme ça, ça nous fera pas loin pour venir faire une répétition aux Intermèdes en vue de notre passage ensemble le samedi prochain au Musée de l´Immigration. Dès les premiers contacts avec le Musée, quand j´ai vu les superbes locaux et l´immensité de l´espace scénique que nous aurons à disposition, j´ai proposé de faire intervenir dans notre production aussi Aven Savore et Tamèrantong. Les occasions de se produire ensemble sont trop rares, nous serons à Paris, il faut en profiter. Les organisateurs ont été tout de suite d´accord, une intervention de plusieurs troupes issues de l´immigration ne pouvait que coller à l´endroit… Nous devions assurer la partie principale du programme, il s´agissait quand même d´une manifestation dédiée aux tsiganes, mais libre à nous de faire monter ensuite sur scène avec nous les amis de notre choix. On en a parlé avec Laurent, bien sur, c´était ok. Par la suite il nous a fait savoir qu´il aurait aimé que l´on fasse intervenir certains jeunes d´Aven Savore tout au long de notre spectacle, mais cela aurait été contre-productif pour différentes raisons, et puis on nous demandait expressément une production tsigane, avec des roms de Slovaquie, nous avions signé un contrat en ce sens, et il fallait l´honorer. Mais, surtout, il vaut mieux placer les jeunes dans une situation valorisante, même si elle est plus courte, que de les faire participer pour leur seul plaisir à notre spectacle qu´ils ne possèdent pas, et qui ne les montrerait pas sous un meilleur jour. Et puis nos jeunes aussi, veulent donner et montrer le meilleur d´eux mêmes, on travaille pour cela, on vient pour cela, alors il était évident que nous allons opter pour cette solution, et j´en ai informé aussi les Intermèdes. C´est déjà pas mal, qu´ils puissent se produire en partie avec nous. Pour un groupe néophyte, qui n´a que quelques mois d´existence et est culturellement d´un tout autre horizont que nous, c´est une belle aubaine que de pouvoir partager au moins la fin du spectacle avec nous. Et une grosse fin. Laurent en profite quand même pour joindre la production du Musée pour leur demander de les faire figurer aussi sur les flayers et les citer dans la communication. Pourquoi pas. Bien qu´après, quand j´ai vu le charabia qui était sur le bulletin, il était évident que ce n´était pas une bonne idée, mais tant pis, ce n´est pas tragique. 

Nous profitons de l´après-midi de jeudi pour passer au local des Intermèdes, bien qu´en fin de tournée, donc dans un état d´usure avancée, je veux quand-même faire une petite mise en place, ou plutôt un repérage des Aven Savore, que je n´ai pas vu depuis un certain temps, pour voir quelle serait la meilleure facon de les intégrer dans notre spectacle. Je suis agréablement surpris. Ils ont fait un sacré chemin, Abdel et Dushko font du bon travail, les chants sont bien mieux en place, il y a de la dynamique, même de la discipline. Ils me font une démonstration, j´en profite pour caler quelques détails sur le champ, à la pro, la rigueur et la détermination, c´est ce qu´on a de mieux à leur offrir. Nous bénéficions d´un repas chaud, ce qui nous arrange bien et nous nous mettons d´accord pour nous retrouver samedi à la Porte Dorée. 

Nous sommes samedi 2 juin, en train de se préparer au spectacle que nous allons donner au Musée de l´Immigration a la Porte Dorée. Les Intermèdes viennent d´arriver. On en profite pour une mise en place express. Jeudi je me suis fait une idée de ce qu´ils font. On les fera chanter en solo Ederlezi, ils le font très bien. Par contre les danses, ce n´est pas encore ça. 

