Lunéville

 

Dimanche 3 juin, Lunéville

Nous atteignons Lunéville vers 2h et demi du matin. On fait la répartition des chambres au plus vite, et dodo jusqu´au plus tard possible le lendemain. Pas d´objection, tous au lit. Exceptionellement, on saute même la case bouffe de minuit. On réussit à dormir jusqu´à 10 heures, 11 pour certains. Après, il faut quitter l´hôtel. Cette dernière production équivaut à un purgatoire. On ne mérite pas ça. J´essaie de minimiser le coup du sort, on va faire juste un petit passage… Mais tout le monde sait bien, que des petits passages, chez nous, ca n´existe pas. Mais pareil, comme tout à l´heure, avant de se coucher à 3h du mat. Pas d´objection. On y va. Nous arrivons sur le site à midi. C´est une MJC, et le tout est organisé à la bonne franquette par une équipe d´enseignants que nous avons connus par les Intermèdes. Sachant que nous passerons par leur région en rentrant, je leur ai proposé notre spectacle, il n´y aurait aucune chance de venir ici en d´autres circonstances. C´est Julie, qui s´est chargée de l´organisation, et nous étions attendus avec un solide petit déjeuner à midi. La raison de cette initiative, c´était la présence d´une soixantaine de gosses roms roumains du squat voisin dans leur école. Nous rencontrer devrait leur faire du bien. Et ca a été le cas. Dès que nous sommes arrivés, les gamins ont surgis de partout. Bien que roumains, ils étaient kif kif pareils aux nôtres. Tout se fait instantanément. Les contacts, les échanges, le foot, les discussions, les jeux. Tout se passe comme au bidonville en Slovaquie, et pour les nôtres c´est une rentrée au pays anticipée. Nous n´avons nullement besoin d´intervenir, tout se fait tout seul, il n´y a pas le petit doigt à bouger de notre part. Visiblement, ils sont très incrustés dans le mode vie traditionnel. Mais les mômes sont pratiquement identiques aux nôtres, alors il n´y a aucun problème au niveau de la communication. Les dialectes sont aussi très proches. On papote, on fait connaissance, on s´explique nos façons de fonctionner. L´école, c´est pas leur truc. A 15 ans il faut être marié, et une fiancée doit rapporter de l´argent. C´est comme ça.

Nous allons donner notre ultime spectacle de la tournée. On est complètement vidés. Mais il faut y aller. Le public, constitué en grande majorité par les Roms du squat voisin, nous donne du coeur à l´ame, on attaque, même si on a l´impression d´aller à la Berezina, on se reprend et on y va à fond. Le baroud d´honneur. Tous se passe très bien. Bien sur, les spectateurs sont déchaînés, débridés. Les parties de contact avec le public tournent au Carnaval de Rio. Mais on arrive à maîtriser la situation, à donner un spectacle valable et à faire passer le message, que l´on espère tout aussi valable – l´école, le travail… Bien que je ne suis pas vraiment sur qu´ à ce niveau on aie atteint notre but dans toute sont intégralité... Après le spectacle, je vais, en solo, traîner dans le squat des roms. Ils sont une petite centaine à occuper une belle maison de plusieurs étages. Un castel, un chateau, comme ils disent...Du solide. Pas de saleté comme c´est de mise généralement. Les hommes bavardent et jouent aux cartes dehors. Ils me reçoivent avec beaucoup de respect, m´offrent le café. J´arrive tant bien que mal à baragouiner avec mon romani d´artiste musicien jouant du tsigane. On échange sur le spectacle. Pour eux la danse tzigane c´est autre chose, c´est ce qu´ils font eux. Moins rapide, plus syncopé. Absolument d´accord, nous, c´est une adaptation scénique, c´est du music-hall, du cabaret. Ils m´expliquent leur mode de vie, les combines. Manifestement, ils s´en sortent pas mal du tout, ils pavannent un peu, mais avec du respect et de la dignité. Il y a un côté vieux monde, dont j´ai le souvenir de mes rencontres avec les vieux roms, il y a des décennies de cela. Une chose saute aux yeux, de toute évidence, ceux-là n´ont absolument pas besoin d´aucune aide, c´est eux qui pourraient nous donner des leçons comment s´en sortir. Impressionnant. Je bois mon café. On se quitte. Ačh Devleha. Que Dieu vous accompagne.