Je réfléchis vite comment faire au mieux. Et je tente un coup risqué. Sachant que Hafsatou a du répondant, on peut s´aventurer à refaire un de nos numéros de prouesse du début de notre spectacle, mais cette fois-ci en faisant danser le solo à toute vitesse à Hafsatou. Elle ne l´a encore jamais fait avec nous, mais c´est pas grave, c´est ce qui donnera du piment à la chose. Les autres seront aussi de la partie, mais moins exposées. Mais elles participeront à fond, et puis on les prendra tous pour l´intervention devant la scène, dans le public. Là on va les laisser, et on les reprendra pour le salut final. J´étais pas peu fier de mon coup. Bien qu´il fallait braver le courroux de Helena qui ne comprenait pas ou je voulais en venir, et aussi insister auprès des filles des Intermèdes qui étaient déstabilisées de devoir s´engager dans un truc qu´elles n´ont jamais fait. Et aussi insister auprès de nos filles, qui croyaient qu´on allait leur subtiliser leur solo, bref j´étais contre tout le monde, mais il n´y avait pas à tergiverser, je savais très bien ou je voulais en venir. D´expérience, je savais que tous les ingrédients étaient réunis pour un super numéro. Du savoir faire, de l´imprévu, de l´audace. Tout, sauf de la routine. Il y avait du risque, mais le risque, c´est la clef du succès. On ne s´attardait pas trop, les 17h approchaient, le spectacle allait commencer. Il y avait dans la salle pas mal de mes amis russes de mon temps des cabarets. Des musiciens qui nous avaient vus à nos tous premiers débuts, j´étais curieux de leur réaction près de dix ans après. A l´époque nous avions avec nous plein de petits, dont Matej, véritable bête de scène du haut de ses sept ans à l´époque. Maintenant, il a de la barbe, ce n´est pas pareil. A vrai dire, je craignais même un peu leur réaction après tout ce temps. Par contre, il n´y avait pas trop de monde. Après coup, lorsque nous allons jouer pour la deuxième production, à 19h, à la guinguette, comme convenu, il y a pas mal de gens qui sont venus, ils pensaient que le spectacle était en soirée. La communication était confuse, pas claire. Mais finalement l´énorme halle du musée s´est quand même remplie. Il y avait aussi des touristes de passage, des allemands, des chinois, un peu de japonais, kesaj, en veux-tu, en voilà… Nous sommes bien conditionnés, malgré la fatigue, prêts à envoyer toute la sauce, mettre la gomme. J´ai proposé aux Intermèdes de s´installer dans la salle, pour assister au spectacle. Ils ont préféré rester dans les vestiaires pour entrer au moment de leur intervention. Abdel fera le lien. Le lieu est vraiment splendide. Des fresques immenses sur les murs, pleines de couleurs, un plaisir que d´évoluer en ces lieux. A ce stade de la tournée, juste à sa fin, le spectacle est hyper bien rodé. Nos filles, que quatre, heureusement que Joana est là pour la rescousse, arrivent très bien à occuper toute l´immensité de la scène, les allers-retours vers le public sont réglés comme sur du papier musique… 

Rien à redire, du très bon travail, pro, même les nouveaux sont déjà dans le coup. Joana m´a demandé de mettre au programme pour cette dernière représentation aussi le Conte de fées, qu´elle danse avec Stéfan. Volontiers. C´est le moment idéal pour faire la transition avec les Intermèdes. J´en profite pour prendre la parole. J´ai mon pantalon qui faillit me tomber sur les genoux, je le tiens d´une main, dans l´autre j´ai le micro, je passe la balalaïka au premier gus à la portée de ma main et j´y vais de mon discours. Pas le temps de préparer quoi que ce soit, mais c´est comme ca que ca sort le mieux. Je ne taris pas d´éloges, sincères, sur les Intermèdes, sur l´excellent travail social qu´ils mènent sur les terrains et je les appelle sur scène, sous les applaudissements… 

Ils attaquent Ederlezi, avec Yaelle, une petite francaise toute blonde comme soliste, c´est parfait, j´en profite pour aller changer de chemise, qui est comme d´habitude complètement trempée. Je laisse le commandement à Dushko, si je ne reviens pas assez tôt, je lui dis d´enchainer ensuite avec notre nouveau tube, Savana. Mais j´arrive à temps, on lance ensemble Savana, nos gars se ruent sur les filles des Intermèdes pour une danse débridée, façon impro, informelle. Une belle fiesta, un beau mélange entre les Roms d´Europe Centrale et toute la diversité des cités francaises personifiée par les Intermèdes. Ensuite, sans transition, l´air de rien, on fait bifurquer le programme sur le passage que j´ai imaginé lors de la mise en place. C´est parfait. 

Hafsatou est magnifique, elle danse comme une tigresse, rayonnante de sa beauté africaine, en parfait contraste, mais aussi accord, avec nous. Elle passe le relais à une autre fille des Aven Savore, et on enchaine sur notre gros morceau vocal, le O Roma, le chant hymnique du film Les Tsiganes montent au ciel. Je suis plutôt content. Le coup a parfaitement réussi. Nous avons incorporés les Intermèdes dans un de nos meilleurs passages, mais pas en tant que figurants au fond de la scène, au contraire, ils ont eu une place de choix, sur le devant, en interprétant un de nos meilleurs solo avec nous, au même titre que nos solistes. Le sacro-saint principe du spectacle était appliqué à la lettre - il vaut mieux une intervention pas trop longue, mais super performante, qui laisse le public sur sa faim, que de rester sur scène indéfiniment avec une présence pas trop enjouée qui n´apporte rien aux spectateurs. Là, c´estait pile ca. Je profite du pianissimo du prologue pour de nouveau raconter je ne sais plus trop quoi, en gros mon bonheur d´avoir pu participer à un si beau projet comme Aven savore, et ma fierté devant le résultat obtenu par les jeunes autour de moi

Ensuite, descente dans le public, participation des spectateurs, tout, comme nous avons l´habitude de le faire ensemble. On ajoute une danse Kesaj, pour marquer le coup, n´oublions pas que c´est un spectacle tsigane que nous sommes en train de produire, dans le contexte d´un événement centré sur les Tsiganes, alors il faut ce qu´il faut, et on fait de nouveau monter les Intermèdes pour le salut final. Heureux. Sincèrement, je ne sais pas qu´est-ce que j´aurais pu inventer de mieux. Ce n´est pas un manque de modestie, mais tout simplement un bilan de toutes mes années sur scène, je ne saurais pas faire mieux. Quelqu´un d´autre aurait pu faire certainement une autre variante, je ne suis pas un génie universel. Mais moi, avec mon expérience, j´ai mis tout mon savoir-faire dans cette finale, et, sentant tous mes collègues, car je considère tous les jeunes comme mes partenaires, donc collègues sur scène, les sentant tous heureux et satisfaits de leur performance, je saluais le public avec la sensation qui me comblait, du travail bien fait. 

Mais hélas, mon scénario instantané n´a pas fait l´unanimité auprès de la direction des Intermèdes qui partent précipitament. Domage. 

Nous n´avons pas le temps de nous attarder. Il est bien plus de 18h et à 19h on doit attaquer la séance disco, à la guinguette, dehors. Alors, vite, avaler quelque chose au catéring, et en piste. Les musiciens n´auront même pas le temps de passer par la case restauration, ils vont directement à la scène de la guinguette et spontanément se mettent à jouer. Nous nous sommes mis d´accord avec les organisateurs que l´on ne va pas trop insister, nous avons encore le trajet de nuit sur Lunéville devant nous, alors on joue tout de suite, pour mieux partir ensuite. Je retrouve de nouveau pas mal de mes amis. Hélas, la communication sur l´événement n´était pas des meilleures, il n´était pas précisé si le spectacle était à 17 ou à 19 heures. Alors les gens sont venus à 19h, croyant pouvoir assister au spectacle, alors que celui-ci venait de se terminer. En d´autres circonstances nous aurions remis cela, mais là, nous n´en avions plus la capacité. Et puis, ce n´était pas la peine. Erik et les gars de Lomnica envoyaient du solide disco tsigane, les autres dansaient, en mode détente, relax, ca faisait un spectacle en soi pour les gens qui étaient là, à boire un verre au bar de la guinguette. Et puis, cela collait parfaitement à la manifestation des Mondes tsiganes (au pluriel), nous avons proposé un véritable extrait de l´univers tsigane, tel quel, comme à Rakusy ou Lomnica.